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Paul-André Colombani
Question N° 1534 au Ministère du travail


Question soumise le 3 octobre 2017

M. Paul-André Colombani interroge Mme la ministre du travail sur les difficultés à faire prendre en compte la langue corse dans le recrutement local des entreprises. Une enquête sociolinguistique commandée par la collectivité territoriale de Corse en 2012 fait clairement état du désir du renforcement de l'usage de la langue corse par la quasi-unanimité de la société insulaire. L'insuffisance des prérogatives autorisées par l'État dans le domaine de la langue corse, la mise en place de certaines politiques éducatives (la réforme des collèges, les classes bi-langues), et la prévalence de l'autonomie des établissements par rapport aux objectifs définis et entérinés par l'État et la région dans la convention langue corse, sont autant de contradictions qui rendent difficile et mettent clairement en péril la revitalisation de la langue corse auprès des jeunes générations. Dans le domaine du travail, la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de Corse a refusé la mise en œuvre d'une charte de l'emploi local dans laquelle la langue corse pouvait être reconnue comme compétence valorisante à l'embauche, voire souhaitée mais sans caractère obligatoire ni discriminant. Il s'interroge sur le fondement juridique de ce genre de décisions alors que, d'une part, des langues étrangères non-européennes (chinois, arabe, japonais) sont clairement valorisables dans des processus de recrutement soumis au droit français sans que de telles pratiques soient interdites ou qu'il y ait discrimination, et que, d'autre part, le corse est une langue romane au même titre que le français, faisant donc partie du patrimoine culturel de l'Europe. En outre, le droit de l'Union européenne ne considère pas que l'exigence de compétences linguistiques constitue une discrimination en matière dans l'accès à l'emploi et la langue corse dispose d'une protection patrimoniale au sens de l'article 75-1 de la Constitution. Il est donc circonspect sur le fait que l'anglais ou le chinois puissent être légalement exigés comme préalable obligatoire afin de refuser une candidature à un emploi alors que la simple valorisation, facultative, de la langue corse serait considérée comme illégale. Il souhaiterait connaître son opinion sur cette question.

Réponse émise le 5 décembre 2017

Afin de favoriser le développement économique et social de la Corse, la présidence de l'Assemblée de Corse a élaboré un protocole d'accord en vue de signer avec les entreprises, le secteur public, les syndicats, les chambres consulaires, les acteurs de la formation et les organismes chargés de la diffusion des offres d'emploi et de l'accompagnement des demandeurs d'emploi et des salariés, une « charte en faveur de l'emploi local en Corse ». Par leur adhésion à cette charte, les signataires s'engagent à mener certaines actions destinées à favoriser le développement économique et social de la Corse. L'une des actions ainsi décrite dans la charte consiste à favoriser l'usage de la langue corse dans le recrutement local des entreprises corses. Néanmoins, l'utilisation de la langue corse comme critère de valorisation, à compétences suffisantes pour l'accès à l'emploi local constitue une discrimination à l'embauche contraire à la Constitution en son article 1er qui dispose que « (…) la langue de la République est le Français (…°). » L'existence d'une charte ainsi rédigée est également contraire aux dispositions de l'article L.1132-1 du code du travail relatif à la discrimination à l'embauche en raison du lieu de résidence. Une telle discrimination est sanctionnée par les peines prévues aux articles L.225-1 et L. 225-2 du code pénal. En effet, la maîtrise de la langue et de la culture corse comme compétences valorisables ne peuvent être valablement exigées lors d'une embauche que si elles présentent un lien direct et nécessaire avec l'emploi proposé, conformément à l'article L.1133-1 du code du travail. Selon cet article, une différence de traitement entre candidats lors d'une procédure de recrutement doit répondre à une exigence professionnelle essentielle et déterminante et il faut que l'objectif soit légitime et l'exigence proportionnée. Ce qui n'est pas démontré en l'espèce. Cette prescription impérative du droit du travail français s'applique de la même manière à toutes les autres langues et cultures non françaises. De ce fait, cette règle doit aussi être strictement respectée lorsqu'il s'agit de favoriser à l'embauche une personne maîtrisant une langue ou une culture étrangère non européenne telle que le chinois, l'arabe ou le japonais. Il en résulte que l'application de tout critère d'embauche au plan local fondé sur la maitrise de la langue corse, fût-ce un critère facultatif,  ne peut pas être envisagée. Un critère de cette nature enfreint plusieurs principes à valeur constitutionnelle tel que le principe d'égalité des citoyens devant la loi qui interdit toute rupture d'égalité entre personnes de droit public comme de droit privé et toute distinction d'origine géographique, religieuse ou ethnique, sauf base constitutionnelle expresse,  laquelle n'est pas prévue par les textes pour la Collectivité territoriale de Corse à statut particulier. En conséquence, le projet de charte de la collectivité de Corse en faveur de l'emploi local ne peut légalement introduire une clause de faveur même facultative et à compétences suffisantes au profit des personnes maîtrisant la langue corse. Cela explique les réserves de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) de Corse qui, expressément interrogée par des entreprises sur la conformité d'une telle pratique au droit français, a répondu en appelant l'attention des entreprises et des partenaires sociaux sur les risques de contentieux et/ou de poursuites civile et pénale encourus.

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