M. Ugo Bernalicis attire l'attention de M. le ministre de l'intérieur sur les insuffisances des outils d'exploitation et de croisement des données dont disposent les services de lutte contre la délinquance financière. La possibilité pour certains services de lutte contre la délinquance financière tels que Tracfin, de saisir certains documents et d'exiger la communication d'informations dont disposent les organismes financiers constitue un atout majeur dans l'accomplissement de leur mission. Cependant, la lenteur des procédures nécessaires à l'obtention de ces données entrave largement l'efficacité du dispositif. On ne peut pas en dire autant pour la répression de la « fraude aux minimas sociaux » exercée par les services de l'État (dont la plupart des signalements sont en réalité de simples erreurs de déclaration). La détection de ces irrégularités assimilées de manière extensive à de la fraude et passibles de sanctions, repose notamment sur un croisement automatique de fichiers informatiques et le ciblage particulier de certaines « catégories » d'usagers, selon des critères discriminants, tels que le lieu de naissance. Les personnes nées hors d'Europe sont ainsi considérées comme une population « à risque » et font donc l'objet d'un ciblage particulier dans le cadre du contrôle. La détection de la « fraude sociale » repose donc sur des dispositifs beaucoup plus performants que ceux dont disposent les services de détection de la délinquance financière du haut du spectre, en dépit de la réalité des enjeux financiers en question. Cela contrevient également de manière criante au principe d'égalité devant la loi. Ainsi, M. le député considère que l'usage de cette technique serait beaucoup plus légitime pour révéler des montages financiers complexes, élaborés notamment par le biais de personnes morales. M. le député tient à ce titre à rappeler la proposition n° 12 du rapport d'information n° 1822 déposé par le comité d'évaluation et de contrôle des politiques publiques sur l'évaluation de la lutte contre la délinquance visant à « développer les outils d'exploitation et de croisement de données reposant sur l'intelligence artificielle afin de contribuer au ciblage des enquêtes ». Il l'interroge donc sur la possibilité sous le contrôle de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) : premièrement, de développer les outils d'exploitation et de croisement de données reposant sur l'intelligence artificielle afin de contribuer au ciblage des enquêtes de délinquance financière ; deuxièmement, de constituer une base de données commune aux différents services engagés dans la lutte contre la délinquance financière permettant le partage d'informations opérationnelles, ainsi qu'une base de données nationale commune portant sur les procédures.
TRACFIN (traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins), organisme du ministère de l'Économie et des Finances, n'est pas un service de lutte contre la délinquance financière, ni un service de police judiciaire. Il tire ses pouvoirs, dont celui de formuler des demandes d'information auxquelles les personnes sont tenues de répondre, de sa qualité de cellule de renseignement financier et de service de renseignement luttant contre le blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme. Tout d'abord, la « répression de la fraude aux minimas sociaux » ne repose pas sur un croisement automatique des fichiers informatiques en vue de cibler des catégories d'usagers. De plus, il convient de rappeler que le règlement général sur la protection des données s'établit dans un cadre « relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement de leurs données à caractère personnel […] », excluant de fait de son champ d'application les personnes morales. L'usage des techniques de croisement automatisé « pour révéler des montages financiers complexes, élaborés notamment par des personnes morales », s'il est donc possible, est néanmoins compliqué car il implique de ne traiter exclusivement que les informations relatives à des personnes morales. S'agissant de la proposition de développer, sous le contrôle de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL), des « outils d'exploitation et de croisement de données reposant sur l'intelligence artificielle (IA) afin de contribuer au ciblage des enquêtes » de délinquance financière, il est important de définir les notions concernées. Ainsi la « donnée » financière (ensemble colossal d'informations), comme le « renseignement financier » (déjà enrichi et potentiellement exploité) sont soumis à des règles spécifiques de communication et à un cadre juridique variable (secret de l'enquête, protection de la source, etc.). Si la création d'outils de croisement de données via une IA parait évidemment séduisante pour faciliter le travail des enquêteurs, cela impliquerait une interopérabilité de fichiers tant judiciaires que fiscaux ou administratifs, voire de renseignement. A ce titre, l'hypothèse que ces outils soient créés « sous le contrôle de la CNIL » paraît peu probable, car cette dernière se montre particulièrement sensible sur le contrôle de proportionnalité des croisements de fichiers, au regard de la protection due aux données personnelles. S'agissant de la constitution d'une « base de données commune aux différents services engagés dans la lutte contre la délinquance financière permettant le partage d'informations opérationnelles ainsi qu'une base de données nationale commune portant sur les procédures », la base traitement d'antécédents judiciaires (TAJ) regroupe déjà l'ensemble des procédures traitées par les services d'enquête de la police et de la gendarmerie. Le partage d'informations opérationnelles est également initié dans des contentieux sensibles ou à fort enjeux financiers. Par exemple, EUROPOL (European Police Office) gère d'importantes bases d'informations (Analysis Project) sur des phénomènes criminels à caractère financier que les enquêteurs français consultent systématiquement. Au niveau national, l'accès aux différentes données s'est amélioré comme le démontre le récent accès des enquêteurs aux FICOBA (fichier des comptes bancaires) et au FIJ (fichier des interdictions de gérer). A court terme, l'efficacité de la lutte contre la délinquance financière ne repose donc pas tant sur l'assistance d'une technologie encore en développement ou sur la création d'une nouvelle base, que sur un meilleur partage, avec une célérité accrue, des informations de nature financière déjà disponibles aux niveaux national et international.
Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette question.