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Christian Hutin
Question N° 30607 au Ministère de la justice


Question soumise le 23 juin 2020

M. Christian Hutin attire l'attention de Mme la garde des sceaux, ministre de la justice sur les conséquences de la décision de la Cour européenne des droits de l'homme qui a condamné jeudi 11 juin 2020 la France dans l'affaire des appels au boycottage de produits israéliens. Cette décision, très attendue, vient contredire la jurisprudence de la Cour de cassation. En effet, la Cour de Strasbourg juge à l'unanimité que la France a violé l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme sur la liberté d'expression. Elle rappelle que cet article « ne laisse guère de place pour des restrictions à la liberté d'expression dans le domaine du discours politique ou de questions d'intérêt général ». Dans sa décision, la Cour européenne souligne que « les actions et les propos reprochés aux requérants concernaient un sujet d'intérêt général, celui du respect du droit international public par l'État d'Israël et de la situation des droits de l'Homme dans les territoires palestiniens occupés, et s'inscrivaient dans un débat contemporain, ouvert en France comme dans toute la communauté internationale ». Elle ajoute qu'ils « relevaient de l'expression politique et militante ». En conséquence, il est évident que la circulaire CRIM-AP N° 09-9006-A4, prise le 12 février 2010 par la garde des sceaux de l'époque, est désormais caduque. Cette circulaire demande en effet aux parquets d'engager des poursuites contre les personnes appelant, ou participant, à des actions de « boycott » des produits déclarés israéliens et issus des colonies israéliennes en Palestine. Il lui demande donc de bien vouloir engager dans les plus brefs délais l'abrogation de la circulaire CRIM-AP N° 09-9006-A4, prise le 12 février 2010, afin de mettre la France en conformité avec la décision de la Cour européenne des droits de l'homme.

Réponse émise le 29 décembre 2020

La protection et la promotion des droits de l'homme sont un enjeu fondamental pour le ministère de la justice comme pour l'ensemble du Gouvernement. Si dans sa décision du 11 juin dernier, la Cour européenne des droits de l'homme a conclu à la violation de l'article 10 de la Convention relatif à la liberté d'expression dans cette affaire, elle a écarté dans le même temps le grief tiré de la violation de l'article 7 (principe de légalité des délits et des peines) constatant qu'avant la date des faits de l'espèce, la Cour de cassation s'était déjà prononcée dans le sens de l'application de l'article 24 alinéa 8 de la loi du 29 juillet 1881 en cas d'appel au boycott de produits importés d'Israël. La dépêche de la direction des affaires criminelles et des grâces du 20 octobre 2020 relative à la répression des appels discriminatoires au boycott des produits israéliens appelle ainsi l'attention des parquets sur le fait que la Cour – dont la jurisprudence est très protectrice de la liberté d'expression militante – a observé que l'appel au boycott combine l'expression d'une opinion protestataire et l'incitation à un traitement différencié de sorte que, selon les circonstances qui le caractérisent, celui-ci est susceptible de constituer un appel à la discrimination d'autrui. La Cour a ainsi admis que l'appel à la discrimination relevait de l'appel à l'intolérance, lequel, avec l'appel à la violence et l'appel à la haine, était l'une des limites à ne dépasser en aucun cas dans le cadre de l'exercice de la liberté d'expression. Ainsi, la Cour n'a pas invalidé la possibilité de poursuites des appels au boycott sur le fondement du droit de la presse et a rappelé qu'il appartenait à l'Etat défendeur de vérifier si l'atteinte à la liberté d'expression résultant de la condamnation était « nécessaire dans une société démocratique », c'est-à-dire, notamment, si les motifs invoqués pour la justifier étaient pertinents et suffisants. Elle a constaté que les juridictions internes françaises n'avaient pas analysé les actes et propos poursuivis à la lumière de ces facteurs et avaient conclu de manière générale que l'appel au boycott constituait une provocation à la discrimination, au sens du droit de la presse, et qu'il « ne saurait entrer dans le droit à la liberté d'expression ». La Cour en a donc déduit que la condamnation des requérants ne reposait pas sur des motifs pertinents et suffisants. Dans ces conditions, la dépêche n° 09-900-A4 du 12 février 2010 ne semble pas devoir être rapportée. Au surplus, la récente dépêche réaffirme la nécessité d'une politique pénale empreinte de pédagogie, en privilégiant notamment les stages de citoyenneté orientés sur la lutte contre les discriminations.

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