Mme Constance Le Grip souhaite appeler l'attention M. le ministre de l'Europe et des affaires étrangères sur le Pacte mondial pour des migrations sûres, coordonnées et régulières, finalisé le 13 juillet 2018, et qui doit être formellement approuvé lors d'une Conférence internationale à Marrakech le 10 décembre 2018. Sans tomber dans la caricature ou les procès d'intention, il convient néanmoins de s'interroger sur le bien-fondé, la pertinence et la priorisation retenue de certains des 23 objectifs dudit texte et des recommandations qu'il préconise. Ainsi, par exemple, l'objectif 3 qui s'intitule « fournir dans les meilleurs délais des informations exactes à toutes les étapes de la migration », préconisant la création d'un site internet centralisé permettant de connaître « toutes les options migratoires régulières », et l'objectif 5 « faire en sorte que les filières de migration régulière soient accessibles et plus souples » apparaissent en décalage réel avec les autres nécessités que sont le soutien au co-développement ou la lutte contre les passeurs. Dans les nombreux autres exemples possibles, l'objectif 17 visant à « recadrer le discours », invitant les États signataires à fixer des directives sur la « terminologie » à employer ainsi que des « standards éthiques » concernant la presse est un autre élément particulièrement troublant. Certes, dans un contexte mondial caractérisé par des migrations irrégulières et chaotiques, selon les termes mêmes employés par Mme Louise Arbour, Représentante spéciale du Secrétaire général des Nations unies pour les migrations, il n'est pas absurde, ni inutile, de tenir des discussions approfondies sur la question des migrations dans une enceinte internationale telle que l'Organisation des Nations unies. Et le Pacte mondial rédigé est présenté par Mme Louise Arbour comme non-contraignant et affirme, dans son article 15 (mais dans son article 15 seulement), que la souveraineté des États prime en matière de politique migratoire. Néanmoins, l'idée même de ce Pacte, et son contenu, soulèvent de plus en plus d'interrogations, de réticences, voire d'oppositions. Dans l'Union européenne, en Italie, en Hongrie, en Slovaquie, en Autriche, en Belgique, en Allemagne, en Pologne, en République tchèque, en Croatie, en Bulgarie, les gouvernements affichent leur embarras, leurs distances ou leur hostilité au texte proposé, et les débats publics prennent une tournure très négative sur l'opportunité et l'intérêt d'un tel texte, que beaucoup craignent de voir être instrumentalisé et récupéré comme posant une certaine forme de « droit à la migration ». En dehors de l'Union européenne, des pays comme l'Australie ou Israël ont également pris leurs distances. Les États-Unis d'Amérique s'étaient, pour leur part, d'emblée retirés de tout le processus de discussion. Elle l'interroge donc sur la position que prendra la France et si celle-ci compte signer le Pacte le 10 décembre 2018, comme certaines déclarations du Président Macron le laisse à entendre. Surtout, elle lui demande instamment que, sur un sujet aussi sensible, le Gouvernement organise dans les meilleurs délais un débat au Parlement. Signer au nom de la France un tel Pacte sans même un débat au Parlement attesterait, encore une fois, du peu de considération témoigné par l'exécutif à l'égard de la représentation nationale.
Le Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières a été adopté le 10 décembre 2018 à Marrakech et définitivement endossé par une résolution de l'Assemblée générale de l'ONU le 19 décembre 2018, avec 152 votes pour, 5 votes contre et 12 abstentions. La France a soutenu l'adoption de ce texte, dans la mesure où il représente une contribution importante en vue d'une meilleure gestion des flux migratoires à l'échelle internationale. En effet, partant du principe qu'aucun Etat ne peut gérer seul le défi des migrations, ce Pacte vise à encourager une coopération renforcée dans le domaine migratoire et repose sur le principe de la responsabilité partagée entre pays d'origine, de transit et de destination pour mettre fin aux flux migratoires anarchiques et assurer des migrations sûres, ordonnées et régulières. Parmi les points forts du Pacte, à cet égard figurent notamment le renforcement de la lutte contre le trafic de migrants et la traite des êtres humains, ainsi que de la lutte contre la migration irrégulière, de façon à éviter les décès au cours des trajets migratoires et sauver des vies en mer et ailleurs. Ces objectifs font partie des priorités de la France, ainsi que de nombreux autres pays, qu'ils soient d'origine, de transit et/ou de destination. C'est pourquoi le Pacte est soutenu par une large majorité de la communauté internationale, même si certains Etats ont décidé de se mettre en retrait. Ce Pacte n'est pas juridiquement contraignant et constitue essentiellement un recueil de bonnes pratiques, comme cela est explicité dès le Préambule ("ce Pacte mondial représente un cadre de coopération non juridiquement contraignant"). Le Pacte ne crée pas d'obligations juridiques autres que celles auxquelles un Etat a déjà souscrit. S'il prévoit des "engagements", il s'agit d'engagements politiques qui correspondent à des grands principes de gestion de la migration de façon sûre, ordonnée et régulière qui se déclinent en des listes de bonnes pratiques, des "instruments de politique publique" dont les Etats sont encouragés à s'inspirer. L'adoption du Pacte n'aura pas d'impact sur notre souveraineté nationale. Au contraire, la souveraineté des Etats en matière de politique migratoire est réaffirmée dès le Préambule. Elle est même élevée au rang de "principe directeur"du texte. Ainsi, le texte invite les Etats à mettre en œuvre les instruments de politique publique proposés"en tenant compte des différentes réalités nationales, politiques, priorités et conditions pour l'entrée sur le territoire, les conditions de résidence et de travail, en conformité avec le droit international". Par conséquent, rien dans le Pacte ne contraindra la France à mettre en œuvre telle ou telle action proposée par le Pacte qui ne serait pas compatible avec sa législation ou ses politiques publiques telles que définies démocratiquement. En revanche, comme pour de nombreux pactes internationaux, la mise en œuvre du Pacte par les Etats fera l'objet d'un suivi, sur une base interétatique, via une conférence internationale organisée tous les quatre ans et un suivi annuel. Ceci permettra un dialogue régulier entre Etats sur le sujet des migrations et créera une dynamique en vue d'une meilleure coopération internationale. En outre, le Pacte préserve la capacité des Etats à distinguer clairement entre migrants réguliers et irréguliers dans la mise en œuvre de leurs politiques, le cas échéant en réservant aux migrants réguliers le bénéfice de certaines prestations. Le Pacte mondial sur les migrations ne crée pas de nouveaux droits pour les migrants, ni en matière de regroupement familial, ni en matière de droits à la sécurité sociale et aux services sociaux. Par ailleurs, le Pacte prévoit que les Etats doivent favoriser l'intégration des migrants réguliers dans le pays d'accueil, mais qu'en contrepartie, les migrants doivent respecter les lois et les valeurs de ces pays. En aucun cas, le Pacte ne crée un "droit à la migration". Le texte ne crée pas de nouveaux droits pour les migrants et vise uniquement à renforcer pour les migrants la protection de droits existants dont ils bénéficient au titre d'autres instruments de droit international. Le Pacte, qui n'ajoute aucune obligation ou aucun droit au cadre juridique international existant, rappelle que les Etats ont la prérogative de déterminer qui ils admettent sur leur territoire. Dans ce contexte, ce Pacte ne remet en aucune façon en cause notre législation nationale, telle que modifiée notamment par la loi n° 2018-778 pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie. Le Pacte prévoit enfin un "débat public ouvert"sur la question à travers une"information indépendante, objective et de qualité". Cet appel au débat n'est guère contestable. Alors que la manipulation de l'information représente une des menaces les plus importantes auxquels font face nos démocraties et nourrit le populisme, il est plus que jamais nécessaire de favoriser, comme le Pacte nous y encourage, un débat démocratique, contradictoire et fondé sur des arguments rationnels, au sujet des migrations, dans le plein respect de la souveraineté nationale.
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