Mme Emmanuelle Ménard interroge Mme la garde des sceaux, ministre de la justice, sur le développement des juges virtuels pour désengorger les tribunaux. L'intelligence artificielle s'invite depuis quelques mois sur ce que certains appellent « le marché du droit ». Si cette expression étonne, elle traduit pourtant une réalité à travers l'essor de « start-up » qui développent des moteurs d'intelligence artificielle capables de simuler des décisions de justice. Cela s'appelle « la justice prédictive ». Pour y parvenir, des algorithmes permettent d'analyser une très importante quantité de donnés qui sont croisées pour apporter des réponses juridiques. L'objectif affiché est simple : désengorger les tribunaux et soulager les magistrats débordés par un nombre d'affaire en constante augmentation alors que le nombre de juges est insuffisant. D'autres vont même jusqu'à dire que la « justice artificielle » permet de répondre aux « inégalités » liées à la nature humaine. En somme, le juge virtuel serait plus fiable que l'homme car il ne serait sujet à aucune de ses imperfections liées à son humanité précisément : saute d'humeur, fatigue, agacement, heure de la journée et humeur changeante. Il n'en reste pas moins que l'intelligence artificielle en matière de justice suscite de nombreuses questions. Déjà quelques voix s'élèvent et attirent l'attention des politiques et des éventuels utilisateurs. Ainsi que l'a révélé une étude portée par l'Institut des ingénieurs en électricité et électronique (IEEE), l'intelligence artificielle comporte un certain nombre de risques majeurs concernant notamment le traitement des données personnelles, ou le possible isolement des magistrats qui, pour remédier à une charge de travail trop importante, pourraient s'appuyer de façon excessive sur cette technologie au point qu'elle pourrait prendre la place des juges eux-mêmes Il apparaît même que ces systèmes commencent déjà à s'auto-alimenter au point que l'on peut craindre que cette forme d'intelligence déshumanisée échappe à l'homme. Parce qu'il ne s'agit malheureusement pas d'un film de science-fiction mais bien du développement réel de cette technologie, elle lui demande donc si, à l'heure où une réorganisation judiciaire est à l'étude, il ne serait pas plus opportun d'augmenter les effectifs de la magistrature plutôt que de s'appuyer sur l'intelligence artificielle et de procéder à une adaptation du maillage juridictionnel, ce qui n'aura comme résultat que d'éloigner encore un peu plus le citoyen de la justice, entretenant ainsi l'idée que « les petits n'ont plus droit à la justice ».
Le projet de loi de programmation pour la justice prévoit une véritable remise à niveau des moyens des juridictions. Ainsi, 832 emplois seront créés, et les gains d'emplois dégagés par les réformes seront intégralement redéployés dans les juridictions. La transformation numérique de la justice et la rationalisation de son organisation territoriale contribuent à ce redéploiement des moyens, notamment dans les juridictions les plus en difficulté. Sont prévus le déploiement d'équipements techniques récents et adaptés aux besoins des magistrats et fonctionnaires, ainsi que le développement d'applicatifs métiers interopérables et décloisonnés. Cette transformation numérique permettra un allègement des tâches des agents et un recentrage sur leurs activités essentielles, la relation avec le justiciable et le travail collaboratif. La data science doit permettre d'utiliser les données pour développer de nouveaux outils opérationnels qui pourraient améliorer les conditions de travail de chaque métier. Ainsi, la feuille de route du ministère de la justice pour l'intelligence artificielle, tout comme le plan de transformation numérique, prévoient le développement d'outils d'aide à la rédaction des décisions de justice et la mise en œuvre d'outils modernes d'exploitation massive des données judiciaires, notamment aux fins d'analyse de la jurisprudence. Un dernier volet pourrait prévoir le développement d'agents conversationnels (chatbots) pour l'information et l'orientation préalable de certains usagers et, à terme, pour la prise de rendez-vous. Le ministère de la justice n'a absolument pas la volonté de remplacer l'homme par la machine. Il cherche, au contraire, à améliorer les conditions de travail des magistrats et fonctionnaires ainsi que la qualité de l'accueil du public et des décisions rendues. Il est nécessaire de simplifier les procédures et de profiter de la numérisation pour gagner du temps et de la lisibilité. Mais la justice est avant tout une institution humaine.
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