Mme Valérie Boyer attire l'attention de M. le ministre de l'Europe et des affaires étrangères sur l'annulation de la dette des pays d'Afrique. Les dettes des pays africains culminent aujourd'hui à 365 milliards de dollars, un chiffre produit avant la crise du coronavirus. Parmi les principaux créanciers : la Chine, 40 % du montant total, les pays riches du Club de Paris, le FMI, la Banque mondiale, mais aussi de nombreux créanciers privés, entreprises ou gestionnaires de fonds. Pour « aider » les pays africains face à la pandémie du covid-19 et limiter les effets néfastes sur leur économie, le chef de l'État a appelé à « annuler massivement » la dette des pays d'Afrique. « Nous devons savoir aider nos voisins d'Afrique à lutter contre le virus plus efficacement, les aider aussi sur le plan économique en annulant massivement leur dette », a déclaré le Président de la République lundi 13 avril 2020. Le G20 s'est mis d'accord le 15 avril 2020 pour suspendre pendant un an la dette de 76 pays pauvres. Pour ces 76 pays, les remboursements cette année représentent 32 milliards de dollars : 12 milliards détenus par les États, 8 milliards par les créanciers privés - ceux-là seront gelés - et 12 milliards aux mains d'institution internationales, principalement la Banque mondiale, qui feront eux aussi l'objet d'un moratoire, si l'on en croit les déclarations d'intention du président de la Banque mondiale. Aussi, Mme la députée s'interroge sur la réciprocité de telles dispositions. Amnesty International a publié, le 8 avril 2020, son rapport annuel sur les droits humains en Afrique. Selon ce rapport intitulé « Les droits humains en Afrique, rétrospective 2019 » , le continent « est loin d'en avoir fini avec le cycle infernal des conflits armés et de la violence ». En 2019, « des conflits armés insolubles se poursuivaient et de nouvelles formes de violence commises par des acteurs non étatiques ont engendré des tueries, des actes de torture, des enlèvements, des violences sexuelles et des déplacements massifs, y compris des crimes de droit international, dans plusieurs pays d'Afrique subsaharienne », écrit l'ONG. En République démocratique du Congo, les violences ont ainsi fait plus de 2 000 morts civils et entraîné le déplacement forcé d'au moins un million de personnes en 2019. Une centaine de groupes armés sont actifs dans l'est du pays. Cette même année, au Sahel, les violences djihadistes, ont fait 4 000 morts (selon l'ONU) au Mali, au Niger et au Burkina Faso. Dans des pays comme le Cameroun, la Centrafrique, le Burkina Faso, des groupes armés s'en sont pris aux populations que les autorités n'ont pas protégées, affirme l'ONG. En Somalie, où les habitants sont les victimes d'attaques des groupes shebabs. Au Mozambique, les attaques, attribuées à un mystérieux groupe islamiste, se sont intensifiées depuis le début de l'année 2020. Des victimes d'un attentat à la voiture piégée, qui a fait des dizaines de morts, sont amenées à l'hôpital de Mogadiscio, capitale de la Somalie, le 28 décembre 2019. Dans certains cas, comme au Mali, les violences contre les civils peuvent être l'œuvre de « groupes d'autodéfense », créés apparemment par des communautés locales. En 2019, plusieurs centaines de personnes ont été tuées lors de massacres intercommunautaires. Les forces de sécurité maliennes sont accusées de commettre de multiples violations des droits de l'Homme, notamment des actes de torture. Au Darfour, des milices, accusées d'être alliées au pouvoir soudanais, « se sont livrées à des homicides illégaux, des violences sexuelles, un pillage systématique et des déplacements forcés », selon l'ONG. En Ethiopie, l'armée est accusée d'abus dans la répression des manifestations dans la région d'Oromia (ouest et sud). Des manifestations qui ont fait des dizaines de morts depuis 2019. Dans des régions du Cameroun, des groupes séparatistes armés continueraient à commettre des atrocités : homicides, mutilations, enlèvements... Ils auraient également détruit plusieurs centres de santé. L'armée a riposté par des exécutions extrajudiciaires et des incendies de logements. Des villages entiers auraient été brûlés par les forces de sécurité. Mais les pouvoirs ne se contentent pas de sévir contre les groupes armés. Amnesty a ainsi observé « une répression généralisée de la dissidence, qui s'est notamment traduite par la dispersion dans la violence de manifestations pacifiques et par des attaques contre les médias », les militants des droits de l'Homme et des opposants politiques. Ainsi, « dans plus de 20 pays, des personnes ont été privées du droit de manifester pacifiquement (...). Dans les deux tiers des pays étudiés, les gouvernements ont fortement restreint la liberté d'expression, certains d'entre eux s'en prenant tout particulièrement aux journalistes, aux personnes tenant un blog, aux organisations de la société civile et à l'opposition politique, notamment dans un contexte électoral. » Au Zimbabwe, au moins 22 militants et opposants ont été inculpés pour leur rôle présumé dans l'organisation de manifestations contre la hausse du prix des carburants décidée en janvier 2019. Les forces de sécurité s'étaient alors livrées à une violente répression, laquelle a fait au moins 15 morts et des dizaines de blessés. En Ouganda, les autorités ont recours à une loi sur l'utilisation abusive de l'informatique pour harceler, intimider et réprimer certains opposants. Une universitaire féministe a ainsi été emprisonnée pour cyberharcèlement après avoir critiqué le président sur Facebook. À Kampala, des moyens seraient utilisés pour empêcher les relations entre personnes du même sexe. En octobre 2019, les autorités entendaient renforcer les mesures, déjà très répressives, contre les relations homosexuelles jugées « contre-nature ». Nom du projet de loi : Kill the gays, (« Tuer les homosexuels »). Dans de trop nombreux pays africains, les femmes continuent de faire l'objet de discriminations, de violences, notamment des mutilations génitales et de mariages forcés. Selon l'OMS, en Afrique, 91,5 millions de femmes et de filles de plus de 9 ans vivent actuellement avec les conséquences de mutilations sexuelles féminines. Toujours en Afrique, on estime que 3 millions de filles par an risquent de subir ce type de mutilations. L'Unicef évalue à 12 millions le nombre de filles mariées pendant leur enfance chaque année dans le monde. Même si le phénomène a connu une baisse de 15 % lors de la dernière décennie, une sur cinq est encore mariée avant ses 18 ans. L'Afrique est aujourd'hui le continent le plus touché par cette problématique, avec 4 millions de mariages précoces en 2017. Il faut rappeler que la population de l'Afrique subsaharienne aura été multipliée par près de 5 fois entre 1960 et 2020, contre 2,7 fois pour l'ensemble de l'Asie et 3 fois pour l'Amérique latine. Elle a dépassé le milliard en 2017. Elle représente dorénavant 14 % de la population mondiale, contre 7 % en 1960. La France fait toujours face à un une crise migratoire. La primo-délivrance des titres de séjour progresserait de 6,8 % en 2019 par rapport à 2018, avec près de 276 600 titres de séjour délivrés. Cela représente une augmentation de 27 % entre 2015 et 2019. 400 000 à 500 000 étrangers seraient en situation irrégulière pour seulement 23 746 mesures d'éloignements, ce qui représente environ 5 % des personnes en situation irrégulière. Enfin il est important de rappeler les chiffres concernant la délivrance des laissez-passer consulaires (LPC,) qui constitue une étape indispensable, en dehors de l'Union européenne, pour aboutir à l'éloignement des étrangers en situation irrégulière. La délivrance des LPC dépend de la coopération des autorités du pays d'origine et on peut constater en la matière une grande hétérogénéité des pratiques. De trop nombreux pays africains ne coopèrent pas assez. En 2018 la Côte d'Ivoire a délivré 48 % de LCP, le Sénégal 48 %, le Soudan 69 % et enfin le Mali 76 %. La fraude à l'état civil dans certains pays africains a ainsi pris une ampleur toute particulière dans ce contexte d'émigration. La fraude aux actes de l'état civil se manifeste de plusieurs façons : il peut s'agir de faux actes fabriqués par des personnes ou des officines privées, ou d'actes délivrés par les autorités locales mais altérés par surcharge, rature, découpage et collage ; la fraude peut consister en la production de documents falsifiés ou frauduleux délivrés avec la complicité ou non des autorités locales, corrompues ou abusées. Ce sont alors de « vrais-faux », puisqu'ils remplissent les conditions de régularité formelle, même si les événements mentionnés sont faux. Beaucoup de ces actes, et notamment les jugements supplétifs ou rectificatifs, concernent des naissances ou des filiations fictives et des reconnaissances mensongères d'enfants. Les services consulaires sont sollicités soit pour transcription d'un acte étranger rattachant une personne à un parent de nationalité française, soit pour des visas au titre du regroupement familial. En outre, ils sont sollicités par les autorités administratives saisies d'une demande de carte d'identité, de passeport ou de certificat de nationalité, en vue de la vérification de la régularité de l'acte étranger produit à l'appui de la demande. Si la fraude au mariage touche essentiellement le Maghreb et la Turquie, la fraude à l'état civil se concentre aux Comores et en Afrique subsaharienne, où 30 000 actes de l'état civil sont vérifiés chaque année. Le taux d'actes faux ou frauduleux dépasse 90 % des actes présentés aux autorités consulaires françaises dans certains pays comme les Comores ou la République démocratique du Congo. C'est pourquoi Mme la députée aimerait savoir si l'annulation de la dette des pays africains sera soumise à des conditions de respect des droits de l'Homme, des droits de la femme, des droits de l'enfant et de lutte commune contre l'immigration irrégulière et la fraude à l'état civil. Elle souhaite également savoir si la dette des pays européens qui ne cesse de grimper - 100 % du PIB actuellement pour la France - sera également annulée et quel est le coût pour la France de la dette des pays pauvres, ainsi qu'avoir la liste de ces pays. Enfin elle aimerait connaître la position des autres pays européens sur l'annulation de la dette des pays africains et savoir si le Parlement français sera consulté.
La France est parvenue à obtenir la suspension des paiements sur le service de la dette au profit des pays les plus pauvres dans le cadre du club de Paris et dans le cadre du G20, ce qui permet d'associer à cette initiative tous les grands créanciers officiels bilatéraux non membres du club de Paris, comme la Chine, l'Inde et les pays du Golfe. Ce report d'échéances (principal et intérêt) à partir du 1er mai 2020 concerne 77 pays potentiellement éligibles à l'initiative, dont 41 pays d'Afrique subsaharienne. Cette suspension de paiement entraînera de moindres recettes en 2020 dont l'ampleur sera liée au nombre effectif de pays qui en font la demande. Le report d'échéances engendré si les 77 pays éligibles en faisaient la demande serait de l'ordre de 572 M€. Cette suspension de paiement en 2020 n'aurait d'impact sur la dette au sens de maastricht que sur les expositions directes de l'Etat, ce qui entraînerait de moindres recettes de l'ordre de 215 M€ si tous les pays éligibles sollicitaient le moratoire. Ces moindres recettes en 2020 seraient toutefois compensées par un surcroît de recettes les années suivantes (à partir de 2022), pour un impact pluriannuel nul. Le Président de la République s'est prononcé en faveur d'annulations massives de dette pour les pays africains. Après l'initiative de suspension de paiement, dans un second temps, des restructurations de dette seront envisagées au cas par cas s'il apparaît que la dette de certains pays n'est pas soutenable. Ces éventuelles annulations de dette se feraient alors nécessairement dans un cadre multilatéral. Elles seraient envisagées pour des pays dont la dette n'est pas soutenable et conformément aux principes du club de Paris, dont la comparabilité de traitement qui existe un effort comparable des créanciers privés. A ce stade, il est prématuré d'avoir une estimation de l'impact budgétaire potentiel d'annulations de dette. En revanche, il peut être précisé que, contrairement à l'initiative de suspension de paiement qui a un impact pluriannuel nul, des annulations de dette auraient un coût pour les finances publiques françaises.
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