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Jean Lassalle
Question N° 10799 au Secrétariat d'état Secrétariat d'État


Question soumise le 17 juillet 2018

M. Jean Lassalle alerte Mme la ministre des armées sur les conséquences encourues par l'adoption d'une des mesures du projet de loi relatif à la programmation militaire pour les années 2019 à 2025, concernant le contentieux des pensions militaires d'invalidité. En effet, dévoilé le 3 octobre 2017 par le Conseil d'État, ce projet de réforme a pour objectif la suppression des juridictions des pensions militaires d'invalidité. Sont concernées par cette mesure de très nombreuses personnes, non seulement les militaires sous contrat, de carrière ou réservistes, les appelés au service militaire ou civil, les fonctionnaires détachés en qualité de militaires, les anciens résistants ou déportés, mais aussi les conjoints ou partenaires survivants, les enfants ou les parents de personnes décédées, entre autres. Ce projet de réforme, une fois adopté, conduirait à supprimer les juridictions des pensions militaires d'invalidité existantes, c'est-à-dire les tribunaux des pensions militaires et les cours régionales des pensions, pour confier ces contentieux aux juridictions administratives de droit commun, à savoir le tribunal administratif et la cour administrative d'appel. Or un tel transfert de compétences serait préjudiciable aux justiciables, puisque les demandes ne seraient plus traitées par des juridictions spécialisées et légalement attentives à leurs intérêts. En effet, la composition des tribunaux des pensions avec leurs trois compétences (le savoir juridique d'un magistrat aguerri au droit des pensions, les connaissances médicales du médecin expert et l'expérience du terrain du pensionné), est conçue pour favoriser un examen attentif et efficace et garantir un fonctionnement harmonieux. Alors qu'avec la nouvelle juridiction, les procédures seraient plus contraignantes et les contentieux traités de façon moins professionnel. En effet, la saisine des commissions constituerait un recours administratif préalable obligatoire, faute de quoi la requête introduite devant la juridiction administrative serait irrecevable. De plus, elle serait écrite, donc plus technique et moins accessible sans avocat. Ces juridictions généralement ordonnent assez peu d'expertises médicales, alors qu'elles sont indispensables en matière de pensions militaires d'invalidité et leurs procédures ne sont pas plus rapides. Concernant la mémoire collective, ce projet conduirait à la disparition de l'héritage historique que constituent les juridictions des pensions actuelles, associées à la mémoire de conflits et de héros dont le souvenir doit être entretenu. Alors que la France est engagée dans de nombreux conflits dans le monde, ce projet fera reculer le droit à réparation des victimes de ces conflits qui abiment notre société. Dès lors, il lui demande de revoir sa position et de retirer ce projet pour maintenir les juridictions des pensions actuelles qui sont la considération, la reconnaissance et le droit à réparation proclamés à l'égard des victimes de la guerre.

Réponse émise le 2 octobre 2018

Le traitement du contentieux des pensions militaires d'invalidité (PMI), en première instance et en appel, souffrait de dysfonctionnements anciens dénoncés par les associations de pensionnés, notamment dans le cadre d'un rapport de 2014 du comité d'entente des grands invalides de guerre comportant 30 propositions. En effet, les tribunaux des pensions et les cours régionales des pensions étaient, dans la pratique, fréquemment présidés par des magistrats honoraires qui n'étaient pas toujours en mesure d'assurer une présence permanente auprès de leur juridiction, par exemple pour orienter le travail des greffiers. De plus, les tribunaux des pensions relevaient du régime de l'échevinage, c'est-à-dire d'une organisation dans laquelle les affaires étaient entendues et jugées par des juridictions composées à la fois de magistrats professionnels et de personnes n'appartenant pas à la magistrature professionnelle, en l'espèce des médecins et des représentants de pensionnés. Or, il s'avérait de plus en plus difficile de renouveler le vivier des assesseurs échevins. En outre, le contentieux des PMI échappait aux processus de dématérialisation et de diffusion de la jurisprudence prévus dans les juridictions des ordres administratif et judiciaire (les décisions des tribunaux et des cours concernés n'étant actuellement pas publiées sur les sites publics de diffusion de la jurisprudence). Dans ce contexte, le délai moyen de traitement constaté aujourd'hui était de deux années et tendait au surplus à s'accroître sur les six dernières années, alors même que le nombre de décisions rendues tendait à diminuer. La longueur excessive de ces procédures avait du reste déjà valu à l'État plusieurs condamnations devant les juridictions des pensions (cf. CE, 19 juin 2006, n° 286459 ; CE, 13 juillet 2016, n° 389760). La Cour européenne des droits de l'homme avait également conclu à une violation par la France de l'article 6§1 de la convention, relatif au droit à un procès équitable, du fait de la durée des procédures litigieuses en matière de pensions militaires d'invalidité (cf. CEDH, 8 juillet 2003, Mocie c. France ; CEDH, 28 février 2007, Desserprit c. France). Pour répondre aux attentes légitimes des pensionnés et de leurs associations, des travaux de concertation très approfondis avaient donc été lancés depuis 2016. La solution qui s'est imposée est celle d'un transfert du contentieux des PMI aux juridictions administratives qui en connaissent déjà en cassation. Ce transfert, prévu par l'article 51 de la loi n° 2018-607 du 13 juillet 2018 de programmation militaire pour les années 2019 à 2025 et portant diverses dispositions intéressant la défense, s'accompagne de la mise en place d'un recours administratif préalable obligatoire (RAPO), qui constitue un temps consacré au réexamen des dossiers devant une commission afin de permettre et de garantir des échanges avec les pensionnés en toute confiance. Cette réforme d'ampleur a néanmoins soulevé des interrogations légitimes de la part du monde des pensionnés, conduisant le ministère des armées à recueillir les avis et propositions des associations représentatives du monde combattant, par écrit à la suite d'un courrier du 8 janvier 2018, mais également par l'organisation de plusieurs réunions d'échanges, dont l'une présidée par la secrétaire d'État auprès de la ministre des armées le 5 mars dernier. Lors de cette dernière réunion, un certain nombre de garanties et d'arbitrages ont été annoncés aux représentants des associations. S'agissant plus particulièrement du futur RAPO, la commission unique d'examen des recours compétente pour le territoire métropolitain, l'outre-mer et l'étranger siègera au sein de l'Institution nationale des Invalides et sera dotée d'un pouvoir décisionnel. Elle pourra notamment auditionner sur sa demande chaque demandeur accompagné de la personne de son choix (dont, par exemple, un avocat ou un médecin). Si sa composition n'est pas encore définitivement arrêtée, elle comprendra toutefois un représentant des associations de pensionnés en tant que membre permanent. Ce dernier sera amené à se prononcer sur l'ensemble des recours formés devant la commission, y compris ceux formés par des militaires en activité ou par des victimes civiles d'actes de terrorisme. Enfin, les associations de pensionnés seront consultées dans le cadre des travaux d'élaboration du décret pris pour l'application de l'article 51 de la loi de programmation militaire précitée.

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