Mme Muriel Ressiguier interroge M. le ministre de la culture sur les risques de dérive marchande et de maintien des inégalités culturelles que fait courir le Pass culture. Le partenariat étroit qui lie dans le Pass culture la personne publique et les opérateurs privés laisse augurer d'un nouveau stade de marchandisation de la culture en France. Le Pass repose en effet sur un modèle économique qui mêle des partenariats privés et de l'argent public. Les 500 euros de pouvoir d'achat qui seront alloués à tous les jeunes Français de 18 ans doivent ainsi transiter par un compte de monnaie électronique. Ce système nécessite des partenaires bancaires pour gérer ces flux. L'intérêt que voient les établissements bancaires dans leur association au Pass est la fidélisation potentielle des jeunes à leurs produits. Dans les faits, ils abonderaient chaque compte de monnaie électronique ouvert à hauteur de 60 à 100 euros, soit 20 % des ressources du Pass, en l'état actuel des négociations. Le Pass culture ouvre ainsi la porte de la politique culturelle aux intérêts des banques qui voient les jeunes comme un public à toucher et à retenir. Plus globalement, les partenaires privés devraient financer le Pass à hauteur de 80 % au total. L'intrusion des intérêts lucratifs dans ce dispositif est exemplaire de la tendance lourde des gouvernants à inclure du sponsoring privé dans les services publics et les événements culturels, tendance déplorée par l'ancien ministre M. Jack Lang, précisément à propos du Pass culture. Plus encore et de manière inquiétante, la perspective du recours direct au mécénat serait en ce moment à l'étude : la structure gestionnaire serait ainsi éligible à recevoir du mécénat, une éligibilité qui pourrait même concerner les offreurs culturels publics. Enfin, l'intrusion des intérêts privés est illustrée par les opérateurs du tourisme qui, en cas de succès du Pass, se sont déclarés ouverts à une participation. Il en est de même pour plusieurs grandes entreprises qui y voient l'occasion de décalquer à une échelle plus vaste ce qu'elles font déjà en interne en orientant la consommation culturelle de leurs salariés, notamment au sein des comités d'entreprise. En outre, l'offre que représente le Pass culture, loin de répondre aux objectifs de démocratisation culturelle qui lui sont assignés, renforce une double inégalité : inégalité de capital culturel entre les jeunes, inégalité de moyens de communication entre les offreurs culturels. Plus encore, le Pass culture entérine des inégalités de fait entre les établissements culturels, qui ne possèdent pas les mêmes moyens de se faire connaître et de se montrer attractifs aux yeux des jeunes. Le risque existe bel et bien, à l'image des dérives qu'a connues l'Italie qui a mis en place une offre similaire, que le Pass profite d'abord aux grandes industries du spectacle et du divertissement et aux géants du numérique. À cet égard, il est par exemple possible à ce stade de s'abonner à une chaîne de télévision par péage en utilisant la cagnotte du Pass. La stratégie retenue par le ministère souffre enfin de certaines limites. On peut ainsi craindre un effet mille-feuille avec les offres culturelles déjà existantes au niveau de certaines métropoles (Strasbourg, Lyon) ou régions (pour la région Occitanie : la carte jeune région Occitanie pour les lycéens, la carte YOOT pour les étudiants). Enfin, le montant du Pass est clairement insuffisant, si l'on considère que dans le cas de certaines activités (telles que des cours en école de musique), son plafond sera rapidement atteint. Le Pass culture est l'exact contraire de la vision de la culture que porte la France insoumise. Une politique culturelle ne peut avoir de sens que si elle cherche réellement à émanciper les individus. Elle doit permettre de libérer les citoyens de l'influence des intérêts marchands, notamment de la publicité. Elle doit également fédérer toute la population et encourager la diversité des identités et des pratiques, selon la logique des droits culturels protégés par la convention de l'UNESCO sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles de 2005. Aussi l'ambition pour la culture que la France insoumise défend a une dimension territoire, vis-à-vis des territoires les plus éloignés des centres culturels, et une dimension éducative importante qui concerne les enfants dès l'école primaire. La démocratisation culturelle est une noble entreprise qu'on ne peut confier aux entreprises. Elle suppose nécessairement des moyens ciblés vers les publics les plus éloignés des centres culturels, tant socialement que géographiquement. Dans ces conditions, elle lui demande pourquoi le Gouvernement brade l'accès à la culture, vitale pour la formation des futurs citoyens, aux intérêts privés.
Le pass Culture est un outil supplémentaire d'accès à la culture pour les jeunes, visant à lever un certain nombre de freins qui limitent leurs pratiques culturelles. Il a été co-construit avec de jeunes utilisateurs, pour répondre à leurs besoins et bâtir un outil qui soit au niveau de leurs attentes en terme d'ergonomie et de service rendu. Les collectivités, réseaux culturels, éducatifs et sociaux éducatifs et, d'une manière générale, tous les services publics de proximité en lien avec les jeunes générations, se sont mobilisés pour accompagner les premiers pas du pass Culture. Son déploiement progressif sur le territoire a été conçu selon une logique expérimentale, pour qu'à l'issue de chaque étape une évaluation soit conduite afin d'améliorer le dispositif. Un certain nombre de craintes exprimées sont infondées : le dispositif lui-même n'est pas un portefeuille électronique dont disposerait le jeune, mais un système de remboursement direct par la société pass Culture aux acteurs culturels des biens et services utilisés par le bénéficiaire. La recherche de ressources propres est une condition à terme de la pérennité du dispositif, mais se fera dans des conditions visant à respecter les fondements du projet, à savoir permettre l'accès de tous les jeunes concernés par l'expérimentation aux propositions culturelles, sans engagement financier de leur part. L'engagement financier est en revanche celui de l'État, par l'intermédiaire de la société pass Culture, consistant à permettre aux jeunes de réserver des offres culturelles à concurrence de 500 euros. Les premiers chiffres issus de l'expérimentation entre le 1er février et le 28 octobre 2019 font état de près de 72 000 réservations effectuées par les 26 000 jeunes ayant ouvert un compte pass Culture. Le premier bien réservé est le livre (45 %), loin devant les concerts et la musique en ligne (12 % chacun respectivement). De nombreuses offres gratuites sont également proposées, ne réduisant pas la culture aux seules pratiques payantes. Sans pouvoir en tirer des conclusions définitives sur les pratiques culturelles permises par le pass Culture, on peut cependant constater que ce sont les offres proposées par des acteurs locaux qui sont les plus utilisées par les jeunes à ce stade. Tout au long de cette phase d'expérimentation, le dispositif fera l'objet d'évaluations régulières avant sa généralisation sur l'ensemble du territoire, afin de mesurer son impact sur les pratiques culturelles des jeunes.
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