M. Ugo Bernalicis attire l'attention de Mme la garde des sceaux, ministre de la justice, sur les inégalités dans les condamnations pour exhibition sexuelle par les magistrats au titre de l'article 222-32 du code pénal, en particulier dans les situations liées à des revendications politiques. Ce délit, puni d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende, souffre d'une définition imprécise. La jurisprudence ne pallie pas cette lacune en estimant que deux éléments constitutifs doivent être obligatoirement constatés par le juge : l'exhibition sexuelle en public et la conscience d'offenser la pudeur d'autrui. Cette architecture juridique laisse la possibilité à une interprétation sexiste qu'il convient de dénoncer. Plus particulièrement, la jurisprudence semble plus dure à l'égard des femmes que des hommes lorsqu'il s'agit de revendication politique. En effet, de nombreuses condamnations sont venues sanctionner l'action de mouvement féministe. Par exemple, en décembre 2014, le tribunal correctionnel de Paris a condamné l'ex-Femen Eloïse Bouton à un mois de prison avec sursis pour « exhibition sexuelle » et 2 000 euros de dommages et intérêts au curé de la Madeleine, ainsi que 1 500 euros au titre des frais de justice ; décision confirmée par l'arrêt de cassation criminelle du 10 janvier 2018. Pourtant, comme l'ont fait remarquer les signataires de la tribune publiée dans Libération le 21 décembre 2014, « la nudité des femmes n'est pas politique ». Cette même tribune fait le juste constat que la nudité politique des hommes, pourtant concernée par le même cadre légal, n'est pas condamnée. Les militants écologistes qui manifestaient nus en novembre 2012 contre la construction de l'aéroport Notre-Dame-des-Landes, les intermittents du spectacle et le collectif Kamyapoil qui, totalement dévêtus, ont interpellé la ministre de la culture et de la communication, Mme Aurélie Filippetti, sur la réforme de leur statut en juin 2014 et les membres des Hommen, mouvement masculin non mixte issu de la Manif pour tous, qui à l'instar des Femen, militent torse nu, n'ont pas été poursuivis pour « exhibition sexuelle ». M. le député tient à être clair, il ne faut pas plus condamner. Le fait est que, dans ces cas, ce sont bien les militantes qui sont condamnées et pas les hommes, attestant ainsi une vision patriarcale du droit, qui sexualise par essence le corps des femmes. Ainsi, M. le député considère que la ministre de la justice doit donner des directives claires pour empêcher un tel traitement discriminatoire. Au titre de l'article 30 du code de procédure pénale, Mme la ministre de la justice conduit la politique pénale déterminée par le Gouvernement, et veille à la cohérence de son application sur le territoire de la République en adressant aux magistrats du ministère public des instructions générales. Aussi, il lui demande de faire usage de ce droit en précisant dans sa circulaire pénale la nécessité de traiter de la même manière la nudité politique des hommes que celle des femmes, et ce dans l'objectif de lutter contre les inégalités de genre et de veiller à la cohérence de l'application de la loi sur le territoire de la République.
L'article 222-32 du code pénal réprime d'une peine d'un an d'emprisonnement et de 15.000€ d'amende « l'exhibition sexuelle imposée à la vue d'autrui dans un lieu accessible aux regards du public ». La caractérisation de ce délit nécessite la réunion de trois éléments constitutifs : une exhibition sexuelle, le caractère public de l'acte et un élément moral, c'est-à-dire l'intention de commettre l'infraction, qui se distingue du mobile, ce dernier étant indifférent. Ce texte ne définit pas davantage l'élément matériel de ce délit, les actes permettant de constituer l'exhibition sexuelle étant susceptibles d'évoluer au gré des mœurs, imposant par conséquent une appréciation des éléments propres à chaque espèce. De manière classique, constituent l'élément matériel du délit d'exhibition, les actes de nature sexuelle commis en public, les gestes et attitudes obscènes, et les gestes ou attitudes manifestement impudiques. S'il a été jugé que la seule exhibition de la nudité ne constituait pas en tant que telle l'infraction, si elle n'était accompagnée d'aucun geste ou attitude déplacés (CA Douai, 28 sept. 1989), la question du nu, sans attitude obscène, fait l'objet d'une jurisprudence évolutive. La caractérisation du délit, en ce domaine, suit l'évolution des mœurs et de la notion de pudeur. Les décisions les plus récentes s'orientent ainsi vers une condamnation plus systématique de la nudité imposée à autrui. Ainsi, le fait de se promener nu, y compris à proximité d'une plage ou bien de s'exhiber nu à la fenêtre de son domicile en attirant l'attention des passants caractérise l'infraction d'exhibition sexuelle. S'agissant plus spécifiquement de la nudité de la poitrine des femmes, il convient de rappeler que la poitrine féminine est considérée comme une partie intime du corps, relevant des organes sexuels, tant dans la jurisprudence traditionnelle relative à l'exhibition sexuelle, que dans celle relative à l'agression sexuelle, qui réprime l'attouchement non consenti de la poitrine d'une femme. Concernant le contexte de l'exhibition et plus précisément le cas de militantes FEMEN poursuivies pour exhibition sexuelle dans le cadre d'un acte revendiqué comme politique et non connoté sexuellement, la Cour de cassation, dans deux arrêts récents de la chambre criminelle du 10 janvier 2018 et du 9 janvier 2019, a écarté le mobile comme étant indifférent à la caractérisation de l'infraction. Elle a ainsi considéré, dans sa première décision, qu'en relaxant faute d'élément intentionnel de nature sexuelle, « alors qu'elle relevait, indépendamment des motifs invoqués par la prévenue, sans effet sur les éléments constitutifs de l'infraction, que celle-ci avait exhibé volontairement sa poitrine dans un musée, lieu ouvert au public, la cour d'appel (avait) méconnu le sens et la portée du texte susvisé ». Dans sa seconde décision, la cour a jugé que la décision de condamnation de la militante poursuivie pour avoir exhibé sa poitrine dénudée dans un lieu de culte « n' (avait) pas apporté une atteinte excessive à la liberté d'expression de l'intéressée, laquelle doit se concilier avec le droit pour autrui, reconnu par l'article 9 de la Convention européenne des droits de l'homme, de ne pas être troublé dans la pratique de sa religion ». Il apparaît que l'incrimination actuelle est suffisamment souple pour permettre aux juridictions d'apprécier, en fonction des circonstances de l'espèce et du contexte entourant la nudité, si l'infraction est caractérisée ou non, sans que des instructions de politique pénale n'apparaissent nécessaires.
1 commentaire :
Le 07/03/2020 à 15:44, Phil Alapatte a dit :
J'aurais aimé bien plus de précision de la part de Madame Belloubet.
Je reprends quelques points: le poitrine est considérée comme sexuelle car intime. Si dans le métro je passe la main sous les jupes de ma voisine et lui caresse les cuisses sans son accord, je suppose que cette dernière risque de ne pas apprécier et considérer que ça peut relever de l'agression sexuelle, ou qu'à tout le moins, ses cuisses sont une partie intime de son corps. Est-ce que ça relève des organes sexuels? Passer la main sous le pull et caresser le ventre, caresser des mollets, ça confère au ventre et au mollet un caractère sexuel?
On pourrait alors estimer (ce que ne manquent d'ailleurs pas de faire certains, adeptes de tenues de bain couvrant l'intégralité du corps) que ces parties du corps ayant un caractère sexuel puisqu'intimes, ne pas les cacher relèverait de l'exhibition sexuelle.
Deuxième point: "Ainsi, le fait de se promener nu, y compris à proximité d'une plage ou bien de s'exhiber nu à la fenêtre de son domicile en attirant l'attention des passants caractérise l'infraction d'exhibition sexuelle": que dire de quelqu'un qui serait nu sur son balcon, sur une chaise longue, en train de lire un livre, ou qui ferait la sieste dans son jardin à l'ombre de son arbre? Y a-t-il un comportement "attirant l'attention des passants"?
Le dernier point de désaccord est que ce que Madame Belloubet appelle souplesse, moi, je l'appelle imprécision conférant aux juridictions un excessif pouvoir d'appréciation.
S'il y a eu cette question parlementaire, c'est précisément parce que des cas à peu près similaires donnaient lieu à des traitements juridiques opposés. Un simple "rhabillez-vous SVP" quand les forces de l'ordre étaient appelées (un homme pique-niquait nu dans un parc de la ville de Rennes), relaxe d'un homme qui ramassait nu des huitres sur une plage normande (TGI de Caen 2019), ou condamnation (l'affaire est en appel) à Nîmes d'un homme se baignant nu dans le Gardon.
C'est pourquoi mon avis personnel est qu'au contraire, des avis de politique pénale apparaissent nécessaires, ou mieux encore, que soit inscrit dans le texte de loi lui-même ce qu'est et ce que n'est pas une exhibition sexuelle.
On ne peut rester dans le flou, on ne peut continuer à réprimer ou ne pas réprimer une infraction qui n'est pas précisément définie. On ne peut se référer à "la morale publique", tant elle va différer d'un milieu social à l'autre, d'un milieu religieux à un autre, et d'un individu à un autre. Le rapport au corps, à la nudité, est tellement variable en France selon les groupes et individus, que s'en remettre à une "morale publique" est inopérant. Untel estimera que se baigner nu ne choque nullement la morale, tel autre estimera que la nudité est répréhensible mais pas le topless, un autre encore que le topless est acceptable, mais qu'un string choque la morale publique, quand un autre dira que du moment que la vulve n'est pas visible ça n'est pas répréhensible.
J'aurais souhaité bien plus de précision non seulement de la part d'une Garde des Sceaux, mais aussi de la part d'une ancienne Professeure de Droit.
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