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Yves Hemedinger
Question N° 39386 au Ministère auprès de la ministre de la transition écologique


Question soumise le 8 juin 2021

M. Yves Hemedinger attire l'attention de Mme la ministre de la transition écologique sur la règlementation environnementale 2020 (RE 2020). Pour la première fois en France, un Gouvernement envisage de mettre en place une évaluation environnementale des bâtiments neufs avec l'objectif de promouvoir des pratiques de construction dites durables et respectueuses des défis climatiques de ce siècle. M. le député marque son soutien aux ambitions de décarbonation du secteur du bâti telles qu'affichées par le Gouvernement. Il est indéniable que le secteur de la construction - responsable de plus d'un tiers des émissions de CO2 en Europe - est un des principaux secteurs d'activité défié par la transition énergétique. Si l'introduction d'une évaluation environnementale des bâtiments est une étape nécessaire pour la transition de la filière vers des pratiques durables, il est important que l'analyse utilisée s'appuie sur des méthodologies fiables et conformes aux connaissances scientifiques actuelles. À cet égard, la RE 2020 rompt avec le label environnemental E+C-, introduit par le Gouvernement en 2016, en promouvant l'analyse de cycle de vie dite dynamique qui calcule l'empreinte carbone des bâtiments neufs en tenant compte uniquement du bénéfice lié aux émissions différées de CO2. Or il n'existe aucun consensus scientifique sur cette méthodologie - contrairement aux méthodes de calculs normalisées existantes -, qui, de plus, annule les émissions émises en fin de vie telles que celles de méthane. Cette approche implique que la responsabilité de la lutte contre le changement climatique serait renvoyée aux générations futures, en désaccord avec la Constitution française et l'accord de Paris sur le climat. Par ailleurs, l'utilisation de cette analyse de cycle de vie briderait les efforts de protection de l'environnement et de biodiversité. En effet, le bâti neuf devrait être composé de produits davantage issus des forêts françaises, voire de forêts étrangères. Or en 2019, la France a importé pour 5 millions de tonnes de produits issus de forêts étrangères (Eurostat) et ne bénéficie pas des forêts nécessaires (65 % de la forêt française est constituée d'espèces feuillues qui constituent un matériau noble, difficilement renouvelable) pour permettre un bâti neuf composé de bois issus de forêts de résineux. L'analyse de cycle de vie impliquerait donc des changements radicaux des paysages. M. Hemedinger souhaite donc comprendre les choix du Gouvernement et comment la France pourra à la fois respecter ses engagements de protection de la biodiversité, tout en réduisant ses émissions de CO2 du bâti, avec l'analyse de cycle de vie telle que proposée dans la RE 2020.

Réponse émise le 28 septembre 2021

Le choix de l'approche d'analyse du cycle de vie (ACV) dite « dynamique », s'est fait à la suite d'une large concertation initiée en 2019. Un groupe d'expertise a proposé l'approche dynamique qui constituait la première piste du rapport qu'il a rendu début mars 2019. En novembre 2019, le comité technique de l'expérimentation E+C- a présenté des re-calculs de l'observatoire E+C- selon les méthodes statiques et dynamiques. Ceux-ci ont été rendus publics sur le site de l'expérimentation E+C-. Tout d'abord, il convient de noter que l'analyse en cycle de vie dynamique, comme l'analyse statique, prend bien compte l'ensemble du cycle de vie du matériau, en particulier durant la phase amont mentionnée (impact carbone lié à l'importation et aux transports ou lié à son circuit de transformations successives). Dans les deux cas, statique ou dynamique, les données utilisées sont celles des fiches environnementales (FDES ou PEP). Plus spécifiquement, la méthode dynamique a l'avantage de prendre en compte le moment des émissions de gaz à effet de serre, ce que ne permet pas la méthode d'ACV dite « statique ». En effet, une tonne de CO2 émise aujourd'hui commence à réchauffer le climat dès aujourd'hui alors que la même tonne émise dans 25 ans ne commencera à produire ses effets que dans 25 ans. Les gaz à effet de serre (GES) restent des dizaines, voire des centaines ou des milliers d'années dans l'atmosphère, c'est la raison pour laquelle une molécule de CO2 émise aujourd'hui réchauffera l'atmosphère non seulement aujourd'hui mais aussi demain et tous les jours jusqu'à ce qu'elle soit finalement captée par les océans, les forêts, etc. et disparaisse de l'atmosphère. On peut alors mesurer l'effet cumulé d'une émission de gaz à effet de serre sur le climat, ce que l'on appelle le forçage radiatif cumulé. Ainsi les dynamiques physiques induisent un réchauffement climatique qui varie selon qu'on l'évalue à un horizon de 20 ans, de 100 ans ou de 500 ans. C'est ce qu'on appelle « l'horizon temporel ». Le choix de l'horizon temporel est donc directement lié à l'horizon des stratégies de lutte contre le changement climatique que l'on peut souhaiter mettre en place puisque c'est à l'aune de cet horizon temporel que l'impact du réchauffement climatique est ainsi évalué. L'urgence de la crise climatique actuelle, qui nous pousse à agir au plus vite, pourrait justifier une évaluation de l'impact des politiques publiques sur le réchauffement climatique à un horizon temporel très proche, à 10 ou 20 ans. Néanmoins un tel choix présenterait le risque de privilégier des solutions court-termistes, qui pourraient se révéler négatives pour le climat à plus long-terme. C'est pour cela que le Gouvernement a choisi un horizon temporel plus lointain, de 100 ans, qui est cohérent avec l'engagement pris lors de l'Accord de Paris de limiter au maximum le réchauffement climatique en 2100. Ce choix est aussi cohérent avec les travaux du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) qui étudient différents scénarii climatiques à l'horizon 2100. Cet horizon temporel est d'ailleurs utilisé dans un grand nombre d'études scientifiques et est notamment privilégié dans le calcul de l'unité de mesure conventionnelle des émissions de gaz à effet de serre, le kilogramme « équivalent » CO2 (kgCO2eq). Le choix du Gouvernement de retenir la méthode dynamique est cohérent avec la volonté du législateur et l'article L. 111-9 du code de la construction qui indique qu'« un décret en Conseil d'État détermine […] à partir de 2020, pour les constructions nouvelles, en fonction des différentes catégories de bâtiments, le niveau d'empreinte carbone à respecter, évalué sur l'ensemble du cycle de vie du bâtiment, en intégrant la capacité de stockage du carbone dans les matériaux […] ». Dans son chapeau, ce même article indique : « Les performances énergétiques, environnementales et sanitaires des bâtiments et parties de bâtiments neufs s'inscrivent dans une exigence de lutte contre le changement climatique, de sobriété de la consommation des ressources et de préservation de la qualité de l'air intérieur. Elles répondent à des objectifs d'économies d'énergie, de limitation de l'empreinte carbone par le stockage du carbone de l'atmosphère durant la vie du bâtiment, de recours à des matériaux issus de ressources renouvelables, d'incorporation de matériaux issus du recyclage, de recours aux énergies renouvelables, de confort thermique et d'amélioration de la qualité de l'air intérieur. » De plus, le stockage temporaire de carbone est considéré comme un levier central de la Stratégie nationale bas carbone, et le stockage temporaire de carbone dans les produits bois est pris en compte dans les inventaires officiels de GES rapportés à la CCNUCC (Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques). L'intérêt du stockage de carbone dans les bâtiments ne fait donc pas de doute. En conséquence, la méthode dynamique permet de satisfaire les souhaits du législateur et d'être conforme à la loi ELAN. Stocker du carbone dans les constructions neuves permet d'accroître le stock de carbone national, ce qui contribue donc à réduire le changement climatique pour les générations futures. Par ailleurs, une telle stratégie ne génère pas de pic d'émissions futures. Il s'agit en effet de stocker du carbone dans les bâtiments construits chaque année, et ainsi lorsqu'arrivera le temps de déconstruire les premiers bâtiments et d'éventuellement émettre le carbone qui y était stocké (il existe des solutions de recyclage, de réemploi, de valorisation énergétique qui évitent des émissions fossiles, …), ces émissions seront compensées par le stockage que constitueront les constructions neuves annuelles. Il en résultera donc une stabilisation du stock de carbone qui aura été constitué dans le parc de bâtiment. En complément, il convient de noter qu'il n'existe pas à ce jour de consensus international sur les normes d'analyse en cycle de vie car plusieurs méthodes coexistent. Bien que les normes actuelles relatives à l'ACV dans le domaine du bâtiment ne prennent pas en compte le stockage temporaire du carbone, certaines laissent la possibilité d'ajouter une information à ce sujet. La RE2020 différera en partie de la norme européenne relative à l'ACV des bâtiments (EN15978), comme c'était le cas pour E+C- sur d'autres et pour la réglementation environnementale néerlandaise par exemple, autre pays pionnier en la matière. Compte tenu des débats liés à la méthode d'ACV dynamique mise en place dans la cadre de la RE2020, et sur les hypothèses qu'elle considère, le Gouvernement portera avec l'ensemble des parties prenantes un travail de normalisation de l'approche d'ACV dynamique à l'échelle française et européenne. La méthode pourra être ajustée lors d'étapes ultérieures de la réglementation si cela apparaissait nécessaire. Enfin, au-delà du choix de la méthode dynamique et de la valorisation du stockage du carbone, les exigences environnementales de la RE2020 permettront de valoriser l'ensemble des matériaux "bas carbone". Elles encourageront la mixité des matériaux ainsi que la diversité des modes constructifs. Les travaux préparatoires à la RE2020 ont d'ailleurs montré que le seul recours au bois d'œuvre dans un bâtiment ne permet pas d'atteindre automatiquement les exigences fixées pour 2031. Surtout, ces travaux font apparaître que le bois d'œuvre n'est pas toujours le levier le moins coûteux pour réduire l'impact carbone des projets : l'ensemble des leviers en conception, en second œuvre, sur les équipements, ont vocation à être mobilisés. En particulier, concernant les matériaux minéraux, l'utilisation de matériaux à faible empreinte carbone, comme le béton bas carbone sera valorisée dans le calcul en analyse de cycle de vie, encourageant ainsi les innovations technologiques concernant les process ou encore l'optimisation de la composition de ces matériaux. A ce titre, la filière des matériaux minéraux, en particulier la filière béton, s'est engagée sur sa capacité à abaisser ses émissions de gaz à effet de serre d'ici 2030 en parfaite cohérence avec la Stratégie nationale bas carbone (SNBC) et engagent de nombreux investissements dans cette direction. Sous réserve que ces objectifs de décarbonation soient tenus, les exigences de la RE2020 permettront toujours l'utilisation de béton de manière courante, même pour les jalons ultimes de la réglementation (à partir de 2031).

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