Mme Florence Provendier interroge M. le ministre de l'intérieur sur le recueil de la parole de l'enfant victime de violences sexuelles lors d'un dépôt de plainte. En France, un mineur se fait violer toutes les heures. Ce chiffre effroyable rappelle la nécessité d'être intransigeant à l'encontre des pédocriminels. L'arsenal pénal français a été renforcé, le délai de prescription allongé pour laisser à la victime le temps de prendre la parole, et pourtant agir contre ces criminels reste toujours un parcours du combattant. Pendant des années, les écrits d'un pédocriminel ont été publiés au travers d'ouvrages, d'articles de presse et défendus sur des plateaux télés en toute impunité. Peu de voix se sont élevées pour condamner celui qui faisait l'apologie de la pédophilie. Aujourd'hui, la justice se saisit sur la base du témoignage littéraire d'une victime devenue adulte, sans que celle-ci n'ait jamais déposé plainte. En effet, quand les victimes réussissent à parler de ce qu'elles ont subi, qu'il y ait médiatisation ou non, cela est rarement suivie d'un dépôt de plainte. Libérer la parole de l'enfant victime est un préalable essentiel pour lutter contre les violences sexuelles. Au-delà de la reconstruction de la victime, la condamnation judiciaire est indispensable pour mettre fin à ce sentiment d'impunité avec lequel vivent encore les auteurs. Une étude de l'association Mémoire Traumatique et Victimologie réalisée par l'IPSOS en septembre 2019, montre que pour plus des deux tiers des victimes ayant parlé de leur agression, cette prise de parole « est restée sans conséquences ». En effet, seulement un quart des victimes portent plainte et en moyenne 12 ans après les faits. Ces plaintes aboutissent seulement à une condamnation dans un cas sur deux. Elle souhaite connaître les moyens mis en œuvre par son ministère pour que la parole de l'enfant soit recueillie dans des conditions adaptées et systématiquement transmises à la justice.
La lutte contre toutes les formes de violences à l'égard des mineurs, notamment les atteintes de nature sexuelle, est une préoccupation permanente du Gouvernement. Alors que ce type de phénomène est accentué par le développement d'internet, les forces de l'ordre ont développé ces dernières années les compétences et les moyens dédiés au recueil de la parole de l'enfant, dans le but d'améliorer à la fois l'accueil spécifique qui doit lui être réservé et la force probante de sa parole afin de faciliter la manifestation de la vérité. La qualité de victime particulièrement vulnérable de l'enfant impose en effet d'organiser son audition dans des conditions adaptées et par des professionnels formés, pour garantir un recueil efficient et non sujet à caution de la parole de l'enfant. Les enquêtes relatives aux infractions commises à l'encontre des mineurs sont donc confiées à des services spécialisés. Pour ce qui concerne la police nationale et plus précisément les services territoriaux de la direction centrale de la sécurité publique, le recueil de la parole des mineurs, notamment victimes de violences sexuelles, s'effectue au sein des brigades de protection de la famille (unités ou groupes de protection de la famille). Ces services sont composés de personnels spécifiquement formés au recueil de la parole de l'enfant par les services de la direction centrale du recrutement et de la formation de la police nationale. Leurs agents bénéficient d'une formation (cursus « brigade de protection de la famille ») relative aux violences faites aux enfants, constituée entre autres de 2 modules consacrés aux aspects psychologiques et techniques de l'audition de l'enfant victime et d'un module spécifique à la technique du « national institute of child health and human development - NICHHD » (voir ci-dessous) réservée aux auditions de très jeunes enfants. Plus de 2 600 policiers ont bénéficié de cette formation. De plus, le guide relatif à la prise en charge de mineurs victimes, élaboré par le ministère de la justice, ainsi que le livret intitulé « Le 119 au service des droits de l'enfant », sont accessibles à tous les agents sur le site intranet de la direction centrale de la sécurité publique. S'agissant des services spécialisés de police judiciaire, l'office central pour la répression des violences aux personnes est notamment chargé de la lutte contre l'exploitation sexuelle des mineurs et dispose ainsi d'un « groupe central des mineurs victimes ». Les membres de cette unité sont formés au recueil de la parole de l'enfant (formation de deux semaines). La gendarmerie nationale a, pour sa part, décidé en 2018 d'augmenter la durée de formation sur cette thématique d'une à deux semaines, laissant ainsi davantage de temps pour des mises en pratique essentielles à un apprentissage solide. A ce jour, près de 1 900 gendarmes sont formés spécifiquement à l'audition de mineurs victimes et répartis sur l'ensemble du territoire. Dans le but d'uniformiser le niveau général des gendarmes en matière de recueil de la parole de l'enfant, les gendarmes formés relayent ensuite leurs compétences auprès des autres gendarmes par le biais de mallettes pédagogiques destinées à diffuser informations et bonnes pratiques. Plus généralement, les dispositifs de formation initiale et continue dispensés aux policiers et gendarmes en matière de prise en charge des victimes abordent les spécificités de l'audition du mineur en matière d'infractions à caractère sexuel et les précautions à prendre lors de leur accueil. En outre, la formation des officiers de police judiciaire comporte plusieurs « enquêtes » qui abordent la question de l'audition d'un mineur victime d'infraction sexuelle. Policiers et gendarmes sont en outre formés à la technique canadienne du NICHHD qui énonce notamment les facteurs qui influencent la révélation de violences subies par les enfants. Cette technique a pour objectif de diminuer la « suggestibilité » des enquêteurs, d'adapter leurs questions en fonction des capacités intellectuelles et cognitives des enfants en les aidant à fournir un récit aussi détaillé qu'exact. Cette méthode permet à ses utilisateurs de faire appel à la mémoire vive de l'enfant et de prioriser, après une mise en confiance, le récit libre. Il a en effet été démontré que cette étape du recueil de la parole permet d'obtenir un maximum de détails, le questionnement ouvert ne venant que dans le dernier temps du processus d'interrogation. Le centre national de formation à la police judiciaire de la gendarmerie dispense une formation basée sur ce protocole à plus de 120 gendarmes par an. Si la formation du personnel spécialisé est primordiale, le lieu d'accueil de l'enfant victime potentielle est également important. Celui-ci doit s'y sentir en sécurité, en confiance, pour avoir une parole libérée et sereine. L'article 706-52 du code de procédure pénale impose en outre de procéder à l'enregistrement audiovisuel de l'audition d'un mineur victime des infractions mentionnées à l'article 706-47 du même code, afin de réduire le nombre d'auditions. Cet enregistrement permet également de mettre en lumière les éléments non verbaux de l'audition. Pour faciliter l'audition du mineur victime, ont été créés des espaces spécifiques dénommés « salles Mélanie », spécialement aménagés et équipés, offrant un cadre adapté au recueil de la parole. Ils sont organisés et composés de mobilier, de jouets et de matériels pédagogiques facilitant le confort, la mise en confiance et par conséquent l'expression de l'enfant. Au sein de l'office central pour la répression des violences aux personnes par exemple, les activités de loisirs peuvent être proposées à l'enfant mais plutôt en guise d'accueil et de mise en confiance. Au moment de l'audition et pour ne pas le distraire de son propos, toute activité annexe est limitée au maximum (l'enfant a néanmoins accès à tous les outils lui permettant d'expliciter ou d'illustrer son propos par le dessin). Depuis leur création en 1991, la mise en place de « salles Mélanie » varie selon les secteurs. Leur financement provient de plusieurs sources : services de police et de gendarmerie mais également associations (« La voix de l'enfant », « La mouette ») voire communes. Ces salles sont installées soit au sein de structures hospitalières soit dans des commissariats de police ou des brigades de gendarmerie. En sécurité publique, il existe actuellement 29 « salles Mélanie » et 7 sont en projet. Les policiers peuvent également bénéficier de l'accès à 71 « salles Mélanie » installées hors de leurs locaux (généralement au sein de structures hospitalières). De plus, certains commissariats disposent d'un système de visio-confrontation lié à une « salle Mélanie » située en établissement hospitalier. En tout état de cause, chaque commissariat dispose au minimum d'un lieu avec une borne d'enregistrement vidéo des auditions. Le groupe central des mineurs victimes de l'office central pour la répression des violences aux personnes dispose pour sa part d'une salle dédiée à l'audition des mineurs victimes, munie d'une régie permettant l'enregistrement audio et vidéo de l'audition. Eu égard à sa compétence nationale, cette unité utilise également fréquemment les installations à disposition en province pour entendre des mineurs. Les unités médico-judiciaires sont à cet égard d'une extrême utilité tant pour les enquêteurs, qui sont alors en présence de leurs partenaires experts judiciaires (médecins et psychologues), que pour les victimes et leurs familles. La gendarmerie a aussi tissé un maillage territorial de « salles Mélanie ». Près de 200 sont disséminées sur le territoire et équipées de bornes d'enregistrement audiovisuel des auditions. La gendarmerie finance majoritairement la mise en place et l'entretien de ces salles mais cherche également à renforcer ses liens avec le milieu associatif pour accélérer leur renouvellement. A cet égard, la direction générale de la gendarmerie nationale a signé en mars 2019 un protocole avec l'association « La mouette » pour l'aider au financement de nouvelles salles ou équipements. Les auditions de mineurs victimes sont donc assurées par des enquêteurs spécialement formés, avec le recours à des structures et outils adaptés, dans un environnement spécifique. Enfin, suite à l'extension du délai de droit commun, il n'y avait plus de délai de prescription spécifique pour les infractions criminelles de nature sexuelle commises à l'encontre des mineurs. Afin de combler ce vide, l'article 1er de la loi n° 2018-703 du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes modifie l'article 7 du code de procédure pénale de la manière suivante : « L'action publique des crimes mentionnés à l'article 706-47 du présent code, lorsqu'ils sont commis sur des mineurs, se prescrit par trente années révolues à compter de la majorité de ces derniers ». Cette disposition permettra dorénavant aux victimes mineures de porter plainte jusqu'à l'âge de 48 ans, soit 30 ans après leur majorité.
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