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Frédérique Dumas
Question N° 40739 au Ministère de l’europe


Question soumise le 17 août 2021

Mme Frédérique Dumas attire l'attention de M. le ministre de l'Europe et des affaires étrangères sur la question des prélèvements forcés d'organes pratiqués en République Populaire de Chine. En 2018, M. le ministre a répondu à plusieurs questions écrites sur ce sujet. Parmi les nombreux éléments de réponse qu'il a apportés figurait celui-ci : « La Chine a rendu illégal le trafic d'organes en 2007 et a officiellement mis fin aux prélèvements d'organes sur des prisonniers exécutés en 2015. La réforme a permis des avancées positives. Aujourd'hui, le système de transplantation est basé sur des dons d'organes. L'enjeu pour la Chine demeure à présent la pleine mise en œuvre de la loi ». Cependant, bien que la Chine soit bien partie à la Convention de Palerme, de nombreuses preuves ont été apportées de pratiques de prélèvements d'organes dont l'origine n'est pas précisée et pour lesquels aucune preuve de consentement n'est apportée. On assiste par ailleurs à l'institutionnalisation de telles pratiques à l'égard de prisonniers de conscience, des minorités musulmanes ouïghoure et kazakhe, tibétaine, chrétienne ou encore des pratiquants du Falun Gong. En 2019, les spécialistes Matthew P. Robertson, Raymond L. Hinde et Jacob Lavee publiaient un article dans la revue BMC Medical Ethics qui concluait que « la seule explication plausible qu'il est possible de donner aux éléments étudiés par les auteurs est que les données officielles de transplantation d'organes sont falsifiées et manipulées systématiquement par la Chine. Certains donneurs apparemment non volontaires semblent être également classés à tort comme volontaires ». En 2019 toujours, le China Tribunal, un tribunal indépendant qui s'est constitué à Londres, a analysé toutes les preuves existantes sur ce sujet. Il a déterminé dans son jugement « à l'unanimité et au-delà de tout doute raisonnable, qu'en Chine, le prélèvement forcé d'organes sur des prisonniers d'opinion est pratiqué depuis un certain temps sur un très grand nombre de victimes ». En janvier 2020, l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe a adopté la résolution 2327, proposée en 2016, sur le tourisme pour la transplantation d'organes. Dans cette résolution, l'Assemblée recommande « que les États parties fassent preuve d'une grande prudence en ce qui concerne la coopération avec le « China Organ Transplant Response System » (Système de réponse des greffes d'organes en Chine) et la Croix-Rouge chinoise, à la lumière d'une étude récente qui jette le doute sur la crédibilité de la réforme du système chinois de transplantation d'organes ». Le 14 juin 2021, des experts de l'ONU se sont dit « extrêmement alarmés » par les informations faisant état de « prétendus prélèvements d'organes » ciblant des minorités en détention en Chine. Ces experts ont déclaré que les informations reçues étaient crédibles et décrivaient que des détenus appartenant à des minorités ethniques, linguistiques et religieuses pourraient être soumis de force à des tests sanguins et à des examens d'organes tels que des ultrasons et des radiographies, sans leur consentement éclairé et que les résultats des examens seraient enregistrés dans une base de données de sources d'organes vivants qui facilite l'attribution des organes. Les experts ont également déclaré que malgré le développement progressif du système de dons d'organes chinois, « des informations continuaient d'émerger sur de graves violations des droits humains dans l'obtention d'organes pour la greffe en Chine ». La liste des preuves est donc sans fin. Dans ce contexte, elle lui demande de faire de la lutte contre les pratiques du prélèvement forcé d'organes en République Populaire de Chine une priorité absolue. Elle lui demande à ce titre si la France, au-delà des mécanismes déjà existants et de la prochaine ratification de la Convention du Conseil de l'Europe contre le trafic d'organes humains, va mettre en place des actions concrètes afin de lutter concrètement contre ce fléau. Afin que les grands principes de la Convention de Compostelle ne soient pas que des mots et se traduisent dans la réalité, elle lui demande si la France va lever les réserves qu'elle a émises lors de la signature de la Convention de Compostelle et qui vident en partie cette dernière de sa substance. Elle lui demande de bien vouloir répondre à l'ensemble de ces points.

Réponse émise le 26 avril 2022

La lutte contre le trafic et la traite des êtres humains constitue une priorité de premier plan pour l'action de la France sur la scène internationale. La France et la Chine sont parties à la Convention des Nations unies contre la criminalité transnationale organisée, dite convention de Palerme, et à son protocole additionnel visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants. La définition internationalement agréée de la traite des êtres humains, telle qu'elle figure dans ce protocole, mentionne explicitement le prélèvement d'organes, qui doit donc être réprimé par tous les États parties. La France a par ailleurs soutenu les résolutions adoptées par l'Organisation mondiale de la santé (OMS) et condamnant le trafic d'organes et de tissus d'origine humaine (résolutions WHA 40.13 et WHA 42.5). Elle soutient également les principes directeurs de l'OMS sur la transplantation d'organes énoncés dans la résolution WHA 44.25. Ces principes directeurs font du consentement l'un des principes de base du prélèvement d'organes afin de prévenir et combattre la traite des personnes à des fins de prélèvement d'organes et de trafic d'organes humains. Concrètement, la priorité accordée à cette question a conduit la France à rejoindre, en 2019, la campagne « Cœur bleu » lancée par l' Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC), ainsi qu'à lancer un appel à un renforcement de la coopération internationale pour combattre la traite des êtres humains et soutenir les victimes à l'occasion de la 10e Conférence des États parties à la Convention de Palerme, qui s'est tenue du 12 au 16 octobre 2020. La France a porté conjointement avec les États-Unis une résolution sur le sujet lors de cette conférence. La France a également lancé un appel à un renforcement de la coopération internationale en la matière, lors du 14e Congrès des Nations unies pour la prévention du crime et la justice pénale, qui s'est tenu à Kyoto, du 7 au 12 mars 2021. À cette occasion, la France a veillé à ce que la lutte contre la traite des êtres humains soit reconnue comme une priorité collective dans le cadre de la déclaration politique adoptée à l'ouverture du Congrès par l'ensemble des parties. Cette déclaration constitue la feuille de route de la communauté internationale en matière de lutte contre la criminalité et de coopération judiciaire pénale pour les cinq prochaines années. Au sein de l'Union européenne, la traite des êtres humains, qui intègre la question de la traite aux fins du prélèvement d'organe, constituait l'une des 13 priorités du cycle politique européen de lutte contre la criminalité organisée (2014-2017) identifiées par EUROPOL. Cette priorité a été, avec le soutien de la France, maintenue dans le cycle 2018-2021. Au niveau national, tous les organismes et établissements français sont liés par la Convention d'Oviedo du Conseil de l'Europe sur les droits de l'Homme et la biomédecine. Leurs conventions de coopération avec des pays tiers doivent respecter les principes de bioéthique fixés par cette convention, et notamment la protection de l'être dans sa dignité et le respect à toute personne, sans discrimination, de son intégrité et de ses autres droits et libertés fondamentales à l'égard des applications de la biologie et de la médecine. Cette convention insiste également sur la nécessité d'un consentement libre et éclairé pour toute intervention dans le domaine de la santé et pose des conditions strictes au prélèvement d'organes ou de tissus aux fins de transplantation. Si les établissements français sont libres d'établir des coopérations avec l'étranger, au titre de la loi d'autonomie des universités de 2007, des mécanismes de vérification de conformité des accords avec la législation et les engagements internationaux de la France sont mis en œuvre au niveau de chaque établissement à travers le réseau des Fonctionnaires de défense et de sécurité. Le Comité consultatif national d'éthique a, en outre, un rôle de sensibilisation des institutions françaises comme internationales aux principes éthiques défendus par la France, particulièrement dans l'établissement de coopérations internationales en santé. La France est particulièrement vigilante quant au respect, en Chine comme ailleurs, des règles internationalement agréées dans ce domaine. De manière générale, la France évoque régulièrement la question des droits de l'Homme en Chine, et dénonce toute politique de répression des minorités lors des entretiens bilatéraux de haut niveau. Elle exprime publiquement ses préoccupations au Conseil des droits de l'Homme, au sein duquel son engagement, dont la force est reconnue par nombre de nos partenaires internationaux, lui a permis d'être très largement réélue l'an dernier. La France a, à l'occasion de la signature de la Convention du Conseil de l'Europe contre le trafic d'organes humains, et comme le permet l'article 30 de cette dernière, formulé plusieurs réserves. En premier lieu, elle se réserve le droit de ne pas appliquer les règles relatives à la tentative de commettre les infractions mentionnées aux articles 7 et 8 (sollicitation et recrutement illicites, offre et demande d'avantages indus ; préparation, stockage, transport, importation et exportation d'organes humains prélevés de manière illicite), dès lors que la tentative n'est pas incriminée par le droit pénal français (le délit de corruption, défini aux articles 432-11 et 433-1 du code pénal, s'applique en revanche de façon très large, y compris à des comportements s'apparentant à une tentative). La France a, par ailleurs, émis des réserves quant aux règles de compétences similaires à celles formulées par l'Espagne, la Croatie, la République tchèque et le Royaume-Uni. S'agissant des délits établis conformément à la Convention et commis hors du territoire national par l'un de ses ressortissants, la France a déclaré qu'elle n'exercerait sa compétence qu'à la condition que les faits soient également punis par la législation du pays où ils ont été commis (principe de la double incrimination) et que ceux-ci aient donné lieu, soit à une plainte de la victime ou de ses ayants droit, soit à une dénonciation officielle de la part des autorités du pays où ils ont été commis (cf. articles 113-6 et 113-8 du code pénal). Le Gouvernement a également déclaré, à l'instar de la Croatie, qu'il n'appliquera pas les règles relatives à la compétence d'un État lorsque l'infraction est commise par une personne ayant sa résidence habituelle sur son territoire. En effet, aucune disposition générale ne prévoit la compétence des juridictions françaises dans une telle situation, hormis dans les cas de crimes ou délits particulièrement graves, énumérés aux articles 113-13 et 113-14 du code pénal, tels que les actes de terrorisme. La France souhaite conserver une approche restrictive de ce critère de compétence, qui, s'il était étendu à de nombreuses infractions, serait susceptible de porter atteinte à la souveraineté des États sur le territoire desquels les faits ont été commis. La France n'envisage pas de lever ces réserves à l'occasion de la ratification de la Convention, dès lors que les dispositions concernées ne sont pas compatibles avec son droit pénal interne. Ces réserves n'entravent pas la mise en œuvre de la Convention par la France.

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