M. Philippe Naillet interroge Mme la ministre de la transformation et de la fonction publiques sur la présomption de transferts du centre des intérêts matériels ou moraux des agents publics issue de l'avis du Conseil d'État n° 328510 du 7 avril 1981. La notion de centre des intérêts matériels ou moraux est centrale dans l'éligibilité des agents à de nombreux dispositifs visant à compenser les handicaps structurels et l'éloignement des outre-mer. L'administration a, encore récemment, rejeté des dossiers de congés bonifiés en s'appuyant sur l'avis du Conseil d'État précité, arguant sur la base du premier paragraphe du I de cet avis : « Le recrutement en métropole en qualité de fonctionnaire de l'État d'agents originaires d'un département d'outre-mer constitue une présomption du transfert du centre des intérêts de ces agents sur le territoire européen de la France. Cette présomption ne suffit pas cependant à permettre d'exclure, sans autre examen, les intéressés d'un droit au bénéfice de l'indemnité d'éloignement. » La question de l'obsolescence de cette partie de l'avis du Conseil d'État pourrait pourtant être légitimement posée, pour deux raisons : elle n'est pas reprise dans la circulaire FP n° 2129 du 3 janvier 2007 relative aux conditions d'attribution des congés bonifiés aux agents des trois fonctions publiques, qui fait pourtant un point exhaustif à date du droit en vigueur et fait référence sur ce sujet. D'autre part, l'application de cette présomption de transfert des centres d'intérêts matériels ou moraux sur le territoire européen de la France en cas de recrutement en métropole pose une difficulté pratique suite à l'extension des congés bonifiés aux agents publics en CDI par le décret n° 2020-851 du 2 juillet 2020. En effet, si un fonctionnaire n'est par principe recruté qu'une fois dans la fonction publique, les contractuels peuvent en pratique être recrutés plusieurs fois consécutivement par un employeur public, même en CDI : bien que l'on n'ait pas de statistique précise du turn-over au sein des agents contractuels de droit public, la DARES indiquait concernant le secteur privé dans une étude de 2015 que plus d'un tiers des CDI du privé sont rompus avant un an et dans une autre de 2018 que 16,4 % du total des CDI ont été rompus au cours de l'année 2017. L'application de la présomption de transfert des centres d'intérêts moraux ou matériels dans l'Hexagone lors du recrutement créerait donc une forte inégalité entre agents publics et fonctionnaires dans l'accès à ce dispositif : si le fonctionnaire ne serait présumé avoir procédé à ce transfert qu'une fois à l'occasion de son recrutement dans la fonction publique, l'agent public serait présumé avoir procédé à ce transfert à chaque recrutement et devrait donc prouver avoir maintenu ses CIMM en outre-mer au regard de chacun de transferts potentiels ou les avoir reconstitué à la suite du dernier recrutement. Concrètement, une telle lecture risquerait de rendre inopérante la mesure d'extension souhaitée par le Gouvernement. Pour cette raison, il lui demande si l'avis du Conseil d'État n° 328510 doit être considéré comme toujours en vigueur en ce qu'il impose une présomption de transfert des centres d'intérêts matériels ou moraux en Hexagone lors d'un recrutement en Hexagone et, si tel est le cas, de lui préciser les modalités de son application aux agents publics non fonctionnaires.
L'appréciation du centre des intérêts matériels et moraux (CIMM) par les employeurs publics est destinée à vérifier la permanence du lien entre un agent et un territoire. Elle s'appuie sur de nombreux critères et a fait l'objet d'une abondante jurisprudence du Conseil d'Etat qui précise son utilisation. Le Conseil d'Etat a ainsi stipulé que le CIMM était une notion qu'il convenait d'apprécier dans la durée pour s'assurer que le CIMM n'a pas été transféré. C'est ainsi que la prise de congés réguliers vers un territoire ainsi que les demandes répétées de mutation vers un territoire font partie des critères examinés par les magistrats pour vérifier que les liens avec ce territoire existent toujours (CE 102348). A contrario le fait d'avoir résidé 4 ans sur un territoire à l'occasion d'une affectation professionnelle n'est pas un critère suffisant pour transférer le CIMM sur le territoire en question (CE 337645, 18 juin 2012). Le statut de l'agent est cependant sans lien avec le transfert de son CIMM. Les agents contractuels en CDI comme les fonctionnaires peuvent connaître des changements d'employeur. Ces mobilités peuvent être prises en compte lors de l'examen du dossier par l'administration mais ce seul critère ne suffit pas à considérer que le CIMM a été transféré et l'appréciation sera conduite de manière identique pour les fonctionnaires et les contractuels. De ce fait, il n'est pas possible de considérer que les demandes de reconnaissance de leur CIMM déposées par les contractuels sont appréciées dans des conditions moins favorables. Le Gouvernement est cependant conscient de la nécessité d'une appréciation plus pérenne du CIMM. Des travaux sont en cours afin d'éviter qu'il ne soit réexaminé à chaque demande. Dans ce nouveau cadre, un agent ayant déjà bénéficié d'une reconnaissance de l'implantation de son centre de ses intérêts moraux et matériels, dans le cadre d'une demande de mobilité ou de congés, n'aura pas besoin de le justifier à nouveau si cette demande intervient moins de 6 années après la demande initiale et si sa situation personnelle n'a pas évolué.
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