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Sébastien Leclerc
Question N° 17735 au Ministère de l'intérieur


Question soumise le 12 mars 2019

M. Sébastien Leclerc interroge M. le ministre de l'intérieur sur le sujet de l'utilisation des munitions à base de gaz lacrymogènes par les forces de l'ordre, lors des manifestations sur la voie publique dans le cadre du mouvement des « Gilets jaunes ». Il lui fait part d'un nombre anormalement élevé de retour qu'il a de citoyens qui ont été atteints par ces tirs de gaz alors qu'ils manifestaient pacifiquement ou même tout simplement se trouvaient en centre-ville à l'occasion d'une manifestation. Il lui rapporte que ces personnes ont régulièrement constaté que les emballages de ces projectiles portaient mention de dates de fabrication et de dates d'utilisation parfois dépassées de 10 années, ce qui n'est pas sans interroger lorsque l'on connaît le principe d'une dangerosité accrue qu'a ce gaz en vieillissant. Il lui rappelle que l'usage de ces gaz lacrymogènes a été interdit en temps de guerre par la Convention internationale sur les armes chimiques de Genève, en 1993 et qu'en avril 2015, le Défenseur des droit relevait dans un rapport que « la police allemande n'utilise pas de gaz lacrymogène, considérant que des personnes non agressives ou non violentes pourraient en subir les effets indûment ». Il lui demande de bien vouloir lui préciser quelle quantité de grenades de gaz lacrymogène a été utilisée par les forces de l'ordre depuis le début des manifestations des « Gilets jaunes ».

Réponse émise le 26 mai 2020

Corollaire de la liberté d'expression, le droit de manifester est une liberté garantie par la Constitution. Les forces de l'ordre concourent à l'exercice de ce droit. Les services d'ordre ont en effet pour but d'assurer la sécurité des biens et des personnes et donc le libre exercice de ce droit. En cas de débordements, les opérations de maintien et de rétablissement de l'ordre public impliquent l'emploi de différents matériels et moyens destinés à préserver ou rétablir l'ordre public. L'action des forces de sécurité intérieure dans les missions de maintien de l'ordre s'inscrit naturellement dans les principes législatifs et réglementaires. Dans un Etat de droit, il est en effet impératif que le recours à la contrainte, parfois nécessaire et au besoin au moyen des armes, soit gradué et proportionné et s'exerce dans le respect du droit. C'est pour répondre à ces exigences que les forces de l'ordre disposent d'une législation et d'une gamme de techniques ou de moyens divers pour rétablir l'ordre public, pour protéger la sécurité des personnes et des biens, ou pour faire face aux menaces auxquelles elles sont exposées. Les armes de force intermédiaire permettent à cet égard de faire face à des situations dégradées pour lesquelles la coercition physique est souvent insuffisante mais qui nécessitent une riposte immédiate, notamment pour faire face à des groupes armés ou violents. Le code de la sécurité intérieure liste de manière exhaustive ces armements et définit les conditions dans lesquelles ils peuvent être utilisés. Il en est ainsi, par exemple, des moyens lacrymogènes (diffuseur, grenade lacrymogène et fumigène, etc.). L'emploi de ces moyens permet en particulier d'éviter, lors de mouvements de foule, ou lorsque les forces de l'ordre sont prises à partie par des groupes armés ou violents, les risques inhérents à des contacts physiques directs avec les fauteurs de troubles et à préserver leur intégrité physique en évitant l'usage d'autres moyens présentant plus de risques. Il permet la dispersion de foules et d'éviter l'enfoncement ou le contournement des dispositifs mis en place par les forces de l'ordre. Il peut aussi viser à la neutralisation d'une personne menaçante ou dangereuse. L'emploi de moyens lacrymogènes relève donc du cadre légal d'emploi de la force. A ce titre, leur usage n'est possible que lorsque les conditions requises par la loi l'autorise et répond en particulier aux critères de nécessité, de proportionnalité et de gradation. L'emploi de certains moyens lacrymogènes répond en outre à des règles supplémentaires spécifiques particulièrement strictes (nécessité de disposer d'une habilitation individuelle obtenue après une formation et avec le suivi d'une formation continue, etc.). L'usage des grenades lacrymogènes n'intervient qu'après un ordre de dispersion et trois sommations qui annoncent l'usage de la force, sauf en cas de violences ou de voies de fait exercées contre les forces de l'ordre. Si une exposition résiduelle au gaz lacrymogène peut être subie par des manifestants qui quittent la zone où elles sont lancées, ceux qui se maintiennent délibérément sur place sont auteurs, a minima, du délit prévu à l'article 431-4 du code pénal. Aussi, si l'effet d'une grenade lacrymogène peut toucher de manière indifférenciée un groupe de manifestants, ceux-ci ont pour point commun d'avoir voulu s'inscrire et se maintenir dans l'illégalité. Par ailleurs, il convient de souligner que la légitimité de l'usage de la force ne s'apprécie pas par rapport au résultat ou au dommage qu'il peut éventuellement produire. L'usage de la force, voire des armes, peut en effet aboutir à blesser un individu, sans que la légitimité de cet usage puisse être remise en cause. Le cas échéant, c'est parfois au terme d'investigations judiciaires ou d'une enquête administrative pré-disciplinaire que la légitimité de l'usage de la force peut être retenue ou écartée. A cet égard, dans le contexte des « manifestations » des « gilets jaunes », il convient de souligner le comportement inconscient de certains manifestants voire d'émeutiers consistant à ramasser certaines grenades lacrymogènes pour les relancer sur les forces de l'ordre, ce qui présente un risque pour les individus concernés. A la différence d'autres armes de force intermédiaire, l'utilisation des moyens lacrymogènes ne figure pas dans les enregistrements prévus dans la base de données dénommée « traitement relatif au suivi de l'usage des armes ». Le nombre des grenades lacrymogènes utilisées ne peut donc pas être évalué à partir du fichier habituellement consulté pour procéder à ce type de comptage, a fortiori pour un mouvement social spécifique. Aucun recensement national ad hoc centralisé n'est non plus effectué. S'agissant des produits eux-mêmes, communément appelés « gaz lacrymogènes », ils ne sont en fait ni gaz, ni agents incapacitants. En ce qui concerne leur éventuelle toxicité, parmi les policiers chargés du maintien de l'ordre, qui sont régulièrement soumis à une exposition à des gaz lacrymogènes, la médecine de prévention du ministère de l'intérieur n'a eu à connaître d'aucune remontée significative qui pourrait faire évoquer un lien direct entre d'une part l'exposition au CS (orthochlorobenzylidène malononitrile ; produit de synthèse chimique - de faible toxicité), qui constitue la molécule active du gaz lacrymogène, et d'autre part certaines pathologies chroniques ou évolutives possibles (pathologies respiratoire, ophtalmologiques, etc.). Les symptômes retrouvés habituellement chez l'homme sont dus à une exposition aiguë. En effet les irritations sont les plus fréquentes et se manifestent sur l'œil, la peau, le tractus respiratoire. Peuvent s'y ajouter des troubles digestifs et des céphalées. L'exposition aigüe n'implique généralement pas d'effet à long terme : l'effet irritant disparaît rapidement (15 à 30 min) après « décontamination » (à grande eau et éviction du produit) et les éventuels effets secondaires disparaissent généralement dans la journée. Ces produits sont par ailleurs acquis par les forces de l'ordre en tenant compte de la composition (excipients et produits solvants) et du dosage des composants. Il convient enfin de souligner que la molécule active (oléorésine de capsicum - OC, vanillylamide de l'acide pélargonique - PAVA , etc.) des produits employés dans d'autres pays n'est pas celle (CS) composant les moyens en dotation au sein des forces de l'ordre en France. En l'espèce comme en toute autre circonstance, les forces de l'ordre interviennent dans le respect du droit, notamment des dispositions du code pénal et du code de la sécurité intérieure relatives au délit d'attroupement et à l'emploi de la force pour le maintien de l'ordre. Si des comportements inappropriés ou présumés illégitimes sont relevés, ils donnent systématiquement lieu à des suites administratives, voire judiciaires. Le ministre de l'intérieur a rappelé à plusieurs reprises l'importance qu'il attache à un strict respect de la déontologie et des doctrines d'emploi des moyens techniques. L'exemplarité est au cœur du métier des forces de l'ordre et une des conditions de leur efficacité et de leur légitimité. Il doit être noté que la doctrine de maintien de l'ordre, qui a commencé à être modifiée après les violences de décembre 2018, va évoluer dans le cadre de l'élaboration d'un nouveau schéma national de maintien de l'ordre, qui s'est faite en association avec divers spécialistes extérieurs (magistrats, experts, journalistes, etc.). Enfin, il doit être noté que le ministre de l'intérieur a annoncé, fin janvier 2020, le retrait immédiat de la grenade lacrymogène instantanée modèle F4 (GLI F4), qui avait un triple effet lacrymogène, assourdissant et de souffle. Elle sera remplacée par une nouvelle munition, la GM2L, qui produit un double effet, assourdissant et lacrymogène, et dont l'emploi est soumis à une habilitation individuelle.

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