M. Franck Marlin appelle l'attention de M. le ministre de l'économie et des finances sur le risque de cumul de sanction et de la nécessité de prévoir un sursis à statuer au pénal en cas de contestation d'une imposition devant le juge de l'impôt, lorsqu'une personne est à la fois poursuivie pour fraude fiscale et pour le recouvrement d'une imposition supplémentaire. En effet, le juge judiciaire rendant ses décisions beaucoup plus rapidement que le juge administratif, il arrive fréquemment qu'une personne soit condamnée pénalement avec inscription au casier judiciaire de la sanction (prison, amende, solidarité de paiement, etc.) complétée d'une éventuelle interdiction de gérer immédiate ou autre peine complémentaire, bien qu'ultérieurement, le juge de l'impôt procède à une décharge des impositions litigieuses. Or, dans ce cas précis, la personne condamnée pénalement à tort subit un réel préjudice moral et financier définitif, qui est contraire au principe de la présomption d'innocence, du respect des biens et des droits de la défense ou encore à un procès équitable et de légalité et de proportionnalité des délits et des peines. En outre, quand une même personne est à la fois poursuivie au titre de l'article 1728 du CGI pour absence de déclaration ou dépôt tardif et au titre des articles 1729 et suivants du CGI pour manquement délibéré sur insuffisance de déclaration, c'est-à-dire pour mauvaise foi, dans la proposition de rectification, ainsi qu'au titre des articles 1741 et suivants du CGI pour s'être frauduleusement soustrait à l'établissement ou au paiement de l'impôt devant le tribunal correctionnel, il apparaît que la personne peut être sanctionnée deux fois pour les mêmes faits ce qui est rigoureusement contraire au principe du non bis in idem prévu en droit interne et à la règle consacrée dans la Convention européenne des droits de l'Homme à l'article 4, paragraphe 1 du Protocole additionnel n° 7 et dans la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne à l'article 50. Aussi, il le remercie de bien vouloir lui indiquer si le Gouvernement entend désormais imposer une obligation de sursis à statuer au pénal, comme il existe au civil, dans l'attente de la décision du juge de l'impôt et s'il entend prendre des mesures afin d'éviter tout cumul de peines contraire aux droits fondamentaux des citoyens et aux engagements internationaux de la France.
Par ses deux décisions nos 2016-545 QPC et 2016-546 QPC, du 24 juin 2016, le Conseil constitutionnel a statué sur le cumul des sanctions fiscales et pénales, telles que prévues aux articles 1729 et 1741 du code général des impôts. Il a déclaré ces dispositions conformes aux principes de nécessité et de proportionnalité des peines sous réserve, notamment, qu'un contribuable déchargé de l'impôt, par une décision juridictionnelle devenue définitive, pour un motif de fond ne puisse pas être condamné pour fraude fiscale. Le Conseil constitutionnel a ainsi rappelé que : « Si une condamnation, pour fraude fiscale, est exclue lorsqu'une juridiction aura définitivement déchargé le contribuable de l'impôt dû pour un motif de bien-fondé, cela n'empêche pas l'engagement des deux procédures. Par ailleurs, le juge pénal conservera toute latitude pour apprécier les autres éléments de la fraude fiscale. De la même manière, le juge de l'impôt demeurera tenu par les constatations matérielles faites par le juge pénal, lorsque ce dernier a statué, mais non par la qualification ou l'interprétation qui en a été faite ». La décharge de l'impôt accordée pour un motif de procédure ne saurait donc suffire à exclure des poursuites puis une éventuelle condamnation en matière pénale. Par ailleurs, dans le cadre de contentieux administratifs faisant suite à un contrôle fiscal sur place, 84 % des jugements rendus en 2016 sont totalement ou partiellement favorables à l'administration. L'existence d'un recours en contestation de l'impôt ne justifie donc pas l'octroi systématique d'un sursis à statuer du juge pénal, dans l'attente de la décision du juge de l'impôt. Enfin, le cumul de sanctions pénales et fiscales n'apparaît pas contraire à la portée que donnent tant, la Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH), que la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE), au principe non bis in dem. Dans son arrêt de Grande Chambre rendu le 15 novembre 2016 dans l'affaire A et B c. Norvège (requêtes no 24130/11 et no 29758/11), la CEDH a ainsi conclu à l'absence de répétition de procès ou de peine, proscrite par l'article 4 du protocole additionnel no 7 de la Convention européenne des droits de l'Homme, lorsque les procédures fiscale et pénale sont unies par un « lien matériel et temporel suffisamment étroit ». De la même manière, dans un arrêt du 20 mars 2018 rendu dans l'affaire Menci, la CJUE a admis le principe du cumul des sanctions fiscales et pénales, en indiquant qu'il appartient aux juridictions nationales compétentes, de s'assurer que les droits des accusés découlant du principe de légalité des délits et des peines soient garantis.
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