Mme Frédérique Dumas attire l'attention de M. le ministre de l'économie et des finances sur l'information judiciaire visant des faits possibles de « concussion » liés à l'octroi et au maintien d'un avantage fiscal pour la Société générale. Le code général des impôts prévoit que les entreprises victimes d'une fraude puissent déduire les pertes occasionnées de leurs résultats imposables. Dans l'affaire qui oppose Jérôme Kerviel à la Société générale, ce dernier a été définitivement condamné au pénal en novembre 2014. En septembre 2016, la Cour d'appel de Versailles a considéré que des manquements et de graves carences dans le contrôle exercé par la Société générale avaient donné la possibilité à Jérôme Kerviel de réaliser des actes qui ont conduit la banque à enregistrer des pertes très importantes. Cependant, le code général des impôts et la jurisprudence du Conseil d'État posent notamment comme condition essentielle de déductibilité fiscale de la perte que les entreprises n'aient pas de responsabilité dans la fraude, à travers des défaillances de contrôle ou des carences manifestes. Or la commission bancaire a précisément infligé à la Société générale une amende de 4 millions d'euros pour « des carences graves du système de contrôle interne » de la banque en juillet 2008. De plus, la responsabilité de la Société générale étant engagée, la banque ne pouvait donc pas déduire les pertes en question et donc réduire le montant de ses bénéfices imposables. Il s'agit donc de la somme substantielle de 2,2 milliards d'euros à rembourser aux contribuables français, sachant que la « quantum de la perte imputée sans aucune preuve à Jérôme Kerviel n'a par ailleurs jamais vraiment été expertisée » comme le souligne David Koubbi, l'avocat d'Anticor et de Julien Bayou. À l'époque, le ministre de l'économie et des finances, Michel Sapin, a donc demandé à l'administration fiscale un réexamen de la situation de la banque, « dans l'intérêt du Trésor et des contribuables », et demandé à l'administration fiscale d'instruire le redressement de la Société générale. Cela a été fait dès novembre 2016. En novembre 2018, la Société générale a conclu une série d'accords avec les autorités américaines afin de solder le litige qui les opposait pour avoir violé différents embargos. La banque a alors dû s'acquitter d'un montant total d'environ 1,2 milliard d'euros. Il s'agissait alors de la deuxième amende la plus importante imposée à une institution financière pour ce motif. En France en revanche, la Société générale a réduit son résultat imposable à l'impôt sur les sociétés et par suite a minoré sa charge fiscale, aucun remboursement en bonne et due forme n'a pourtant encore eu lieu à ce jour et il y a donc un dommage important pour le contribuable français à hauteur de 2,2 milliards d'euros. Une information judiciaire visant des faits de « concussion » liés à l'octroi et au maintien de cet avantage a été ouverte par le parquet de Paris il y a plusieurs mois, faisant suite à une plainte contre X avec constitution de partie civile déposée le 6 février 2019, par Julien Bayou, l'actuel secrétaire national d'EELV. Le 18 mai 2020, l'association de lutte contre la corruption Anticor s'est constituée partie civile dans l'enquête en cours afin de donner du poids à cette affaire. Le 19 mai 2020, la Société générale tenait son assemblée générale. Son président annonçait le gel des embauches, l'optimisation des dépenses pour transformer la banque, des économies supplémentaires de l'ordre de 700 millions d'euros pour l'année 2020. Sur les trois premiers mois de 2020, la Société générale a ainsi essuyé une perte, part du groupe, de 326 millions d'euros. La banque fait état de pertes de 120 millions d'euros liées à deux fraudes « exceptionnelles ». À force de comptabiliser les fraudes et les amendes « exceptionnelles » chaque année, la confiance des actionnaires s'est érodée. Le 19 mai 2020, la Société générale capitalisait à peine 10 milliards d'euros malgré ses 62 milliards d'euros de fonds propres. Elle n'a fait l'objet d'aucune OPA, d'aucun intérêt dans un milieu financier où la prédation est une règle. Les députés apprennent donc par la presse et sans plus de précisions qu'une information judiciaire visant des faits de « concussion » liés à l'octroi de ce crédit d'impôt de 2,2 milliards d'euros a été ouverte par le parquet de Paris il y a plusieurs mois. Ainsi, elle lui demande comment expliquer l'absence totale de communication de la Société générale et de l'État à ce sujet. Quel est l'état de la procédure de redressement ? Et notamment, est-ce que les redressements notifiés à la Société générale ont bien été mis en recouvrement ? Quelle sera la position de l'administration fiscale dans ce contrôle ou litige (l'administration fiscale doit appliquer la jurisprudence du Conseil d'État et contester en principe toute déductibilité fiscale en cas d'acte anormal de gestion, étant clairement démontré par les décisions de justice devenues définitives que la banque a clairement concouru à la survenance de son dommage). Si les actionnaires de référence reprochent à l'État de vouloir profiter de la crise et de la faible valorisation de la banque, il pourrait être proposé une émission de bons à souscription d'actions à des niveaux de prix plus acceptables. Ces bons émis par la Société générale en faveur de l'État permettraient à ce dernier de convertir la dette en fonds propres en une ou plusieurs fois. Si le cours de l'action remonte à 17 euros, la dilution des actionnaires historiques est plus faible et l'État exerce son option de conversion pour 1,2 milliard d'euros et le solde peut l'objet d'une conversion au-delà de 20 euros. Cette formule très classique envoie un signal de soutien aux salariés et au marché. L'État n'exige pas sa dette et prend le pari de jours meilleurs pour convertir sa dette. Enfin, si la banque exerce un redressement spectaculaire au point de pouvoir payer la dette avant l'échéance des options, l'État peut accepter de se faire payer sa créance et de ne pas rentrer au capital. La souplesse de la solution permet à l'État créancier de trouver un accord quoi qu'il arrive avec les actionnaires actuels. Elle lui demande donc pourquoi de telles solutions, de telles pistes, n'ont pas été proposées. Le 22 octobre 2013, M. le Premier ministre avait en tant que député déposé une question écrite à ce sujet, et demandé, aux côtés de Thierry Solère, Benoist Apparu et Gérald Darmanin, à Pierre Moscovici alors ministre de l'économie et des finances, des explications sur la déduction fiscale obtenue par la société générale et qui selon eux contredisait la jurisprudence du Conseil d'État. Pourquoi aucune mise en recouvrement n'a été concrètement notifiée à la Société générale, et en particulier depuis qu'il est Premier ministre ? Derrière la communication financière destiné aux analystes financiers, des emplois sont menacés et pourraient rendre le paiement de ce montant impossible à réaliser. Le ministère de l'économie et des finances est-il donc incapable de gérer cette créance ? Si tel est le cas, pourquoi l'État représenté au capital par la Caisse des dépôts n'a-t-il pas proposé la conversion de sa créance de 2,2 milliards d'euros en fonds propres par augmentation de capital réservée ? Elle lui demande de bien vouloir répondre sur ces points.
La jurisprudence du Conseil d'État selon laquelle la carence manifeste des dirigeants dans l'organisation de l'entreprise et la mise en œuvre des dispositifs de contrôle pouvait faire obstacle à la déductibilité de pertes survenues à raison de cette carence, est, à ce jour, limitée au cas particulier du détournement de fonds par un salarié (CE 5 octobre 2007 n° 291049, Alcatel-Cit. ; CE 6 juin 2008 n° 285629, SA Gustave Muller ; CE 13 juillet 2016 n° 375801, SA Paschi Banque). Ainsi, les détournements de fonds commis par des salariés au détriment d'une société ne sont pas déductibles si le comportement délibéré des dirigeants, associés ou investis de la qualité de mandataire social, ou leur carence manifeste dans l'organisation de la société et la mise en œuvre des dispositifs de contrôle ont été à l'origine, directe ou indirecte, de ces détournements. Dans le cadre de sa mission, la direction générale des finances publiques s'assure de l'application régulière de ces principes. En raison des règles sur le secret fiscal visées aux articles L 103 du livre des procédures fiscales et 226-13 et 226-14 du code pénal, il ne peut être répondu plus précisément sur l'affaire particulière citée par la question.
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