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Frédérique Dumas
Question N° 34082 au Ministère de la culture


Question soumise le 24 novembre 2020

Mme Frédérique Dumas attire l'attention de Mme la ministre de la culture sur d'éventuelles irrégularités et défaut de gouvernance concernant la signature d'une lettre contrat entre France Télévisions et la société Air production. Dans un contexte de crise, à la fois sanitaire, économique, sociale et culturelle, le Gouvernement a confirmé le maintien de la trajectoire de réduction drastique des moyens de l'audiovisuel public décidée en 2018. Dans ce contexte il est encore plus essentiel de veiller à assurer des règles de traitement équitable ainsi que de préserver la diversité des programmes et la pluralité des acteurs. Mme la députée a d'ailleurs été amenée à interroger précisément Mme la ministre de la culture lors de la discussion de la deuxième partie du projet de loi de finances pour 2021, dans le cadre de l'examen des crédits de la mission « culture », de la mission « médias, livre et industries culturelles », ainsi que du compte de concours financier « avances à l'audiovisuel public », concernant le contrat signé entre France Télévisions et la société Air Production. Le 24 mai 2017, Mme Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, a personnellement signé une lettre « confidentielle » à la société Air Productions détenue par l'animateur producteur Nagui, sécurisant ainsi pour trois ans ses prestations avec la société France Télévisions, en contrepartie d'une enveloppe de 100 millions d'euros. Il apparaît que les clauses de cet accord pourraient être contestables et en distorsion par rapport aux usages. En toute hypothèse, indépendamment des dispositions comme de l'économie de ce contrat, il est expressément prévu que les engagements concernant les programmes de stocks et de flux d'un montant supérieur à 10 millions d'euros soient obligatoirement soumis à l'avis consultatif du sous-comité des engagements du groupe France Télévisions. Le sous-comité des engagements a été instauré par le règlement intérieur du conseil d'administration de France Télévisions. Il est précisément indiqué dans ce contrat pluriannuel 2017-2020 signé entre la société du producteur animateur Nagui et la présidente de France Télévisions que « tous ces engagements devront être validés par le comité d'investissement de programmes de France Télévisions et par le conseil d'administration de France Télévisions pour les émissions quotidiennes ». Or il apparaît que ces procédures pourraient ne pas avoir été respectées. Ainsi, plusieurs questions ressortent à l'aune de cette signature de contrat. N'appartient-il pas au conseil supérieur de l'audiovisuel dans ses missions de se donner les moyens de vérifier si les procédures prévues au sein du service public ont été effectivement respectées ? Mme la ministre de la culture peut-elle assurer, en tant que ministre de tutelle de l'audiovisuel public et, à ce titre, garante de sa bonne gouvernance, qu'il y a bien des preuves concrètes de la validation de cet accord dit confidentiel par le comité d'investissements des programmes et par le conseil d'administration de l'entreprise, notamment à travers, par exemple, un ordre du jour et un procès-verbal ? Une simple affirmation des dirigeants sans trace écrite peut-elle suffire pour un engagement dont les montants sont aussi importants ? Par ailleurs le contrat conclu en 2017 venait à échéance en juin 2020, avant le renouvellement de la présidente de France Télévisions, Mme Delphine Ernotte, en août 2020, et avant le départ du directeur général délégué à l'antenne et aux programmes, M. Takis Candilis. D'autre questionnements apparaissent donc nécessaires. Mme la ministre de la culture sait-elle ce qu'il en est exactement du nouveau contrat ? Sait-elle s'il a été seulement prorogé de quelques mois comme cela a été le cas des contrats de nombreux producteurs de flux ou bien s'il a été reconduit sur trois années comme le précédent ? Si oui à quelles conditions ? À travers quelle procédure ? Les organes de gestion compétents de l'entreprise ont-ils été consultés ? Ont-ils validé les modalités de ce contrat comme cela est prévu par les procédures internes ? Mme la ministre de la culture sait-elle qui a été en charge de sa négociation ? Le CSA a-t-il bien rempli son rôle de supervision et de contrôle ? Les preuves effectives et concrètes de ce contrôle existent-elles ? Enfin, nonobstant le respect des procédures d'appels d'offres pour les marchés, est-il normal que la société France Télévisions soit autorisée à contracter avec des sociétés de production ou toute autre société en relations d'affaires avec les entités du groupe qui ne publient pas annuellement leurs comptes ? Est-ce qu'un audit indépendant et transparent des comptes de la société Air production a été réalisé par FTV sur les trois ans écoulés et alors que ce contrat a visiblement été prorogé et que les émissions sont toujours à l'antenne ? Pourquoi aucune demande en ce sens n'a été faite par le CSA alors que dans son rapport sur France Télévisions publié en janvier 2020 il constate une très forte augmentation du volume de production avec la société Banijay, dont la société Air production est une filiale ? Au-delà des interrogations sur ce contrat, d'autres questions se posent également en termes de gouvernance et de transparence concernant les dirigeants de France Télévisions. En septembre 2016, M. Takis Candilis quitte Lagardère studio et est nommé directeur général de Banijay studio, société de productions de fictions filiale de Banijay groupe. En février 2018 M. Takis Candilis est nommé directeur général délégué à l'antenne et aux programmes de France Télévisions. Fin août 2020 il quitte France Télévisions. À peine deux mois après, il rejoint de nouveau le groupe Banijay pour occuper les fonctions de conseiller aux fictions. Pendant la durée de son mandat le groupe Banijay aura par ailleurs absorbé la société Endemol pour devenir l'un des plus grands groupes mondiaux de production de programmes. Elle lui demande donc de bien vouloir répondre aux questions suivantes. Comment justifier que le directeur général des contenus d'un groupe public puisse quelques semaines après son départ de ce groupe retrouver des fonctions importantes dans une société avec laquelle il a été directement en relations d'affaires avant et pendant son mandat ? La forte augmentation du volume d'affaires du groupe Banijay ayant déjà été constatée entre 2015 et 2018 par le CSA dans son dernier rapport bilan, dans quelle proportion est-elle intervenue sur la période 2018-2020 ? Revient-il au CSA d'en faire l'analyse et d'en tirer les conséquences ? N'existe-t-il pas des règles ou, a minima, des principes déontologiques qui empêcheraient des situations d'interférence entre un intérêt public et des intérêts privés de nature à influencer ou à paraître influencer l'exercice indépendant, impartial et objectif d'une fonction ? Pourquoi le directeur général des contenus, alors qu'il fait partie des plus hauts dirigeants du groupe France Télévisions, n'a-t-il pas à satisfaire l'obligation de souscrire une déclaration de patrimoine et d'intérêts auprès de la HATVP ? Pouvait-il conserver des mandats dans d'autres entreprises et, à cet égard, a-t-il été soumis à l'obligation de signer une déclaration sur les conflits d'intérêts, comme la direction de France Télévisions l'a imposé à tous les collaborateurs de l'entreprise en janvier 2020 ? Elle lui demande de bien vouloir répondre sur l'ensemble de ces points.

Réponse émise le 19 janvier 2021

Le ministère de la culture tient en premier lieu à souligner le devoir d'exemplarité qui s'impose au secteur audiovisuel public tant en matière d'encadrement des engagements de programmes que d'application des principes et règles déontologiques. S'agissant des procédures applicables aux engagements de programmes de France Télévisions, le règlement intérieur du conseil d'administration de la société prévoit que le comité des engagements (sous-comité jusqu'en octobre 2019) émanant de cette instance formule un avis consultatif sur les projets d'achats de programmes (qu'il s'agisse ou non d'œuvres audiovisuelles) d'un montant supérieur à 10 M€. Le conseil d'administration est informé de ces avis. D'après les informations en possession du ministère de la culture, le contrat triennal liant France Télévisions à la société Air Productions et portant sur l'engagement de renouvellement de l'émission « N'oubliez pas les paroles » pour la période allant de l'été 2017 au mois de juin 2020 a été soumis au sous-comité des engagements du groupe le 4 mai 2017. Ce dernier a rendu un avis favorable à la conclusion de ce contrat, en soulignant le caractère stratégique du programme en raison de sa contribution tant à l'exposition du patrimoine de la chanson qu'aux recettes publicitaires du groupe. Le conseil d'administration de France Télévisions a été informé de la conclusion de cet accord triennal lors de sa réunion du 19 octobre 2017. Le comité des engagements a de nouveau formulé le 3 juin 2020 un avis favorable au renouvellement de cette même émission pour la saison 2020-2021 et l'été 2021, pour un coût unitaire identique au contrat précédent. Le conseil d'administration de France Télévisions en a été informé lors de sa réunion du 11 juin 2020. France Télévisions précise qu'elle prévoyait la réalisation d'un audit portant sur la saison 2018-2019 de l'émission au premier trimestre 2020 en amont de ce renouvellement. Il n'a pu être réalisé en raison de la crise sanitaire. La société indique que sa réalisation constituera un préalable à tout engagement au delà de la saison 2020-2021. S'agissant du rôle du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA), il ne lui revient pas de s'assurer de la régularité des procédures internes de négociation et de validation des engagements contractuels du groupe. En outre, s'il évalue d'une manière générale le renforcement de la politique d'audit dans le cadre du suivi de l'exécution du contrat d'objectifs et de moyens 2016-2020 liant le groupe à l'État qui comporte un indicateur dédié, il ne lui appartient pas de solliciter la réalisation d'un audit sur un programme en particulier. En ce qui concerne l'évolution récente du volume d'affaires réalisé par France Télévisions avec Banijay, le groupe public indique que ce dernier s'établissait à 75 M€ en 2019, soit 8 % du chiffre d'affaires total réalisé avec la société par ses fournisseurs de programmes (hors information, programmes régionaux et sport). Ce niveau a connu une hausse de 25 % entre 2017 et 2019. Selon les informations transmises par France Télévisions, cette progression est liée au volume d'activité réalisé avec la société Terence (productrice du feuilleton ultramarin « Cut ») acquise par Banijay au cours de la période, au développement de la production autour de la marque « Fort Boyard », ainsi qu'à la relance du programme « La carte aux trésors », deux émissions produites par Adventure Line Productions, filiale de Banijay. Dans son avis relatif aux résultats de France Télévisions entre 2015 et 2018 publié en février 2020, le CSA relève également cette hausse, qu'il explique par l'acquisition par Banijay d'Air Productions et de Zodiak Media 83 en 2017, puis la création de Banijay Studio France (« Tout le monde a son mot à dire »). Il estime que cette tendance devrait se confirmer à l'avenir, notamment à la suite de l'acquisition par Banijay d'Endemol Shine Group 84, qui produit entre autres « Les Enfants de la télé » et « Prodiges ». Par ailleurs, de nombreuses sociétés de production, dont Banijay, s'affranchissent de l'obligation légale de publication de leurs comptes, au motif notamment qu'une telle obligation serait de nature à dévoiler des informations stratégiques sur leur situation dans un environnement de marché fortement concurrentiel. France Télévisions fait ainsi valoir qu'il serait délicat de se priver de toute relation commerciale avec le groupe Banijay qui compte parmi les acteurs majeurs du marché de la production audiovisuelle. Il convient par ailleurs de noter que France Télévisions insère systématiquement dans ses contrats des clauses relatives au respect par les producteurs de leurs obligations sociales et fiscales. Informé de l'ouverture d'une enquête à la suite d'une plainte portant sur le contrat passé par France Télévisions avec la société Air Productions pour la période 2017-2020, le ministère de la culture reste attentif à la procédure en cours et ses résultats. En matière de règles et principes déontologiques, il convient d'abord de rappeler qu'en l'état de la législation relative aux obligations déclaratives des dirigeants des entreprises publiques, Monsieur Takis Candilis n'était pas soumis, en sa seule qualité de directeur général délégué à l'antenne et aux programmes, à l'obligation de déclaration auprès de la haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP). En revanche, France Télévisions a pris des engagements en faveur de la lutte contre la corruption, les conflits d'intérêts et la fraude, conformément aux recommandations de la Cour des comptes dans son rapport intitulé « France Télévisions : mieux gérer l'entreprise, accélérer les réformes », publié en 2016. À cette fin, depuis 2016, le groupe met en œuvre un plan d'exemplarité, conçu par la direction de l'éthique et de la déontologie créée à cet effet et en charge de son déploiement, qui a été approuvé par le conseil d'administration de France Télévisions. Il s'est notamment traduit par l'élaboration d'une charte d'éthique et, pour application de la loi n° 2016 1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, d'un code de conduite anti-corruption ainsi que d'une procédure d'alerte interne destinée à recueillir les signalements de situations contraires à ce dernier. Ce plan d'exemplarité a également permis la mise en place, d'une part, d'une procédure de déclaration d'intérêts personnels de l'ensemble des salariés et des personnels recrutés et, d'autre part, d'une procédure renforcée visant à prévenir les situations de conflits d'intérêts liés à des engagements de programmes. Cette dernière concerne spécifiquement les engagements conclus avec une société de production employant un ancien collaborateur de France Télévisions ayant quitté le groupe depuis moins de douze mois ou ayant employé un collaborateur qui a rejoint France Télévisions depuis moins de douze mois. Elle prévoit une validation systématique des mandats de négociation concernés par la Présidente-directrice générale de France Télévisions, quel que soit le montant, ainsi qu'une information du Contrôle général économique et financier. Le comité d'audit est par ailleurs informé de ces mandats une fois validés. Ces deux procédures se sont appliquées à Monsieur Takis Candilis, directeur général délégué à l'antenne et aux programmes de France Télévisions de février 2018 à septembre 2020, qui a à ce titre remis au groupe la déclaration de ses intérêts personnels. France Télévisions indique par ailleurs avoir appliqué la procédure renforcée visant à prévenir les conflits d'intérêt lors du recrutement de Monsieur Candilis et depuis son départ pour le groupe Banijay.

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