M. Guillaume Larrivé signale à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice, le jugement du 13 décembre 2018 par lequel le conseil des prud'hommes de Troyes a cru pouvoir écarter, comme contraires aux stipulations de la convention 158 de l'Organisation internationale du travail (OIT) et de la Charte sociale européenne, des dispositions relatives au barème des indemnités prud'homales définies par les ordonnances ratifiées par la loi n° 2018-217 du 29 mars 2018. Il lui demande si, à l'exemple de la procédure prévue pour les exceptions d'inconstitutionnalité, il ne lui apparaît pas nécessaire de créer un mécanisme de filtre permettant de réserver aux cours suprêmes des ordres judiciaire et administratif la faculté de déclarer inconventionnelles des dispositions législatives.
Les conseils de prud'hommes de Toulouse et de Louviers ont saisi la Cour de cassation d'une demande d'avis relative à la conventionnalité de l'article L. 1235-3 du code du travail, en application des articles L. 441-1 et suivants du code de l'organisation judiciaire et 1031-1 et 1031-2 du code de procédure civile. L'article L. 1235-3 CT encadre le montant de la réparation due par l'employeur en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse, calculée en mois de salaire et variable selon la taille de l'entreprise et l'ancienneté du salarié. Dans son avis, rendu le 17 juillet 2019, en Assemblée plénière, la Haute juridiction a estimé que les dispositions de l'article L. 1235-3 du code du travail, dans leur rédaction issue de l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 relative à la prévisibilité et la sécurisation des relations de travail, n'entrent pas dans le champ d'application de l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (CSDHLF). Par ailleurs, ces dispositions ne sont pas inconventionnelles, au vu l'article 10 de la Convention n° 158 de l'Organisation internationale du travail, et de l'article 24 de la Charte sociale européenne révisée sans effet direct en droit interne dans un litige entre particuliers. Au préalable, la Cour considère que la question de la compatibilité d'une disposition de droit interne avec les dispositions de normes européennes et internationales peut faire l'objet d'une demande d'avis, dès lors que son examen implique un contrôle abstrait ne nécessitant pas l'analyse d'éléments de fait relevant de l'office du juge du fond. La demande d'avis répond à la nécessité de contribuer à la bonne administration de la justice, à l'affirmation de l'autorité du droit et au renforcement de la sécurité juridique, par une limitation des oscillations jurisprudentielles préjudiciables aux justiciables. Ainsi, en application de l'article L. 441-1 du code de l'organisation judiciaire, tout juge judiciaire peut par une décision non susceptible de recours saisir la Cour de cassation avant de statuer sur une question de droit nouvelle, présentant une difficulté sérieuse et se posant dans de nombreux litiges. Au demeurant, l'application des droits et principes fondamentaux reconnus par la CSDHLF incombe à tout juge, quel que soit le degré de la juridiction saisie. Dans ces conditions, instituer un filtre en matière de contrôle de la conventionnalité des lois irait à l'encontre de la compétence des juges du fond qui, par exemple, sont seuls habilités à apprécier la nature d'un dommage et l'évaluation du préjudice en découlant. Par ailleurs, le filtre institué en matière constitutionnelle répond à l'objectif de ne pas engorger le Conseil constitutionnel par des demandes irrecevables ou infondées, d'une part, et d'assurer prioritairement le contrôle de consitutionnalité, en cas de recours concurrent sur le terrain de la conventionnalité. S'agissant de la compatibilité des lois aux conventions internationales, la situation est différente, puisque la proposition tendrait à créer un régime d'autosaisie des Hautes juridictions, qui, par nature, au vu de la dualité des ordres de juridictions, ne peuvent être assimilées à des cours suprêmes, au sens de l'article 3 de la Constitution américaine du 17 septembre 1787. En outre, les conventions internationales peuvent, à l'instar de la convention n° 158 sur le licenciement, prévoir un régime de recours impliquant la saisine, d'un « tribunal, un tribunal du travail, une commission d'arbitrage ou un arbitre ». En application de ces stipulations, c'est bien au juge du fond qu'il appartient de trancher la question de la compatibilité d'une disposition de droit interne avec une stipulation conventionnelle, y compris même lorsque le Conseil constitutionnel a reconnu précédemment cette compatibilité, en application de l'article 62 de la Constitution. La qualité du contrôle de la conventionnalité des lois par l'ensemble des juges répond à la lettre et à l'esprit de l'article 55 de la Constitution. Remettre en question l'équilibre existant par la voie d'une simplification apparente, ne ferait que déstabiliser la cohérence d'ensemble du dispositif.
Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette question.