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Élodie Jacquier-Laforge
Question N° 13474 au Ministère de la justice


Question soumise le 23 octobre 2018

Mme Élodie Jacquier-Laforge attire l'attention de Mme la garde des sceaux, ministre de la justice, sur la baisse des condamnations pour viol et agression sexuelle. Depuis un an, le nombre de plaintes concernant les violences sexuelles est en constante évolution, suite notamment aux différents mouvements sociétaux lancés, tel que #metoo. Le collectif féministe contre le viol (CFCV) affirme que trois mois après les révélations à l'origine des différents #, 37 % d'appels supplémentaires leur ont été adressés. A contrario, en France depuis 10 ans, le nombre de condamnations pour viol a chuté de 40 % et de 20 % pour les agressions sexuelles. Les différents acteurs des systèmes universitaire, associatif, judiciaire et policier, ne remettent pas en cause les outils législatifs à disposition. Mais outre l'accueil spécifique qui devrait être fait aux victimes et qui existe encore trop peu souvent, les délais d'instruction sont encore trop longs, les magistrats ne sont pas automatiquement formés sur les « violences sexuelles » (les formations restent optionnelles), il y a également un problème concernant le recueillement de certaines preuves. Des expériences concluantes existent, par exemple, à Bordeaux où depuis 20 ans les victimes d'agressions sont accueillies à l'hôpital, dans un lieu unique, le Cauva. Des médecins légistes, des psychologues, des infirmières écoutent, prélèvent les indices nécessaires si c'est encore possible et facilitent les démarches judiciaires. Et si les personnes hésitent à déposer plainte, les preuves sont conservées trois ans sous scellés. Cela fonctionne : un tiers des femmes déposent plainte (la moyenne nationale n'est que de 10 %). Dans des affaires où le « parole contre parole » est souvent la seule option, il est préjudiciable pour les justiciables que tout ne soit pas mis en œuvre pour que des preuves concrètes soient collectées. Depuis novembre 2017 un groupe de travail interministériel (justice et santé) travaille sur le moyen de recueillir et de conserver les prélèvements ADN et biologiques en amont de l'ouverture d'une enquête. Face à ces difficultés, elle lui demande quelles mesures le Gouvernent compte mettre en œuvre pour y remédier.

Réponse émise le 8 janvier 2019

La baisse du nombre de condamnations en matière de violences sexuelles constatée depuis une dizaine d'années doit être mise en perspective avec la très forte augmentation constatée les années précédentes. Sur une période longue on constate en effet un double mouvement d'augmentation puis de diminution des procédures judiciaires en matière de violences sexuelles, lequel se dessine autour de l'année 2005, année charnière. L'analyse du traitement pénal des infractions sexuelles peut être résumée de la manière suivante : 1. sur la période 1995-2004, on observe : - de 2002 à 2004, une augmentation du nombre d'affaires nouvelles pour infractions sexuelles sur mineurs alors que le nombre d'affaires nouvelles pour infractions sur majeurs restent relativement constante ; - parallèlement, une augmentation des condamnations pour infractions sexuelles les plus graves (viol et agressions sexuelles), essentiellement pour les infractions commises sur mineurs ; - une augmentation des condamnations pour des faits anciens, prononcées après un délai de procédure important allant de 4 à 10 ans, voire plus. Cette première évolution peut s'expliquer entre autres par les évolutions législatives, notamment en matière d'allongement de la prescription, et par le développement des techniques d'investigations (ADN) ou encore par la création de fichiers (FNAEG) permettant l'identification de mis en cause. 2. sur la période 2005-2012 : - une diminution du nombre d'affaires nouvelles pour infractions sexuelles sur mineurs alors que les affaires nouvelles pour infractions sur majeurs augmentent ; - une augmentation importante du nombre d'affaires non poursuivables pour infractions sexuelles sur mineurs ; - une diminution importante des condamnations prononcées par les juridictions pour majeurs et pour mineurs pour infractions sexuelles les plus graves (viol et agressions sexuelles), commises sur mineurs ; - une part plus faible de condamnations fondées sur la circonstance de l'aggravation sur mineur de 15 ans. Cette évolution peut s'expliquer par plusieurs facteurs : les effets des lois relatives à la prescription en la matière s'estompent à partir de cette année-là et par ailleurs, l'affaire d'Outreau est jugée en appel et contribue à renforcer les exigences probatoires dans les enquêtes dans lesquelles les paroles de la victime et de l'auteur s'opposent. S'agissant de l'accueil fait aux victimes, la dépêche diffusée le 25 novembre 2017 a annoncé la mise en place d'un groupe de travail conduit par la Direction des affaires criminelles et des grâces qui a engagé une réflexion sur les démarches de révélation des faits et les axes d'amélioration de nature à poursuivre efficacement les auteurs de violences sexuelles. Un guide méthodologique recensant le fruit de ces travaux sera diffusé à l'ensemble des praticiens pour renforcer l'efficacité de l'action judiciaire, et portera notamment sur l'amélioration de l'accueil des victimes. Les délais d'instruction sont encadrés par le code de procédure pénale, qui prévoit ainsi une durée théorique de dix-huit mois en matière criminelle et douze mois en matière correctionnelle, qui dépend en pratique du nombre de mis en examen, de l'importance des investigations à accomplir, ou de l'incarcération ou non des mis en examen. Sur la question de la formation des magistrats sur les violences sexuelles, leur formation initiale aborde ce sujet sous l'angle procédural (interrogatoire enregistré des victimes mineures de violences sexuelles, etc.) et sous l'angle des mécanismes de protection (ordonnance de protection, téléphone grave danger…). La formation continue des magistrats propose des formations sur les techniques de recueil de la plainte ainsi que des formations «changement de fonction » pour les nouveaux juges d'instruction, afin que ceux-ci soient notamment formés aux techniques d'auditions. Enfin, une session dédiée au thème des violences sexuelles est proposée par l'Ecole nationale de la magistrature depuis 2016 (thématiques abordées : les données chiffrées disponibles, les repères historiques dans l'appréhension du phénomène, les politiques pénales et les pratiques judiciaires, le psychotrauma, la personnalité de l'agresseur, le protocole du NICHD -National Institute of Child Health and Human Development- d'audition de mineurs victimes, les mécanismes de l'agression, la prise en charge des auteurs et la prostitution). Parallèlement à ces travaux et actions de formation, un groupe de travail permettant de faciliter le recueil de preuves en l'absence de plaintes des victimes de violences sexuelles et sexistes a été initié par le ministère de la santé et le ministère de la justice. Les travaux de ce groupe de travail ont permis de recueillir l'expertise de médecins légistes (UMJ Bondy, UMJ Créteil, UMJ Hôtel-Dieu, UMJ Tours). Les membres du groupe de travail ont également visité l'unité de l'Institut de recherches criminalistique de la gendarmerie nationale (IRCGN) en charge des techniques de conservation et de traçabilité des scellés. L'IRCGN a également présenté un dispositif en cours d'élaboration permettant à terme la mise à disposition d'outils méthodologiques et criminalistiques standardisés auprès des enquêteurs et de médecins en l'absence d'UMJ. Enfin, une visite d'étude à l'UMJ de l'Hôtel-Dieu (15 000 examens de victimes/an) a été organisée. Elle a été l'occasion de connaitre le fonctionnement précis de cette structure et de recueillir les premières observations de l'AP-HP sur l'état des réflexions du groupe de travail. Des propositions faisant état de différents scenarii de mise en œuvre devraient pouvoir être formulées au premier trimestre 2019.

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