M. Cédric Villani attire l'attention de Mme la ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation sur la question de la cohabitation dans les villes entre les humains et les animaux liminaires (pigeons, rongeurs, lapins). Bien souvent, la réponse des institutions à la présence des animaux liminaires se résume à des stratégies d'élimination des animaux jugés « indésirables ». Empoisonnements, piégeages, filets : ces méthodes sont violentes et douloureuses pour les animaux, souvent nocives pour l'environnement, jamais pérennes. L'absence de connaissances scientifiques sur le comportement de ces animaux en villes, leur interaction avec le mobilier urbain, la taille des populations, les flux génétiques entre les divers groupes d'une même espèce, les modes de vie, les comportements et l'organisation des animaux empêche souvent d'envisager de nouvelles solutions et bloque toute innovation. Pourtant, la France dispose d'équipes scientifiques très performantes. Seuls des travaux scientifiques - non invasifs - peuvent permettre d'espérer de nouvelles solutions, respectueuses des animaux, de l'environnement et de long terme. Il souhaite savoir quelles mesures le Gouvernement envisage pour développer la recherche afin d'acquérir des connaissances scientifiques sur les populations animales, leurs comportements et leur évolution au sein des villes.
La problématique des animaux liminaires est un sujet qui ne doit pas être négligé, et qui soulève des enjeux sociétaux importants. Ils mêlent à la fois des considérations d'hygiène et de santé publique (avec notamment la question du rôle direct ou indirect de l'animal dans certaines pathologies humaines et la question des nuisances visuelles et autres dégradations), des questionnements sur l'éthique et le bien-être animal (remise en cause, notamment, des pratiques d'éradication), sur le maintien de la biodiversité en ville, qui peut avoir par ailleurs une dimension historique et touristique. S'interroger sur la place de ces animaux dans les espaces urbains appelle différents travaux de recherche, y compris des développements en sciences fondamentales, et nécessite la mise en place de projets inter-disciplinaires afin d'aborder la question dans toutes ses dimensions. Par exemple, la place du pigeon en ville fait depuis plus de 10 ans l'objet de travaux réunissant écologues et chercheurs en sciences humaines et sociales ainsi que le monde associatif dans un programme de recherche interdisciplinaire et interprofessionnel intitulé « Le pigeon en ville : écologie de la réconciliation et gestion de la nature » (CNRS, MNHN, universités). Ce programme, qui a reçu le soutien de collectivités locales et de l'ANR, vise à mieux comprendre les interactions entre les pigeons et les citadins afin de proposer des pistes de réflexion sur la gestion des populations de pigeons aux collectivités locales. Notons que le pigeon est également un modèle animal permettant d'étudier les effets de la pollution en milieu urbain via des études d'écotoxicologie mettant par exemple en évidence des modifications des capacités cognitives et/ou reproductives en présence de contaminants (travaux de l'IEES-Paris). Au-delà, des animaux qui, tels les pigeons et rats, accompagnent depuis toujours les humains dans les villes, la question d'utiliser l'espace urbain pour permettre de renforcer des populations animales menacées en zone rurale peut également se poser. Dans ce registre, on peut citer les travaux sur le grand hamster qui ont fait l'objet d'un projet européen regroupant le CNRS et divers acteurs notamment la région Grand Est (projet LIFE ALISTER). Ces travaux montrent que la préservation de la biodiversité endémique en milieu urbain ou péri-urbain, au-delà des résultats scientifiques, nécessite de poser la question des aménagements de l'espace urbain (en jouant par exemple sur l'éclairage nocturne, les pratiques d'entretien des espaces verts, la sécurisation de certains aménagements comme les grilles d'évacuation des eaux, les modalités de gestion des déchets, etc.), mais aussi de la gestion des populations d'animaux dits « de compagnie », dont les populations de chats, les espèces invasives, comme la perruche à collier, et enfin de l'accueil des citadins à ces nouveaux habitants. Ces quelques exemples, non exhaustifs, illustrent le fait que la plupart des UMR d'écologie abordent actuellement le sujet de la biodiversité urbaine. Plusieurs l'identifient clairement dans leurs axes de recherche avec différents modèles animaux, relevant soit de la catégorie des espèces dont la présence est appréhendée comme positive, car estimée se trouver au service des citadins (abeilles, etc.), soit des animaux majoritairement appréhendés comme nuisibles (rats, pigeons, cafards, etc.). Le MESRI est actuellement mobilisé, avec l'ANR, les alliances et les autres ministères concernés, par la préparation du plan d'actions 2022-2024 de l'ANR, qui verra par ailleurs, son budget augmenter significativement grâce à la loi de programmation de la recherche du 24 décembre 2020. Les sujets de recherche associés aux animaux liminaires s'intègrent par exemple tout à fait dans le domaine « sciences de l'environnement » de l'ANR, en particulier « Terre vivante » et « Dynamique des socio-écosystèmes et de leurs composants en vue de leur gestion durable », mais aussi dans le domaine « Sciences humaines et sociales ». Il ne fait nul doute que les équipes de recherche qui s'intéressent à ce sujet, et aux relations homme-nature dans un contexte One Health, pourront bénéficier de cette dynamique positive. Enfin, les animaux liminaires constituent un domaine tout particulièrement intéressant pour le développement de sciences participatives, même si les initiatives de ce type restent encore actuellement rares.
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