M. Alexis Corbière interroge Mme la garde des sceaux, ministre de la justice, sur la répression déclenchée à l'encontre du mouvement des gilets jaunes depuis le 17 novembre 2018. En France, l'inégale répartition des richesses, la concentration des pouvoirs entre les mains du Président de la République et la menace climatique ont conduit à l'émergence soudaine d'un vaste mouvement populaire auto-organisé et indépendant des étiquettes politiques traditionnelles. Plutôt que d'accéder aux demandes légitimes issues de ce mouvement, le Gouvernement a fait le choix d'une réponse répressive se déclinant sous plusieurs formes. Depuis le début de la mobilisation, selon les décomptes réalisés par plusieurs observateurs, on dénombre près de trois mille blessés, dix-sept personnes éborgnées et cinq mains arrachées. À l'origine de ce terrible bilan, la banalisation de l'usage d'armes intermédiaires, dites non-létales, mais provoquant des blessures irréversibles, voire le décès des personnes visées. Cette doctrine du maintien de l'ordre basée sur la répression sans retenue de la force vise à dissuader les personnes d'exercer leur droit de manifester. La même logique est à l'œuvre à l'échelle judiciaire. Pour preuve, les interpellations préventives, devenues systématiques, ne débouchent bien souvent sur aucune suite judiciaire, faute de motifs valables. Ces réponses répressives, policière et judiciaire, ont été accentuées par l'adoption de la loi dite « anticasseur » confirmant cette dérive autoritaire. En conférant aux préfets la possibilité de prononcer des interdictions administratives de manifester, c'est l'indépendance judiciaire qui s'efface au profit du contrôle politique. Or, s'il existe un bilan de la répression policière, aucun décompte total et détaillé du nombre de procédures judiciaires engagées depuis le début du mouvement n'a été communiqué à ce jour. En vue d'exercer son pouvoir de contrôle parlementaire, il lui demande donc de lui communiquer les chiffres détaillés sur l'ensemble des interpellations, gardes à vues, rappels à la loi, interdictions de manifester, amendes, poursuites engagées par le parquet sous toutes ses formes, et des condamnations définitives prononcées par les tribunaux depuis le début du mouvement le 17 novembre 2018.
Le droit de manifester est un droit constitutionnellement garanti par le septième alinéa du préambule de la constitution de 1946, et dont la valeur n'a cessé d'être affirmée par le Conseil Constitutionnel (2007-556 DC du 16 août 2007). Le ministère de la justice veille attentivement au respect de cette liberté individuelle. Toutefois le droit de manifester doit pouvoir s'exercer dans un cadre préservé d'atteinte à l'ordre public et c'est dans ce contexte et dans la continuité de la circulaire du 20 septembre 2016 relative à la lutte contre les infractions commises à l'occasion des manifestations et autres mouvements collectifs, que le ministère de la justice a été amené à adresser une circulaire en date du 22 novembre 2018 et une dépêche en date du 6 décembre 2018 précisant les moyens mis à la disposition de l'ensemble des parquets pour prévenir la commission d'infractions troublant gravement l'ordre public. Ces instructions rappellent les conditions dans lesquelles des individus mis en cause peuvent faire l'objet d'une mesure de garde à vue, sous le contrôle du procureur de la République, qui assure la sauvegarde des droits reconnus par la loi aux personnes gardées à vue. Depuis le 17 novembre 2018, les débordements survenus en marge du mouvement des gilets jaunes ont entraîné le placement en garde à vue d'un peu plus de 9.000 personnes. Les suites judiciaires qui ont été données par les magistrats à ces gardes à vue s'analysent comme suit. On dénombre un peu plus de 150 jugements de relaxe et environ 1800 décisions de classement sans suite pour insuffisance de charge ou irrégularité de la procédure. Pour ce qui est des faits les moins graves, environ 1800 décisions d'alternatives aux poursuites ont été prises par les procureurs (essentiellement des rappels à la loi). Un peu moins de 4000 affaires ont fait l'objet de renvoi devant les tribunaux. On dénombre un peu moins de 1800 affaires en attente de jugement. Il s'agit d'un chiffre en constante évolution puisque régulièrement des enquêtes sont menées à leur terme et permettent aux parquets de prendre des décisions supplémentaires de renvoi devant le tribunal. Environ 2000 condamnations ont été prononcées. Il s'agit là aussi d'un chiffre qui est en constante consolidation. Pour ce qui est des peines prononcées, environ 40 % des condamnations ont donné lieu au prononcé de peine d'emprisonnement ferme. Les quantums de peine prononcés sont très variés et s'étalent entre quelques mois et 3 ans. Environ 400 mandats de dépôt ont été décernés (soit à titre d'écrou, soit dans le cadre d'une détention provisoire). Les peines alternatives à l'emprisonnement ferme (sursis intégral, sursis avec mise à l'épreuve intégral, sursis-TIG ou amende) représentent quant à elles près de 60 % des peines prononcées. La peine d'interdiction de séjour, notamment à Paris, est fréquemment prononcée à titre complémentaire, notamment dans le cadre des comparutions immédiates. Les magistrats du siège ont ainsi, dans le cadre de leur indépendance statutaire, fait le choix de sanctions adaptées et équilibrées. Enfin, de nombreuses enquêtes ou informations judiciaires sont actuellement toujours en cours.
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