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Anne-Laure Blin
Question N° 37394 au Ministère des armées


Question soumise le 23 mars 2021

Mme Anne-Laure Blin alerte Mme la ministre des armées sur le risque que fait peser la directive européenne 2003/88/CE relative au temps de travail sur la capacité opérationnelle des forces armées françaises. Cette directive ne devait pas s'appliquer aux militaires, gendarmes et policiers mais la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) a décidé que « les dérogations ne sont pas applicables à des corps ou à des secteurs dans leur globalité, comme les forces armées ou la police, mais seulement à certaines des missions qu'ils assument. » Un repos journalier d'au moins 11 heures consécutives par période 24 heures, une pause hebdomadaire de 24 heures pour chaque période de 7 jours, un temps de travail de nuit ne devant pas dépasser huit heures en moyenne par jour, une durée de travail ne devant pas excéder les 48 heures par semaine (heures supplémentaires comprises), etc. Ce sont les mesures que prévoit la directive européenne et qui ont déjà été mises en place dans la gendarmerie, et qui doivent bientôt être mises en place pour les armées. L'application de cette directive pourrait porter préjudice à la capacité opérationnelle de la France ainsi qu'à la formation et à l'entraînement, notamment sur la formation initiale des recrues, la préparation opérationnelle ou encore sur l'organisation des stages d'aguerrissement ainsi que toutes les situations où il n'est pas possible de faire une pause de 11 heures consécutives. La gendarmerie nationale a été contrainte d'appliquer cette directive en 2016. Comme l'avait expliqué, devant l'Assemblée nationale, le général Richard Lizurey, alors directeur général de la gendarmerie nationale, la capacité opérationnelle de la gendarmerie s'est dégradée, avec pour conséquence une baisse de 3 à 5 % du temps de service, ce qui représente, pour la Gendarmerie, « 3 000 à 5 000 équivalents temps pleins » (postes) sur un effectif de 100 000 militaires. En effet, l'application indifférenciée de cette directive porte atteinte au « principe de disponibilité » des militaires et au statut de ceux-ci car « les militaires peuvent être appelés à servir en tout temps et en tout lieu », avec en prime des dépenses supplémentaires étant donné que la fixation de périodes minimales de repos à l'occasion d'activités ordinaires entraînerait inévitablement, à charge de travail constante, des besoins supplémentaires en personnels. Or les militaires français ne sont pas des salariés comme les autres ni des fonctionnaires comme les autres et, compte tenu de la volonté pressante des instances européennes sur ce sujet, elle souhaite savoir quelles dispositions le Gouvernement envisage pour sauvegarder le statut militaire sans porter atteinte à la capacité opérationnelle de la France.

Réponse émise le 21 décembre 2021

Plusieurs États membres de l'Union européenne, parmi lesquels la France, n'ont pas transposé aux forces armées la directive 2003/88/CE sur le temps de travail, considérant qu'elle ne s'applique pas aux militaires du fait des stipulations du droit primaire, qui n'attribuent pas de compétence à l'Union européenne en la matière, ainsi que des exclusions qu'elle prévoit. C'est la position que la France a rappelée avec constance aux côtés d'autres États membres, faisant valoir que la santé et la sécurité des militaires étaient garanties par des règles protectrices dans le cadre d'un statut qui ménage un équilibre entre droits et devoirs, adapté à la singularité de leur engagement. L'arrêt rendu par la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) juge par principe la directive applicable aux militaires, même s'il ménage certaines exceptions. Or, la directive susmentionnée prévoit un décompte individualisé du temps de travail et un plafonnement de celui-ci à 48 heures hebdomadaires, alors que l'armée française doit, pour assurer la permanence de sa mission, organiser collectivement ses activités. Le niveau d'engagement des forces françaises est particulièrement élevé et repose sur un continuum formation-entraînement-déploiement. Le contexte stratégique et la violence croissante qu'affrontent les armées sur les théâtres extérieurs rappellent combien est important le maintien de forces disponibles en tout temps et en tout lieu, de même que la préservation de l'esprit militaire. La plus grande vigilance est donc apportée à garantir la disponibilité, la combativité, l'interopérabilité et la cohésion de nos armées. La distinction proposée par la CJUE pour décider de l'application de la directive entre activités de haute intensité, d'une part, et activités dites de service ordinaire, d'autre part, n'est pas adaptée au cas d'une armée qui, comme l'armée française, est entièrement professionnalisée. L'application partielle, ou à éclipse, de ce texte n'est pas compatible avec son mode d'organisation. La libre disposition de la force armée constitue par ailleurs un principe à valeur constitutionnelle, comme le rappelle les décisions du Conseil constitutionnel n° 2014-432 QPC du 28 novembre 2014 et n° 2014-450 QPC du 27 février 2015. Par ailleurs, l'unité de sort des militaires, qui se traduit par l'unicité et la singularité du statut, est au cœur de la cohésion et de l'efficacité de nos forces armées. Conformément aux orientations données par le Président de la République, le Gouvernement est déterminé à répondre à cet arrêt de la CJUE par le droit. Les autorités françaises ont entrepris à ce sujet des échanges techniques avec la Commission européenne.

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