M. Christophe Lejeune attire l'attention de M. le ministre de la culture sur les problèmes posés par les opérations de débardages et d'aménagements forestiers qui menacent l'intégrité des anciens sites militaires résultant des conflits armés contemporains qui se sont déroulés sur le territoire français. Ces opérations entaillent les zones forestières en bouleversant les sols sur des superficies et des profondeurs souvent disproportionnées par rapport aux sites exploités. La plupart des travaux forestiers : débardage, drainage, labours profonds, défrichements, plantations, brûlage des rémanents, ouverture de pistes et autres ouvrages de terrassement, utilisent des engins massifs de forte puissance particulièrement destructifs et invasifs. Ces engins bouleversent les terrains traversés et modifient profondément les paysages en sous-bois jusqu'à la mutilation complète des sols et des espaces. Dans certains endroits on assiste à de véritables aménagements routiers réalisés pour quelques hectares de futaies, modifiant en profondeur la forêt. Pour quelques arbres abattus on assiste à l'ouverture de pistes démesurées, d'une destruction des sols, entaillés par des ornières, qui, à terme, provoquent le ravinement, mettent en péril l'environnement et parfois même les riverains. De tels travaux affectent les sites archéologiques de la Grande guerre, sans qu'il y ait concertation avec les collectivités territoriales et les organismes de gestion. Paradoxalement, ces travaux ne sont nullement pris en compte dans le cadre de la loi portant protection du patrimoine archéologique parce que l'esprit de cette loi est de lier l'archéologie préventive à des travaux nécessitant soit une autorisation, soit une déclaration. Les diagnostics archéologiques ne portent que sur environ 15 % à 20 % des surfaces aménagées chaque année (soit 70 000 hectares), 80 % à 85 % ne font pas l'objet de telles opérations de détection ; au final seulement 3 % à 4 % des surfaces aménagées font l'objet de véritables fouilles préventives, alors même qu'il existe statistiquement un site archéologique pour quatre hectares d'espace bouleversés ou aménagés. La déclaration en préfecture pour des raisons archéologiques n'est requise que pour des travaux portant sur une surface supérieure à 10 000 m2 et affectant le sol sur plus de 50 cm de profondeur, conformément aux dispositions du décret n° 2004-490 du 3 juin 2004 relatif aux procédures administratives et financières en matière d'archéologie préventive (article 1 et article 4). Ce dispositif ne concerne généralement pas les travaux forestiers dont les travaux de débardages et autres ouvertures de pistes dépassent pourtant largement ces 50 cm, allant dans certaines zones jusqu'à des profondeurs égales ou supérieures à 2 m de profondeur. En forêt, la présence de tels sites est toute aussi importante et nécessite pourtant de prendre des précautions avant de réaliser des travaux forestiers. La gestion forestière donne l'occasion de découvrir des vestiges, mais aussi et surtout de prendre les mesures adéquates et conservatoire pour les préserver les sauvegarder. Ces travaux dont l'ampleur et l'emprise annuelles sont parfois importantes, mettent en péril les sites, mais aussi le patrimoine archéologique. Il ne faut pas oublier que ces champs de bataille renferment encore nombre de sépultures de combattants des deux camps ensevelis au cours des terribles combats qui se sont déroulés sur le front. Le Conseil national de la recherche archéologique (CNRA) a, notamment lors de ses séances des 18 mai 2006, 7 novembre 2008 et 28 janvier 2010, rappelé l'importance et la fragilité du patrimoine militaire résultant des conflits armés contemporains qui se sont déroulés sur le territoire français. Il a souligné que celui-ci relevait pleinement de la définition du patrimoine archéologique formulée tant par la convention européenne pour la protection du patrimoine archéologique signée à Malte le 16 janvier 1992, et dont l'approbation par la France a été autorisée par la loi n° 94-426 du 26 octobre 1994, que par l'article L. 510-1 du code du patrimoine. M. le député rappelle que les vestiges et sites relatifs à ces conflits armés occupent une place spécifique dans le champ de la recherche archéologique et doivent bénéficier d'une prise en compte et d'une protection identiques à celles des autres éléments du patrimoine archéologique. Que ce conflit majeur a laissé un héritage commun dont l'importance ne se limite pas aux frontières du pays, et que le respect dû à la mémoire de ceux qui y furent engagés, exige que chaque citoyen à commencer par les services de l'État veille à la préservation des sites qui en conservent les traces. Il lui demande quelles sont les mesures que le Gouvernement entend adopter afin de garantir la protection et l'intégrité des sites archéologiques de la Grande guerre. Il lui demande en particulier quelles mesures pourraient être envisagées pour prévenir de telles destructions dont l'irréversibilité peut être lourde de conséquences pour ce patrimoine. Il lui demande également ce qu'il compte mettre en œuvre pour prendre en considération ces travaux dans le cadre des diagnostics portant sur les opérations d'archéologie préventives.
Conformément à l'article L. 510-1 du code du patrimoine, le patrimoine archéologique s'étend à tous les vestiges, biens et autres traces de l'existence de l'humanité, y compris le contexte dans lequel ils s'inscrivent, sans limite chronologique ni thématique. L'intérêt pour les vestiges des conflits armés contemporains ne cesse de se développer ; en témoignent de nombreux évènements tenus récemment sur ce sujet et tous révélateurs de l'attention accrue de la communauté scientifique sur ce patrimoine : conférence sur l'« Archéologie de la Grande Guerre » (Saint-Gratien, 13 septembre 2018), colloque international « De Verdun à Caen. L'archéologie des conflits contemporains » (Mémorial de Caen, 27 et 28 mars 2019), conférence « Archéologie de la Grande Guerre en France » (Bruxelles, 24 avril 2019, organisé par le centre de recherches en archéologie et patrimoine - CReA-Patrimoine avec la direction régionale des affaires culturelles Grand Est). Ce patrimoine est également pris en compte par le conseil national de la recherche archéologique, dans le cadre de l'élaboration de sa nouvelle programmation nationale de la recherche archéologique. L'article R. 523-5 du code du patrimoine permet de prendre en considération la protection de ce patrimoine. Il autorise en effet l'instruction par le préfet de région au titre de l'archéologie préventive (service régional de l'archéologie) d'un certain nombre de travaux, notamment forestiers et agricoles, susceptibles d'impacter les sols et les sous-sols. Les seuils définis correspondent à la réalité des travaux les plus impactant pour le patrimoine archéologique. Toutefois et lorsque la présomption de la présence de vestiges en sous-sol le justifie, les seuils de 10 000 m2 et de 0,50 mètre peuvent être réduits dans toute ou partie des zones de présomption de prescriptions archéologiques. Ce dispositif est bien connu de l'office national des forêts (ONF) qui partage le constat de l'importance de ce patrimoine au sein des massifs qu'il a en gestion. En effet, des rapprochements féconds entre archéologues et agents forestiers se sont opérés dès le début des années 90 : des formations interdisciplinaires ont été mises en place à partir de 1992 ; simultanément, un réseau d'archéologues a été déployé au sein de l'ONF. La création de la mission archéologie de l'ONF d'Ile-de-France, à la suite des fortes tempêtes de 1999, a concrétisé le développement en son sein d'antennes dédiées à la prise en compte des ressources archéologiques dans la gestion forestière. Une collaboration étroite et durable s'est établie alors entre l'ONF et le ministère de la culture, plus particulièrement au niveau de ses services déconcentrés de l'État. Cette collaboration s'exprime notamment à travers la définition de protocoles de travaux et de gestion forestiers. Ils sont adaptés, et même contribuent à la préservation des ressources archéologiques, le non entretien des forêts pouvant être fortement préjudiciable (chutes d'arbres…). Ces protocoles sont mis en œuvre par les agents de l'ONF et, le cas échéant, par leurs prestataires qu'ils ont préalablement sensibilisés. Ils sont élaborés localement, et au cas par cas, pour tenir compte de la nature et de l'étendue des vestiges, du type de massif forestier et des travaux requis pour son entretien et son exploitation. Le travail mené sur la forêt domaniale de Floranges (Morbihan) en 2002 constitue une expérimentation qui s'est depuis étendue à d'autres régions. Par exemple, le plan de gestion de la forêt domaniale de Verdun (Meuse) se distingue par son degré de précision, puisqu'il identifie quatre zones, selon la nature, l'importance et l'état de conservation des vestiges, sur lesquelles appliquer des règles et démarches de concertation spécifiques : les monuments historiques, le site classé « Partie centrale du champ de bataille de Verdun », les villages détruits, et le réseau de tranchées. Ces protocoles, intégrés aux plans de gestion forestière, trouvent une traduction (mise en conformité) dans les documents d'orientation et de gestion de la forêt, plus particulièrement les « directives régionales d'aménagement » pour les forêts domaniales et les « schémas régionaux d'aménagement » pour les autres forêts relevant du régime forestier. Réciproquement, les archéologues cherchent à anticiper les impacts potentiels sur les ressources archéologiques en développant la prospection, au mieux systématique comme au sein de la forêt de Lyons (Eure) ou de la forêt de Rougeau (Seine-et-Marne), dans l'objectif d'améliorer l'état des connaissances. Dans la mesure du possible, les archéologues privilégient des modes non invasifs d'intervention, de la prospection pédestre jusqu'au recours à des technologies comme le LIDAR (altimétrie laser aéroportée). Cette technique de télédétection permet d'identifier les microreliefs de surface et s'avère très efficace (rapidité d'enregistrement des données) sur de grandes échelles comme les couverts forestiers. Pour exemple, le Massif de Haye (Meurthe-et-Moselle) fut le premier massif de cette importance à bénéficier, dans l'hiver 2006-2007, d'une couverture LIDAR à l'initiative de trois partenaires : le service régional de l'archéologie, l'ONF et l'Institut national de la recherche agronomique de Nancy. Les connaissances ainsi produites, principalement dans le cadre d'opérations d'archéologie programmée, servent tout autant la préservation du patrimoine culturel que la gestion durable et raisonnée des forêts, jusqu'à d'autres secteurs comme l'agriculture. Il apparaît que si les ressources archéologiques au sein des forêts sont naturellement épargnées de certaines dégradations, les opérations archéologiques et les travaux forestiers restent eux-mêmes soumis à des règles de protection des ressources naturelles et des lieux patrimoniaux qui garantissent leur préservation sur le long terme.
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