M. Ugo Bernalicis interroge M. le ministre de l'Europe et des affaires étrangères sur la pratique de l'externalisation de la collecte des dossiers de demandes de visas pour la France. La gestion de la collecte des dossiers par des prestataires de services privés a donné et donne lieu à des dysfonctionnements, voire des scandales. Il convient d'abord de situer les enjeux financiers liés au traitement et à la délivrance des visas car ceux-ci interrogent sur l'opportunité pour l'État de ne pas traiter la collecte des dossiers. Les prestataires de services sont rémunérés à la demande : ils perçoivent des frais de services acquittés par les usagers et qui sont variables selon les pays. Cela finance leurs frais de fonctionnement et leur permet de dégager des bénéfices. Le traitement des dossiers reste à la charge de l'État. Dans le rapport d'information sur la délivrance des visas du Sénat, publié en 2015, il est indiqué que « le produit des droits de visas est ainsi comptabilisé dans la catégorie « Produits des chancelleries diplomatiques et consulaires » au sein des recettes non fiscales. Il a atteint le montant de 160 millions d'euros en 2014. Au total, le coût de l'instruction des visas en 2014 est d'environ 124 millions d'euros, soit 38,75 euros par visa demandé. En conséquence, l'instruction des demandes de visas est une activité « rentable » pour l'administration, avec un bénéfice net qui peut être évalué à environ 20 euros par visa demandé, ou un quart du total du produit ». En résumé, la collecte et le traitement des dossiers permettent à l'État et à des opérateurs privés de réaliser des bénéfices substantiels. La lucrativité prime-t-elle sur le sérieux et la qualité de service rendu ? La question se pose concrètement en observant la situation algérienne où l'État a fait appel à la société TLS Contact pour réaliser la collecte. Les délais d'attente peuvent dépasser 6 mois. Le site internet connaît des problèmes techniques qui empêchent la prise de rendez-vous. L'antenne algéroise a été éclaboussée par de nombreux scandales relayés par la presse et notamment un scandale de corruption : les employés de l'entreprise revendaient des rendez-vous avec des délais plus courts par un circuit détourné. La communication institutionnelle de cette entreprise sur les réseaux sociaux est réalisée dans un français que nous qualifierons d'approximatif comme le montre les publications de l'antenne oranaise. Cela est inadmissible pour un prestataire agissant pour le compte de la République française avec une rupture d'égalité flagrante entre les citoyens. Les services du ministère sont déjà au courant des dysfonctionnements. Le député Daniel Goldberg avait déjà mis en lumière, lors de la mandature précédente, le caractère inégalitaire de la collecte des dossiers, causé par l'existence d'une option « premium ». Le Gouvernement lui avait répondu que « certaines personnalités » veulent en effet recevoir un accueil spécifique et disposer d'un espace dédié qu'elles jugent plus adapté à leur statut. Ce service leur est offert par le prestataire moyennant une contribution supplémentaire. Cependant, le traitement du dossier et ses délais d'instruction au service des visas ne seront en aucun cas différenciés et resteront identiques pour l'ensemble des demandeurs, quel que soit la prestation dont ils auront bénéficié chez le prestataire ». Pourtant, on peut désormais légitimement douter de la sincérité de la réponse des services du ministère de l'Europe et des affaires étrangères sachant que dans une offre « premium » proposée, par exemple, aux ressortissants chinois, ceux ou celles qui y souscrivent ont la possibilité de « compléter les documents manquant avant 15h le jour ouvrable suivant le jour du dépôt de la demande », ce qui n'est pas sans conséquence sur l'égalité de traitement des dossiers proprement dit. Si l'État a cédé la gestion du site algérois à un autre prestataire, il a maintenu TLS Contact comme opérateur pour les autres centres de demande algériens. Le mécontentement et le désarroi des usagers est palpable. Dès lors, il l'interroge sur l'opportunité d'externaliser la collecte des dossiers et les prises de rendez-vous pour la délivrance des titres de séjour. Il rappelle que l'externalisation n'est qu'une solution face à la réduction des moyens dédiés aux représentations diplomatiques. Au moins, le ministère se doit d'intervenir pour s'assurer que les prestataires de services délégataires d'une mission de service public assurent la prise de rendez-vous avec des délais acceptables, maîtrisent leur communication, mettent en œuvre l'égalité de traitement. Il l'interroge sur les actions qu'il compte mettre en œuvre pour améliorer la qualité de service concernant la collecte et la réception des dossiers de visa, première étape de leur traitement. En outre, il souhaite savoir si cette pratique de l'externalisation, cheval de Troie de la privatisation, sera pérennisée et généralisée à l'avenir.
Le ministère de l'Europe et des affaires étrangères gérait il y a 10 ans 2 millions de demandes de visas avec 800 ETP, il en gère aujourd'hui 4 millions avec 950 ETP. Cette hausse constante de l'activité a nécessité la recherche permanente de gains de productivité, tandis que la charge de travail pour l'instruction des dossiers s'est également accrue par de nouveaux facteurs : la lutte contre la fraude, l'obligation de motivation des refus et l'augmentation des contentieux de visas. Les effectifs des services des visas ont progressé, mais l'essentiel du défi a pu être relevé grâce à une politique active d'externalisation des tâches non régaliennes (accueil, réception des dossiers, prise d'empreintes biométriques…) auprès de prestataires de service extérieurs. Saluée par la Cour des comptes en 2017, l'externalisation a permis de concentrer les effectifs des services des visas sur le coeur du métier (instruction des dossiers de demande de visa, avec une attention toujours plus renforcée à la lutte contre la fraude) et de multiplier les lieux du dépôt pour le demandeur (centre externalisé du prestataire), distincts du lieu d'instruction (le service des visas). Toute externalisation donne lieu à une procédure de mise en concurrence et les frais de service perçus par les prestataires sont fixés dans une limite de 50 % des droits de visa de court séjour, soit une limite de 30 € actuellement, conformément au code communautaire des visas. Aujourd'hui 90 % de l'activité visas de la France est externalisée (36 pays couverts avec 112 centres de collecte dans le monde). La collecte des demandes de visas sera externalisée dans de nouveaux pays d'Afrique de l'Ouest (Mali, Burkina Faso, Guinée, Bénin, Togo) dans le courant de l'année 2019. Cependant, l'externalisation n'a pas vocation à être généralisée à l'ensemble des postes diplomatiques et consulaires, sa pertinence étant évaluée à l'aune de différents critères (volumétrie de la demande, éclatement géographique des demandeurs, raisons sécuritaires). Dans tous les postes, l'administration exerce un contrôle permanent et étroit sur l'activité des prestataires de service, afin de s'assurer du respect de leurs obligations. La qualité de l'accueil du public, la gestion des rendez-vous et la lutte contre la fraude sont les axes prioritaires de la relation contractuelle, pour lesquelles sont constamment explorées des pistes d'amélioration. Le prestataire de service choisi doit respecter les directives du cahier des charges qui a servi de base à la mise en concurrence. Des pénalités sont prévues par le contrat de prestation de service en cas de non-respect de ces prescriptions. Des réunions régulières sont organisées avec les représentants des sociétés et des missions d'audit des centres externalisés sont diligentées, tant par les services du ministère de l'Europe et des affaires étrangères (sous-direction de la politique des visas), que par ceux du ministère de l'Intérieur (sous-direction des visas). Les prestataires de service, dans leurs représentations locales, demeurent par ailleurs sous la supervision des postes diplomatiques et consulaires. La progression de l'activité visa a généré une hausse des recettes issues des droits de visa : 210,4 millions en 2017 contre 185,7 millions en 2016. Ces recettes sont reversées au budget de l'Etat et un faible pourcentage de celles-ci est réattribué, depuis 2015, au budget du MEAE pour les questions d'attractivité (contribution au financement d'Atout France) et les moyens humains (vacations visas hors plafond d'emploi).
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