Mme Josiane Corneloup attire l'attention de Mme la garde des sceaux, ministre de la justice, sur l'adaptation des réponses pénales vis-à-vis des personnes toxicomanes poursuivies pour des faits délictueux passibles de la cour d'assises et sur la politique gouvernementale en matière de soins spécialisés en toxicomanie au sein des établissements pénitentiaires. La loi du 31 décembre 1970 relative aux mesures sanitaires de lutte contre la toxicomanie a constitué une étape importante dans la reconnaissance du caractère pathologique du délinquant usager de drogues, en instaurant la possibilité pour la justice de proposer une injonction thérapeutique comme alternative aux poursuites judiciaires et aux peines pénales. La loi du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance a élargi cette mesure à l'ensemble de la procédure pénale. Ainsi, l'injonction thérapeutique peut, avant même l'instruction judiciaire, permettre l'extinction de l'action publique par le procureur de la République. Si elle est acceptée par l'intéressé au cours de l'instruction, elle peut également se substituer au placement en détention provisoire. Enfin, lors du jugement, elle peut être décidée comme peine complémentaire ou en modalité d'exécution d'une peine dans le cadre du sursis avec mise à l'épreuve. Proposée afin d'assurer la réparation du dommage causé à la victime, mettre fin au trouble résultant de l'infraction et contribuer au reclassement de l'auteur des faits, l'injonction thérapeutique est cependant très peu utilisée puisqu'elle représente à peine 1 % des procédures alternatives aux poursuites en France. Plusieurs pays n'ont pas hésité pourtant à initier de vastes programmes à la fois médicaux et judiciaires pour appliquer les décisions de justice aux contrevenants toxicomanes. Au Québec, l'auteur d'un délit dont l'addiction est avérée ne purge pas la peine encourue durant le programme d'accompagnement en désintoxication qui lui est proposé. De même, l'Ecosse a mis en place une juridiction spécialisée dans la délinquance liée à l'usage de drogue qui propose une alternative à l'incarcération, sur la base d'un suivi médical et social individualisé, sous étroite supervision judiciaire. Inspirés de ces modèles, plusieurs tribunaux en France, comme celui de Bobigny, développent une approche similaire avec une articulation entre les systèmes judiciaire et sanitaire par la présence d'un médecin relai qui détermine l'indication d'une prise en charge médicale adaptée s'il existe une dépendance à une substance psychoactive. Les résultats sont probants puisque 80 % des personnes qui ont suivi le processus d'injonction jusqu'à son terme n'ont pas réitéré. Car l'idée est bien de mettre un terme au cycle addiction-délit-prison qui est malheureusement bien identifié dans les cas de récidive. D'autant plus que les programmes de soins pour traiter la toxicomanie en milieu carcéral, via les unités sanitaires, apparaissent limités et ne parviennent pas à entraver la continuité, voire la reprise, des pratiques addictives durant l'incarcération. Le développement de l'offre de formation et d'activités professionnelles devrait venir en appui de la phase de désintoxication, afin que l'oisiveté ne crée pas les conditions de rechute et que le contact avec de vraies perspectives de vie soit repris et se poursuive pendant l'incarcération. La drogue brise la vie du consommateur qui commet des délits pour pallier le manque. Elle brise la vie des familles qui assistent, impuissantes et démunies, à l'engrenage qui conduit à l'emprisonnement. Elle déshumanise et impose la survie comme mode d'existence. Les moyens mis à disposition de la justice pour pérenniser les dispositifs alternatifs font défaut, à l'instar du manque de financements pour les postes de médecins coordinateurs qui entrave le recours à l'injonction thérapeutique. Aussi, elle lui demande quels sont les chantiers qu'il compte lancer pour développer une véritable politique judiciaire et sanitaire en matière d'addiction. Elle lui demande en outre comment il entend lutter contre la toxicomanie en milieu carcéral.
L'injonction thérapeutique est prévue par les articles L.3413-1 et suivants et L.3423-1 du code de la santé publique, pour une durée de 6 mois renouvelable trois fois. Elle est destinée aux personnes ayant fait usage illicite de stupéfiants (infraction punie d'une peine d'un an d'emprisonnement et de 3750 euros d'amende par l'article L3421-1 du code de la santé publique) ou ayant une consommation habituelle et excessive d'alcool. Elle est en priorité destinée aux usagers toxicodépendants, concernés par des consommations massives, d'alcool, de cannabis, de drogues dures ou de produits de substitution, qui nécessitent une prise en charge sanitaire adaptée. L'injonction thérapeutique peut pour autant être prononcée à tous les stades de la procédure, dans des conditions strictes correspondant à chaque cadre : - dans le cadre des alternatives aux poursuites prévues par l'article 41-1 du code de procédure pénale (2°), une orientation vers une structure sanitaire peut être décidée par le parquet préalablement à sa décision sur l'action publique et exercée directement ou par l'intermédiaire d'un OPJ, d'un délégué du procureur ou d'un médiateur. Cette décision suspend la prescription de l'action publique ; en cas de non-exécution, des poursuites doivent être engagées, y compris par la voie de la composition pénale ; - dans le cadre de la composition pénale prévue à l'article 41-2 du code de procédure pénale (17°), elle peut être envisagée pour toute personne qui reconnait avoir commis un ou plusieurs délits punis d'une peine d'amende ou d'emprisonnement d'une durée inférieure ou égale à 5 ans, sauf les délits politiques, de presse ou homicides involontaires. La prescription de l'action publique est interrompue pendant sa mise en œuvre et est éteinte en cas d'exécution, hors le droit réservé à la partie civile de délivrer une citation directe devant le tribunal correctionnel ; - à titre pré-sentenciel, ordonnée par le juge d'instruction, le juge des enfants ou le juge des libertés et de la détention lorsque l'infraction d'usage de stupéfiants est poursuivie (article L3424-1 du code de la santé publique). Son exécution peut se poursuivre y compris après la clôture de l'information, sans lien automatique avec les mesures de sûreté en cours ; - à titre de peine complémentaire, ordonnée par la juridiction de jugement lorsqu'une condamnation a été prononcée du chef d'usage illicite de stupéfiants, en vertu de l'article L3425-1 du code de la santé publique. La soustraction à l'exécution de cette peine est punie des mêmes peines que l'usage illicite de stupéfiants ; - dans le cadre d'une obligation de soin prononcée par la juridiction de jugement ou le juge de l'application des peines, en tant que modalité d'exécution d'une peine, d'un aménagement de peine ou d'une mesure de sûreté prononcés à l'encontre d'un condamné, lorsqu'il apparaît qu'il fait usage de stupéfiants ou une consommation habituelle et excessive de boissons alcooliques (article 132-45 3° du code pénal – loi du 5 mars 2007). Le recours limité aux injonctions thérapeutiques, ne tient pas uniquement à un manque de moyens sanitaires et sociaux ; il s'explique par l'existence d'autres mesures alternatives et dispositifs de prise en charge des addictions tels qu'exposés dans la circulaire du 16 février 2012. Des dispositifs innovants ont notamment été mis en place à titre d'expérimentation dans plusieurs juridictions, dans le but d'articuler les actions de la santé et de la justice et de rechercher l'efficacité de la réponse pénale face aux infractions commises après la consommation d'alcool ou de stupéfiants. Ces expérimentations s'inspirent d'approches étrangères dont l'efficacité a été scientifiquement démontrée, notamment les tribunaux de traitement de la toxicomanie au Canada. Ainsi, avec le soutien du ministère de la justice, différents programmes ont vu le jour dans plusieurs juridictions, notamment : - à Beauvais, le parquet a mis en place un projet d'accompagnement des personnes délinquantes toxicomanes dans le cadre des alternatives aux poursuites. Il s'appuie sur un coordonnateur (agent de liaison) chargé d'apporter aide et soutien à la personne délinquante et d'assurer un suivi global orientant vers les différents services compétents ; - à Bobigny, le projet impulsé par la mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (MILDECA) a permis de mettre en œuvre depuis 2015 un programme de suivi renforcé de personnes qui, du fait d'une problématique d'addiction, commettent des actes de délinquance et présentent un risque élevé de récidive. S'appuyant sur une évaluation pluridisciplinaire, il consiste en une prise en charge intensive et globale, 5 jours sur sept et 5 heures par jour, par une équipe transdisciplinaire unique et dans un local dédié. Il s'accompagne de rencontres très régulières avec les magistrats de l'application des peines et du parquet dans une approche motivationnelle. La fin de l'expérimentation ayant été actée, le projet se poursuit à l'initiative des acteurs de terrain ; - à Soissons, le parquet a mis en place un suivi renforcé à destination de personnes multi-réitérantes ou récidivistes qui présentent une addiction à l'alcool. L'orientation peut se faire dans le cadre d'un renvoi et au stade de l'exécution d'une peine privative de liberté. Le dispositif comprend 3 phases : un diagnostic, une prise en charge et une évaluation, afin d'identifier les facteurs criminogènes de l'individu grâce à un suivi personnalisé, dans le but de rechercher des solutions adaptées. Il se traduit concrètement par une prise en charge addictologique et médico-sociale, doublée d'objectifs intermédiaires fixés à la personne par le parquet et le coordonnateur du centre de soins, d'accompagnement et de prévention en addictologie (CSAPA), qui la rencontrent régulièrement. ; - à Lyon, la juridiction a constitué un projet visant à lutter contre la récidive de personnes présentant une addition et/ou des problèmes de santé mentale dans le cadre de la contrainte pénale. Il repose sur une évaluation et un accompagnement pluridisciplinaires (magistrats, service d'insertion et de probation (SPIP), association de suivi socio-judiciaire, CSAPA et services de psychiatrie). La prise en charge de la toxicomanie a par ailleurs conduit à la mise en œuvre d'un projet expérimental visant à l'implantation en France de salles de consommation à moindre risque. Ce projet a été intégré au plan gouvernemental de lutte contre les drogues et les conduites addictives 2013-2017, poursuivant trois objectifs : favoriser l'entrée des usagers de drogues dans un processus de réduction des risques et de soins, limiter les risques de surdose et d'infection et réduire les nuisances et troubles à l'ordre public. La loi du 26 janvier 2016 relative à la modernisation de notre système de santé, en créant à titre expérimental et pour une durée de six ans, les premières salles de consommation à moindre risque, a marqué une étape majeure dans la politique de réduction des risques. L'arrêté du 22 mars 2016, portant approbation du cahier des charges national relatif à l'expérimentation d'espaces de réduction des risques par usage supervisé, a été publié le 25 mars 2016 et a précisé le dispositif mis en place. Le ministère de la justice s'est pleinement associé à ce projet en mettant en place, le 8 octobre 2015, un groupe de travail consacré à l'adaptation de la politique pénale liée au fonctionnement des salles de consommation à moindre risque, auquel ont participé la MILDECA, les procureurs généraux et les procureurs de la République concernés. Le 13 juillet 2016, une circulaire de politique pénale a été diffusée afin d'accompagner l'ouverture de ces premiers centres d'accueil et d'accompagnement à la réduction des risques et des dommages pour usagers de drogue. La première salle de consommation à moindre risque a été inaugurée à Paris le 11 octobre 2016. Une seconde a ouvert ses portes à Strasbourg le 7 novembre 2016. S'agissant de la prise en charge de la toxicomanie en milieu carcéral, la forte prévalence des conduites addictives parmi les personnes placées sous main de justice justifie une prise en charge spécifique, renforcée et pluridisciplinaire. A ce titre, le ministère de la justice contribue, en collaboration avec le ministère des affaires sociales et de la santé et la MILDECA, à déterminer et à mettre en œuvre les politiques de lutte contre la toxicomanie en milieu carcéral. Chaque année, mes services, et notamment la direction de l'administration pénitentiaire (DAP) émargent au fonds de concours piloté par la MILDECA, dans le cadre de la lutte contre le trafic et l'usage de produits stupéfiants. En 2017 cela a permis de financer 13 projets proposés par les directions interrégionales des services pénitentiaires (DISP) et la DAP concernant le partage de l'information, l'aide à la décision, la prévention et la lutte contre la délinquance liée aux addictions, la formation des personnels pénitentiaires…. Par ailleurs, le ministère de la justice participe au plan gouvernemental de lutte contre les conduites addictives, dans le cadre duquel 11 actions ont été mises en œuvre et financées à son initiative concernant les personnes placées sous main de justice (PPSMJ). Elles s'organisent en 3 axes : - amélioration de la détection des conduites addictives et des situations à risque d'addiction ; - rassemblement et la coordination des intervenants auprès des PPSMJ ; - diversification de l'offre de prise en charge des PPSMJ présentant une addiction. Parmi les actions retenues on peut citer : - l'expérimentation d'une unité de réhabilitation des usagers de drogue (URUD) qui est un projet pilote permettant aux personnes détenues qui souhaitent consolider leur abstinence d'une conduite addictive ayant entrainé une infraction, d'accéder à une unité au centre de détention de Neuvic leur ouvrant différents dispositifs de réhabilitation. Ce projet est co-piloté par la DISP de Bordeaux et l'agence régionale de santé (ARS) Nouvelle Aquitaine, en partenariat avec le centre de soins d'accompagnement et de prévention en addictologie (CSAPA) de Bordeaux ; - l'étude des eaux usées des établissements pénitentiaires qui consiste en une analyse toxicologique des eaux usées des établissements pénitentiaire. Cela vise à objectiver les consommations d'une population de personnes détenues, d'adapter les mesures de prévention et d'interventions pénitentiaires et sanitaires, et d'évaluer l'impact des mesures mises en œuvre ; - l'enquête PRIDE qui vise à évaluer l'acceptabilité sociale de la mise en œuvre de mesures ayant pour objectif la réduction du risque infectieux en milieu carcéral est portée par l'Agence Nationale de Recherche sur le Sida et les Hépatites Virales (ANRS) ; - l'enquête CIRCE (circulation, consommations, échanges de drogues en milieu carcéral) qui vise à préciser l'organisation du trafic et la consommation de drogues en prison et analyser les réponses pénitentiaires et sanitaires apportées ; - les recherches actions menées par la Fédération Addiction qui visent à améliorer la coordination des acteurs santé, pénitentiaires et judiciaires pour le repérage des conduites addictives des personnes détenues et l'organisation des soins pénalement obligés ; - la généralisation de l'intervention de groupes d'auto-support en détention afin d'améliorer l'offre de prise en charge aux personnes détenues présentant une conduite addictive. Des conventions nationales ont déjà été signées entre la DAP et les associations Alcooliques et Narcotiques anonymes et CAMERUP (Coordination des associations et mouvements d'entraide et d'accompagnement des personnes en difficulté avec l'alcool et de leur entourage - prévention concernant les conduites addictives). Par ailleurs, l'administration pénitentiaire œuvre à l'amélioration tant quantitative que qualitative de l'offre de travail en détention. Au titre du critère de l'influence du travail sur les perspectives de réinsertion, les candidatures de personnes détenues souffrant de difficultés spécifiques, telles que de problématiques addictives, font l'objet d'un examen particulièrement attentif.
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