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Danièle Obono
Question N° 35967 au Ministère de l’europe


Question soumise le 2 février 2021

Mme Danièle Obono attire l'attention de M. le ministre de l'Europe et des affaires étrangères sur la situation des personnes demandant l'asile en provenance d'Afghanistan. La Cour nationale du droit d'asile (CNDA) a publié le 19 novembre 2020 ses conclusions dans une audience spécifique (nommément la « grande formation »), dans lesquelles elle considère que le niveau de violence régnant à Kaboul ne justifie pas à lui seul le fait d'attribuer une protection internationale pour les demandes d'asile afghans qui y vivent ou qui doivent y transiter pour rentrer dans leurs régions d'origine : « La violence aveugle prévalant actuellement dans la ville de Kaboul n'est pas telle qu'il existe des motifs sérieux et avérés de croire que chaque civil qui y retourne court, du seul fait de sa présence dans cette ville, un risque réel de menace grave contre sa vie ou sa personne ». Ces deux décisions constituent ainsi un revirement radical de la jurisprudence en vigueur concernant l'étendue des motifs possibles de reconnaissance de la protection subsidiaire à des demandes d'asile d'Afghans en France. 80 % des Afghans protégés par la France obtiennent une protection subsidiaire, en particulier du fait du niveau de violence qui ne risque guère de se réduire dans la perspective du retrait annoncé des forces américaines, de la présence constante des Talibans, de la faiblesse structurelle de l'armée et de la police nationale afghane et de l'impasse actuelle où se trouve le processus de négociations intra-afghans. Selon les directives européennes (article 15, point c) de la directive « qualification », la notion du niveau de violence aveugle doit s'interpréter au sens large. La Cour de justice de l'Union européenne n'a donné aucune orientation en matière de critères d'évaluation du niveau de violence dans un conflit armé. La typologie entre violence aveugle de faible, moyenne ou exceptionnelle intensité qui est faite par la CNDA est donc questionnable, tout comme la méthode et les paramètres (trop flous) qui permettent d'apprécier ce degré de violence aveugle. De son côté, le Haut commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) plaide pour que les juridictions nationales adoptent une démarche quantitative et qualitative pragmatique, globale et prospective. Or cette dimension prospective est complètement absente des deux décisions, qui, aux dires du chercheur en sciences politiques et spécialiste de l'Afghanistan Gilles Dorronsoro, au micro de France culture, sont « un peu scandaleuses ». La CNDA ajoute en outre que « l'impact de ces attentats n'est pas de nature à contraindre les civils à quitter leurs foyers et la ville de Kaboul », ce qui est encore plus questionnable sur le fond. Certains civils ont fait le choix de partir consécutivement à des incidents de sécurité, y compris des attentats. Dans une récente déclaration publique du 5 novembre 2020, l'inspecteur général américain pour la reconstruction en Afghanistan (SIGAR) mentionnait que 2 561 civils avaient été directement victimes du conflit et de la violence sur la période de juillet à septembre 2020, incluant 876 décès de civils, soit une hausse de 43 % par rapport à la période d'avril à juin 2020. Elle souhaite donc savoir ce qu'il propose vis-à-vis des ressortissants afghans originaires de Kaboul ou qui doivent passer par Kaboul dans les cas où ils seraient déboutés du droit d'asile.

Réponse émise le 9 mars 2021

La France suit très attentivement la situation sécuritaire en Afghanistan, où le niveau de violence demeure très élevé, principalement du fait des Talibans et de Daech. Les civils paient un lourd tribut dans ce conflit et sont les principales victimes du terrorisme. L'année 2020 a été endeuillée par des attaques ciblées dans la capitale, notamment celle qui a frappé, le 12 mai, une maternité gérée par Médecins sans frontières et celle contre l'université de Kaboul, le 2 novembre. La France a condamné ces actes abjects. Depuis le mois de novembre, Kaboul est plus particulièrement le théâtre d'une campagne d'assassinats individuels ciblés et non revendiqués, visant à éliminer spécifiquement des personnalités politiques et non gouvernementales afghanes, afin d'instiller l'idée que l'État afghan est incapable d'assurer la sécurité sur son territoire. Ces cibles symbolisent les acquis démocratiques de la République islamique d'Afghanistan de ces vingt dernières années, que la France s'attache à promouvoir. Le 17 janvier dernier, la France a condamné avec la plus grande fermeté l'assassinat de deux femmes juges de la Cour suprême lâchement abattues dans la capitale afghane. La violence qui règne à Kaboul est incontestable. Elle est également le fait de la criminalité de droit commun. Elle pourrait toutefois se réduire si les négociations inter-afghanes en cours portaient leurs fruits comme nous l'espérons. Avec ses alliés et le gouvernement afghan, la France exige un cessez-le-feu immédiat qui témoignerait de la volonté des insurgés d'accepter de faire des compromis en faveur d'une paix durable. Dans l'immédiat, il convient d'évaluer pour chaque situation individuelle le risque de persécution ou d'atteinte grave en cas de retour. Les décisions de la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) se fondent notamment sur le rapport d'information du Bureau européen en matière d'asile sur la situation sécuritaire en Afghanistan de septembre 2020. C'est à partir de ce rapport que sont élaborées les lignes directrices européennes de doctrine en matière d'asile s'appliquant à ce pays. Elles contribuent à l'analyse objective et précise du bien-fondé des demandes de protection émanant de ressortissants afghans. Elles différencient les niveaux de violence prévalant dans chaque province et dans la ville de Kaboul. La CNDA a décidé de se référer à cette approche pour examiner les recours formés par les demandeurs d'asile afghans. Il ne s'agit aucunement de limiter le droit des Afghans de demander l'asile, mais de prendre une décision tenant compte de la situation de chacun. Même si le ministère de l'Europe et des affaires étrangères suit au plus près la situation sécuritaire en Afghanistan et à Kaboul et ses conséquences sur le quotidien des citoyens afghans, il n'a pas de compétence propre en matière de droit d'asile. Il ne saurait donner des indications individuelles pour les personnes dont la Cour nationale du droit d'asile, juridiction administrative spécialisée et indépendante, a jugé la demande de protection non fondée, après un examen individuel des faits d'espèce.

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