M. Matthieu Orphelin attire l'attention de Mme la ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation sur la place prise par le crédit impôt recherche, dit CIR, dans le budget national. Il souhaite porter à son attention l'inquiétude d'un citoyen sur ce sujet, l'ayant interpellé via le dispositif « Questions citoyennes au Gouvernement ». Ce citoyen s'inquiète du montant de 5,5 milliards d'euros annuel accordé à diverses entreprises via ce dispositif, car ne se fondant pas assez selon lui sur des analyses de l'intérêt social ou économique de l'activité financée, et sans discriminer non plus la taille ou la politique sociale de l'entreprise concernée. Certaines entreprises bénéficiaires du CIR sont des banques, des assurances, ou encore des multinationales, qui pour certaines ont procédé à des délocalisations, en dépit de ces subventions issues de la solidarité nationale. Ce montant de 5,5 milliards d'euros semble à ce citoyen d'autant plus disproportionné, une fois rapporté, par exemple, au budget consolidé du CNRS qui pour 2016 n'est en comparaison « que » de 2,5 milliards d'euros pour les subventions des ministères de tutelle (hors mise en réserve), plus 730 millions d'euros de ressources propres. Selon le site internet du Sénat, le CIR constitue d'ailleurs de loin la principale dépense fiscale de la MIRES (mission interministérielle recherche et enseignement supérieur). Dans le même temps, selon les experts de l'OCDE, la croissance des dépenses globales françaises de recherche et développement sur les 15 dernières années sont bien moins fortes, à titre d'exemple, que celles de l'Allemagne ou de l'Angleterre. Ainsi, il souhaiterait savoir si des pistes pouvaient être étudiées pour que soient implémentés des moyens de garantir que les fonds attribués au travers du CIR répondent bien à une stratégie nationale.
Depuis une dizaine d'années et dans de nombreux pays, les incitations publiques à la recherche et développement (R&D) des entreprises privées se sont développées sous la forme d'incitations fiscales, plutôt que sous celle des subventions directes. C'est le cas de la France, qui a instauré un crédit d'impôt recherche (CIR) dès 1983, et l'a beaucoup renforcé depuis 2004. Le CIR est justifié par l'existence d'externalités de connaissances (impossibilité pour les entreprises de s'approprier l'ensemble des bénéfices générés par les connaissances créées par leurs activités de R&D) et par la nécessité de combler d'autres défaillances de marché (notamment difficultés de financement par le marché des activités de R&D en raison de leur caractère risqué, présence d'asymétries d'information entre prêteurs et emprunteurs sur la rentabilité attendue des projets de R&D) qui conduisent à un sous-investissement des entreprises en R&D au regard des besoins de l'économie. Le CIR apparaît également comme un soutien important pour d'autres dispositifs publics comme les pôles de compétitivité, les instituts Carnot, les JEI ou encore les efforts en faveur de l'insertion des docteurs. Le CIR est un dispositif fiscal qui permet aux entreprises de bénéficier d'un crédit d'impôt au titre des dépenses de R&D qu'elles exposent au cours de l'année. A ce titre, il s'inscrit dans un système déclaratif, les entreprises qui souhaitent en bénéficier le faisant de leur propre initiative. La seule intervention de l'Etat consiste en sa mission de contrôle de la réalité de ces dépenses, contrepartie indispensable du système déclaratif compte tenu de son effet dissuasif par rapport aux abus. Par ailleurs, la caractéristique d'une mesure fiscale est sa neutralité. Pour pouvoir être compatibles avec ces règles et ne pas être qualifiées d'aides d'État interdites par les articles 107 et 108 du traité de l'Union européenne, les mesures fiscales doivent être ouvertes à toutes les entreprises sur la base d'une égalité d'accès et leur portée ne peut être de facto réduite, par exemple, par le pouvoir discrétionnaire de l'État dans leur octroi ou par d'autres éléments qui restreignent leur effet pratique. C'est le cas du CIR qui s'adresse à toutes les entreprises quels que soient leur activité, leur taille, la date de leur création ou leur chiffre d'affaires. Le CIR ne peut donc pas s'inscrire dans une stratégie nationale sectorielle, en tant que telle, car cela supposerait une intervention de l'État dans l'octroi de l'avantage, intervention qui est incompatible d'une part avec le fonctionnement d'un système déclaratif et, d'autre part avec les règles communautaires. De ce fait, il n'y pas de différence théorique de traitement des entreprises. Toutefois, le paramétrage même du dispositif (taux différenciés selon le montant de R&D) conduit en pratique à être plus restrictif pour les grandes entreprises. Ainsi, en 2015, près de 14 100 entreprises sont bénéficiaires du CIR. Parmi celles-ci près de 95 % sont des entreprises de moins de 250 salariés et elles reçoivent 34 % de la créance alors qu'elles ne représentent que 31% des dépenses engagées. Alors que le taux moyen de la créance est de 30 % pour les petites et moyennes entreprises, il n'est que de 24 % pour les bénéficiaires de plus de 5000 salariés. Outre l'objectif global d'accroissement des dépenses de R&D des entreprises, le CIR vise également à favoriser la diffusion du savoir issu de la recherche publique. Dans cet objectif, les dépenses de sous-traitance auprès d'entités publiques ou assimilées, sans lien de dépendance avec le donneur d'ordre, sont retenues pour le double de leur montant dans l'assiette du crédit d'impôt recherche. Autrement dit, ces dépenses bénéficient d'un taux de CIR double. La sous-traitance de travaux de recherche à des organismes publics est une composante du transfert des résultats de la recherche publique vers les entreprises, lequel permet d'accroître les effets des externalités de la recherche publique sur l'innovation. Pour les entreprises, il constitue un moyen de renforcer leur capacité d'innovation en accédant à de nouvelles connaissances et notamment en leur permettant d'engager des travaux de recherche fondamentale, plus souvent à l'origine d'innovations de rupture. Pour les acteurs publics, il est un moyen d'accéder aux ressources des entreprises et à de nouveaux axes de recherche. Selon l'enquête annuelle sur les moyens consacrés à la R&D dans les entreprises, les dépenses de R&D sous-traitées à des « organismes publics » s'élèvent à près de 700 M€ en 2015. Enfin, le CIR a fait l'objet de plusieurs études d'évaluation et de rapports officiels. Ces différentes analyses statistiques permettent de conclure à un effet positif du CIR sur les dépenses de R&D des entreprises, qui ont continué de s'accroître malgré un impact négatif fort de la désindustrialisation depuis le début des années 2000. En mars 2019, la commission nationale d'évaluation des politiques d'innovation va rendre un avis sur le CIR, qui devrait alimenter les réflexions sur ce dispositif fiscal.
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