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Frédérique Dumas
Question N° 34237 au Ministère de l’europe


Question soumise le 24 novembre 2020

Mme Frédérique Dumas interroge M. le ministre de l'Europe et des affaires étrangères sur le refus de la France de répondre à l'appel conjoint du président du CICR et du secrétaire général des Nations Unies visant à éviter l'emploi d'armes explosives à large rayon d'impact dans les zones habitées. Le 27 septembre 2020 le conflit entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan pour le Haut-Karabakh a repris, mettant en grave danger la population sur place. Il a pris fin avec l'accord tripartite signé par les deux protagonistes et la Russie le lundi 9 novembre 2020. Des deux côtés, les villes et zones résidentielles sont devenues la cible de bombardements, et ce malgré la mise en place de cessez-le-feu et de trêves humanitaires censés protéger les civils. Cet usage massif d'armes explosives à large rayon d'impact (bombes aériennes, roquettes, tirs d'artillerie, etc.) en zones peuplées tue et blesse aveuglément et de manière indiscriminée femmes, enfants et autres civils, tout en endommageant des infrastructures civiles pourtant vitales à la survie de la population. Le conflit du Haut-Karabakh met en lumière cette situation tragique et inacceptable qui existe depuis des années dans d'autres régions du monde. Au Yémen par exemple, un rapport de l'association Handicap international daté de mai 2020 démontre que les effets à long terme liés à l'utilisation d'armes explosives « sont tout aussi meurtriers que l'explosion elle-même et qu'ils touchent même un plus grand nombre de personnes que celles se trouvant à proximité de l'attaque initiale, dans la mesure où la destruction des infrastructures a des conséquences sur l'ensemble du système de services du pays ». Aussi, « les dégâts infligés aux infrastructures et services indispensables à l'alimentation, au transport, à la santé et à l'approvisionnement en eau représentent un danger pour les populations civiles et prolongent les souffrances longtemps après la fin des bombardements ». Pour ne citer qu'un exemple dans ce pays, la destruction en 2015 de l'hôpital d'Hayden, dans le gouvernorat de Sa'dah - qui était le seul hôpital existant dans un rayon de 80 kilomètres - a privé 200 000 personnes à l'accès à des soins vitaux. Au-delà des explosions, toujours selon le rapport de Handicap International, « la contamination par des engins non explosés affectera la population du Yémen pendant des décennies ». Aussi, ce conflit et ces bombardements dans la région du Haut-Karabagh, comme au Yémen, en Syrie, ou encore en Irak, illustrent un constat dramatique : lorsque des armes explosives à large rayon d'impact sont utilisées en zones peuplées, plus de 90 % des victimes sont des civils. Même lorsqu'elles sont dirigées contre une cible militaire, ces armes présentent un risque élevé d'effets indiscriminés et disproportionnés de par leur seule utilisation en zones peuplées. Blessures, mutilations et traumatismes, mais aussi exil forcé de populations, destructions et endommagements d'infrastructures vitales comme des hôpitaux ou écoles, et contamination par des restes explosifs de guerre : ces pratiques déstabilisent des populations et régions sur le très long terme. Ces faits incontestables, documentés depuis des années par les Nations Unies et le CICR, ont interpellé depuis plusieurs années une partie de la communauté internationale, qui s'est mobilisée depuis afin de mettre fin à l'utilisation des armes explosives à large rayon d'impact dans les zones peuplées. Alors que M. Emmanuel Macron était candidat à l'élection présidentielle, il répondait à une enquête de Handicap international sur le sujet des bombardements en zones urbaines. À la question « engagerez-vous activement la France dans le processus diplomatique en cours visant à l'élaboration d'une déclaration politique internationale pour protéger les civils de l'utilisation d'armes explosives en zones peuplées ? », M. Emmanuel Macron a répondu qu'il souhaitait « des engagements politiques fermes pour éviter l'utilisation d'armes explosives en zones peuplées ». En octobre 2019 lors de la conférence de haut niveau organisée à Vienne, la France a exprimé pour la première fois, aux côtés de 83 autres États, son soutien au principe d'une déclaration politique internationale sur la protection des civils contre l'utilisation d'armes explosives à large rayon d'impact dans les zones peuplées. L'implication active de la France dans le processus diplomatique qui a suivi est à saluer. Pourtant, et malgré une volonté d'améliorer le cadre déjà existant (chaîne de commandement, règle d'engagement, processus de ciblage, doctrine, diffusion du DIH aux forces armées), le Gouvernement refuse toujours de répondre à l'appel conjoint lancé par le président du CICR et le secrétaire général des Nations Unies en septembre 2019 visant à « éviter d'employer des armes explosives à large rayon d'impact dans les zones habitées ». La France persiste à réduire le problème à une question « d'usage indiscriminé » des armes explosives, tout en ne souhaitant pas « stigmatiser » ces mêmes armes. Dans ce contexte, elle lui demande si la France compte enfin répondre à l'appel conjoint du président du CICR et du secrétaire général des Nations Unies, compte tenu des conséquences de long terme liées à l'usage d'armes explosives en zones peuplées sur différents théâtres d'opérations, comme en atteste encore l'exemple récent du Haut-Karabakh, et respecter ainsi la promesse faite par Emmanuel Macron qu'il y ait « des engagements politiques fermes pour éviter l'utilisation d'armes explosives en zones peuplées ».

Réponse émise le 12 janvier 2021

La France partage les graves préoccupations humanitaires relayées concernant les souffrances des civils dans les conflits armés, liées à un usage indiscriminé, c'est-à-dire non conforme aux règles du droit international humanitaire,  d'armes explosives dans des zones habitées. L'usage, contraire aux règles du droit international humanitaire, que font de ces armes certaines parties aux conflits est de nature à provoquer des victimes civiles et la destruction de biens civils, notamment des infrastructures essentielles, empêchant durablement le retour des populations déplacées et le rétablissement de conditions de vie normales. Le recours massif aux engins explosifs improvisés et l'utilisation, toujours en violation du droit international humanitaire, de « boucliers humains », en particulier de la part d'acteurs non étatiques, constituent également une source majeure de souffrances civiles et doivent être clairement condamnés. Forte de ce constat, la France soutient la mobilisation de la communauté internationale visant à renforcer la protection des civils dans les conflits armés en zones habitées. La France s'est engagée activement dans le processus diplomatique initié par la Conférence de Vienne, dès son lancement en octobre 2019. Elle souhaite que ce processus permette de promouvoir des solutions efficaces et concrètes pour améliorer la mise en œuvre du droit international humanitaire. Les souffrances civiles ne résultent pas des caractéristiques intrinsèques des armes dites explosives, ni d'une lacune du droit international humanitaire, mais de la méconnaissance pure et simple de celui-ci par certaines parties aux conflits armés. Il est essentiel de rappeler que l'emploi d'armes explosives, en particulier dans des zones où des civils sont présents en grand nombre, n'échappe pas aux règles fondamentales du droit international humanitaire, qui prohibe les attaques dirigées contre la population civile et les biens de caractère civil, qui impose d'opérer une distinction entre civils et combattants et entre biens civils et objectifs militaires, de veiller constamment à épargner les civils en application du principe de précaution dans l'attaque, et d'observer un principe de proportionnalité dans la conduite des hostilités. Ces principes, s'ils étaient universellement respectés par toutes les parties aux conflits, États comme acteurs non-étatiques, limiteraient efficacement et durablement les pertes, les dommages et incidents causés par les conflits armés en zone urbaine et permettraient, ainsi, de réduire les souffrances civiles. La France appelle donc les États, dans le cadre de la déclaration politique en cours d'élaboration, à réaffirmer leur soutien inconditionnel au droit international humanitaire, à s'engager à l'appliquer de manière rigoureuse, et à respecter les obligations qui leur incombent, notamment celle de veiller constamment à épargner la population civile, les personnes civiles et les biens à caractère civil. Pour cela, les États doivent adopter des procédures strictes en matière d'organisation de la chaîne de commandement, de règles d'engagement, de ciblage ou encore de formation de leurs forces armées. La France souhaite également que, dans le cadre de cette déclaration politique, les États reconnaissent et prennent en compte les défis inhérents à l'urbanisation croissante des conflits. À cette fin, ils doivent s'engager à mettre en œuvre, sur le terrain, des mesures concrètes, strictement adaptées au milieu urbain et contribuant à un emploi maîtrisé de la force et à mieux protéger les populations civiles et leur cadre de vie. Il s'agit plus particulièrement de définir et d'adopter des concepts doctrinaux, des modes d'actions et des parcours de formation spécifiques et rigoureusement adaptés à la conduite d'opérations en zones habitées ; d'appliquer des règles strictes relatives à l'emploi d'armes et de munitions déclinant les principes du droit international humanitaire et tenant compte de la présence de la population sur les lieux de l'action ainsi que de l'obligation d'épargner la population civile ainsi que les biens civils, notamment les infrastructures essentielles. Pour la France cette déclaration doit ouvrir la voie à un renforcement de la coopération et de l'échange de savoir-faire techniques et tactiques entre les États et leurs forces armées. La mise en œuvre, la promotion et le partage des meilleures pratiques dans ces domaines contribueront à mieux traduire les principes du droit international humanitaire dans la réalité des opérations militaires et à améliorer de façon concrète la protection des civils. La France a fait part de ces propositions lors des premières consultations organisées à Genève en novembre 2019, puis des premières sessions de négociations qui se sont tenues en février et en mars 2020. Pour nourrir les discussions sur l'amélioration de la mise en œuvre du droit international humanitaire, elle a partagé un document présentant les mesures et procédures appliquées par ses forces armées pour protéger les populations et les biens civils dans la conduite de leurs opérations en zones habitées. Elle a également diffusé au printemps 2020, avec l'Allemagne, le Royaume-Uni et d'autres partenaires, un texte exposant les principes qui devraient structurer la déclaration politique. La France souhaite que le processus d'élaboration de la déclaration politique, qui a été interrompu par la crise sanitaire internationale, puisse reprendre en 2021 dans le respect des règles du multilatéralisme, et dans des conditions garantissant l'inclusivité et la transparence des travaux. Elle entend continuer à y participer activement, conformément à son engagement en faveur du droit international humanitaire.

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