J'ai eu la chance de m'intéresser à la question des saisies et des confiscations, avec notre estimable collègue Jean-Luc Warsmann, dans le cadre du rapport que nous avons remis au Gouvernement en novembre 2019. Ce rapport visait à dresser le bilan de la politique de saisie et de confiscation des biens en matière pénale, à la suite notamment de la création de l'AGRASC. Je salue l'initiative du groupe UDI et indépendants qui nous offre aujourd'hui l'opportunité de faire le point sur les propositions que nous avions formulées. Le moment est particulièrement bien choisi puisque nous avons fêté les dix ans de l'AGRASC le 4 février dernier.
Je veux tout d'abord rappeler la philosophie qui a présidé à la création de l'AGRASC. Il s'agissait alors de moderniser notre culture judiciaire par un changement de paradigme : les saisies devaient devenir un outil, non plus seulement probatoire c'est-à-dire contribuant à la manifestation de la vérité, mais aussi patrimonial afin de renforcer le caractère dissuasif des peines. Il s'avère en effet que les peines d'emprisonnement sont souvent acceptées par ceux qui les subissent comme des étapes inévitables du parcours criminel. C'est ce que nous avons pu vérifier lors de nos différentes enquêtes. Pour beaucoup trop de criminels que j'oserai appeler « de carrière », la prison fait presque partie des risques du métier et elle n'est pas aussi dissuasive que nous pourrions l'espérer. De plus, on le sait, les séjours en prison peuvent avoir, dans certains cas, un effet contre-productif en ce qu'ils constituent parfois hélas ! une école du crime. À l'inverse, et c'est ce que nous avons pu vérifier sur le terrain, les peines de confiscation auxquelles les criminels sont moins préparés, qui anéantissent la motivation qui se trouve au principe de l'action criminelle et qui touchent aussi leurs proches, peuvent avoir beaucoup plus d'effet. Les personnes condamnées à de lourdes peines cantonnent d'ailleurs souvent leur appel à la seule décision de confiscation.
Je veux souligner le changement de culture ainsi accompli qui modernise le sens de la peine et qui permet, si vous me passez l'expression, de « taper au portefeuille » afin que le crime ne paie pas. Je tiens à nouveau à saluer sincèrement Jean-Luc Warsmann pour les travaux qu'il mène depuis tant d'années sur ce sujet. C'est un changement sensible non seulement pour la délinquance économique et financière, celle qu'on comprend le mieux, pour la grande criminalité organisée mais aussi pour la délinquance de moyenne intensité. Les statistiques montrent en effet que tous les types d'infractions sont susceptibles de donner lieu à des confiscations. Dans le contexte de la montée de la violence et de multiplication des trafics que nous connaissons, il faut rappeler que des peines de nature patrimoniale peuvent constituer une réponse efficace et véritablement dissuasive.
Je veux également saluer l'avancée cruciale réalisée dans le projet de loi de programmation relative au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales sur la question des biens mal acquis que nous avions abordée dans notre rapport. Le travail commun entre la majorité, le Gouvernement et les oppositions a permis d'aboutir à un texte garantissant la restitution aux populations du produit des cessions de biens confisqués à des responsables publics étrangers dans des dossiers de corruption internationale.
C'est vrai, des questions demeurent sur le cadre opérationnel des restitutions. Madame la secrétaire d'État, pourriez-vous nous apporter des précisions sur les modalités qui seront choisies pour reverser les montants saisis aux populations, l'idée étant évidemment d'éviter de rendre l'argent à ceux qui ont été eux-mêmes à l'origine des crimes des biens mal acquis, ou bien à une opposition politique qui n'est parfois pas bien meilleure en la matière ?
Au cours de notre travail avec Jean-Luc Warsmann, nous nous étions aperçus que la politique de saisies et confiscations était éclatée entre trop d'institutions et trop de ministères, l'AGRASC n'en assurant qu'une partie. Les diverses structures agissant dans ce domaine, l'AGRASC, la plateforme d'identification des avoirs criminels – PIAC – qui relève surtout de la police, et la cellule nationale des avoirs criminels – CeNAC – qui relève de la gendarmerie tendent à fonctionner encore trop en silos et sans doctrine partagée, au détriment d'une efficacité d'ensemble. Nous avions donc plaidé pour la création d'une stratégie interministérielle, pilotée par le ministère de la justice mais associant étroitement le ministère de l'intérieur et celui des comptes publics. Nous avions également suggéré que la communication entre les administrations, notamment avec la direction générale des finances publiques – DGFIP – , soit améliorée afin de vérifier la situation fiscale des mis en cause lorsque les biens saisis sont restitués et de rembourser les créances publiques détenues sur les condamnés lorsqu'elles existent. Madame la secrétaire d'État, avons-nous pu avancer sur la question de la coordination et de la communication entre les administrations ?
Notre rapport appelait à renforcer les moyens humains de l'AGRASC et de la doter de relais en région. Si un réel effort a été accompli, nous n'en sommes encore qu'au début. Ne serait-il pas envisageable de compléter les moyens de l'AGRASC grâce à des financements dégagés par vous, en faveur de la justice de proximité ?