M. Ludovic Pajot attire l'attention de M. le ministre de l'intérieur sur la dégradation de la situation des forces de l'ordre et de sécurité et plus spécifiquement sur le volume impressionnant d'heures supplémentaires non payées. Les forces de l'ordre sont en première ligne face au développement croissant de l'insécurité dans le pays, sans oublier la menace terroriste qui reste à un niveau particulièrement élevé. La réduction des dotations budgétaires, le gel du point d'indice, ou encore la fiscalisation de l'indemnité journalière d'absence temporaire (IJAT) des membres des compagnies républicaines de sécurité ont déjà durement éprouvé les forces de sécurité. Le contexte actuel de tensions sociales contraint les effectifs à réaliser de nombreuses heures supplémentaires dans le cadre de l'exercice de leur mission. Le volume de ces heures supplémentaires non payées est évalué à plus de 24 millions d'heures, pour un coût évalué à près de 250 millions d'euros. La pression ainsi que l'épuisement auxquels ils sont confrontés ne pourront être réglés par le simple versement d'une prime exceptionnelle. Dans ce contexte, il lui demande donc de bien vouloir lui faire un état des lieux objectif de la situation des forces de l'ordre ainsi que de lui présenter les modalités d'un paiement rapide par l'État des nombreuses heures supplémentaires réalisées.
Unités spécialisées dans les opérations de maintien et de rétablissement de l'ordre public, les escadrons de gendarmerie mobile (EGM) et les compagnies républicaines de sécurité (CRS) sont particulièrement sollicités depuis le début du mouvement dit des « gilets jaunes ». Cette mobilisation a pu monter à plus de 130 unités de forces mobiles dédiées à la seule gestion de ces manifestations certains samedis. Ce niveau d'engagement est probablement inédit par son volume et sa durée et n'a jamais été atteint lors des grands événements d'ordre public des dernières années (Notre-Dame-des-Landes, manifestations des lycéens et étudiants en 2018, championnat d'Europe de football UEFA Euro 2016, COP 21, violences urbaines de 2005, etc.). A titre d'exemple, jusqu'à 106 EGM, sur un total de 109 escadrons composant la totalité de la gendarmerie mobile et 57 CRS sur un total de 60, ont été engagés simultanément (notamment les samedis 8 et 15 décembre 2018) pour intervenir en tout point du territoire. Cette capacité de mobilisation exceptionnelle s'est aussi appliquée outre-mer. La gendarmerie mobile s'est redéployée sur l'Île de La Réunion, en proie à de graves troubles à l'ordre public, par la projection de 2 EGM supplémentaires depuis la métropole. Sur le plan individuel, près de 4 000 militaires de la gendarmerie mobile ont été rappelés alors qu'ils étaient en permissions ou en repos hebdomadaires, soit le tiers de l'effectif global. Au 31 décembre 2018, en raison de cet engagement, chaque gendarme mobile cumulait en moyenne un reliquat de 15 jours de « congés » non pris qu'il faudra réattribuer ultérieurement. De plus, en matière d'élongations horaires, les EGM ont dépassé le cadre de leurs activités habituelles. Ainsi, le 8 décembre 2018, au plus fort de la mobilisation, 76 % des EGM engagés ont dépassé les 12 heures de service (la durée moyenne de service des 37 EGM engagés en région parisienne le 8 décembre 2018 est de 16h09). Sous statut militaire, les GM n'ont pas de régime d'heures supplémentaires et leur emploi n'est pas limité en volume horaire. Le commandement doit cependant préserver la santé et la sécurité de ses personnels en leur attribuant dès que possible 11h00 de récupération physiologique à l'issue de chaque service. S'agissant des CRS de la police nationale, depuis le 17 novembre 2018, les unités de CRS n'ont bénéficié chacune que de 4 week-ends de repos en moyenne. Le plafond d'emploi maximum des unités CRS (40 unités employées par jour, soit 66 % du potentiel opérationnel), fixé de façon à garantir l'efficience du dispositif global d'engagement des unités ainsi que leur capacité de résilience (gestion des droits à repose, instruction des personnels, formation continue et recyclages obligatoires, etc.), a plusieurs fois dû être dépassé. Au 1er mars 2019, chaque policier CRS accumulait ainsi déjà 20 jours de repos non pris. Les durées de vacation ont également fortement augmenté, allant jusqu'à 16 heures sur certaines missions de maintien de l'ordre. A l'occasion de leurs déplacements, gendarmes mobiles et CRS perçoivent une indemnité journalière d'absence temporaire (IJAT). Au titre de la reconnaissance des très fortes sujétions professionnelles qui pèsent sur les forces mobiles (renforcement de la posture Vigipirate, multiplication de certaines formes radicales de contestation, crise migratoire, etc.), le montant de l'IJAT a été porté le 1er janvier 2018 à 44,21€ bruts, soit 40€ nets après déduction des contributions obligatoires (contribution sociale généralisée - CSG et contribution au remboursement de la dette sociale - CRDS), soit une revalorisation de son montant net de 1€. Au-delà des unités de force mobile (EGM ou CRS), de nombreux autres services de police et d'unité de gendarmerie se sont particulièrement mobilisés pour assurer l'ordre public sur l'ensemble du territoire, les week-ends mais également tout au long de la semaine. Cet engagement exceptionnel, tant par sa durée que par la violence à laquelle ont fait face les policiers et les gendarmes, a un coût puisque plus de 1 600 blessés sont à déplorer dans leurs rangs. Le ministre de l'intérieur a conclu le 19 décembre 2018 un protocole d'accord avec les organisations syndicales du corps d'encadrement et d'application de la police nationale. Il porte revalorisation de l'allocation de maîtrise (40 € par mois) et de l'indemnité de sujétion spécifique (revalorisation de 0,5 point) et instaure une négociation sur des sujets structurants (organisation du temps de travail, heures supplémentaires, fidélisation fonctionnelle et territoriale). Par ailleurs, des gratifications spécifiques (prime de résultats exceptionnels) ont également été accordées à plus de 9 300 commissaires, officiers, adjoints de sécurité, personnels administratifs, techniques et scientifiques particulièrement mobilisés dans la gestion des manifestations des « gilets jaunes ». Il a également été décidé de procéder à la revalorisation de l'allocation de mission judiciaire de la gendarmerie, pour les sous-officiers uniquement, de 40€ brut mensuel à compter du 1er janvier 2019. S'agissant enfin des heures supplémentaires des policiers, et comme prévu par le protocole précité de décembre 2018, des négociations sont engagées entre la direction générale de la police nationale et les organisations représentatives des personnels de la police nationale sur divers chantiers. Dans ce cadre, le traitement du sujet complexe et ancien du stock d'heures supplémentaires sera lié aux travaux sur les réformes structurelles. Il représente des enjeux majeurs en termes de capacité opérationnelle des services mais aussi de santé et de bien-être pour les agents. L'administration proposera un plan de régulation du stock et du flux d'heures supplémentaires. Il convient à cet égard de noter que le Gouvernement est disposé à envisager un effort financier majeur, dès lors toutefois que cela s'inscrive dans une réforme qui fasse émerger un régime pérenne, soutenable et juste, permettant en particulier de limiter au strict nécessaire la production des heures supplémentaires. Il sera donc indispensable de définir des mesures de stricte gestion afin de prévenir toute reconstitution de stock.
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