Mme Marie-France Lorho interroge M. le ministre de l'économie et des finances sur l'état actuel des marchés obligataires. La situation est en effet inquiétante : entre novembre 2017 et le 19 janvier 2018, les taux d'intérêts des bons du trésor américain ont connu une nette augmentation, fluctuants de 2,4 % à 2,63 %. Il en va de même pour le taux allemand, indicateur des marchés européens. On le sait, c'est le taux d'intérêt qui dicte le prix des obligations (taux d'intérêts décidés par la BCE). Et ce « coup de tabac » du marché obligataire aurait débuté, selon les analystes, à la suite de la récente décision japonaise de réduire le montant de ses rachats d'obligations d'État ainsi que les informations contestées par Pékin de ralentir leurs achats de bons de trésor américain. La tension sur ce marché est palpable : « Il a suffi d'une petite phrase de Bill Gross, gourou des marchés obligataires, pour mettre le feu aux poudres » nous dit Le Figaro en janvier 2018. Ce dernier avait simplement qualifié le marché obligataire de « marché baissier ». Face à cela, le Japon reste en sécurité, car il peut se permettre d'acheter lui-même à travers sa banque centrale ses bons du trésor et de réguler les taux d'intérêts. Mais qu'en est-il de la France ? Face à la possibilité d'un krach du marché obligataire, elle lui demande quels sont les outils financiers dont dispose la France (au vu de la mainmise de la BCE sur les taux d'intérêts européens) pour répondre efficacement à un tel risque.
Entre le 1er novembre 2017 et le 28 mars 2018, le taux à 10 ans français est quasiment inchangé avec une baisse de 3 points de base (pb) à 0,73 %, au contraire des taux obligataires allemands qui se sont légèrement tendus de 10 pb, dans le sillage des taux américains (+ 38 pb à 2,75 %). Ce mouvement de hausse des taux souverains aux Etats-Unis qui a commencé à se diffuser en Europe traduit l'amélioration de la situation économique, qui devrait s'accompagner d'une remontée graduelle de l'inflation, comme en témoigne l'amélioration du marché de l'emploi aux Etats-Unis. Cette remontée pourrait être plus lente en zone euro comme l'attestent les derniers chiffres d'inflation et comme le soulignent les propos de banquiers centraux européens évoquant une convergence graduelle vers la cible d'inflation de moyen terme (à 2 %). Ce contexte économique plus porteur amène les marchés à anticiper une orientation progressivement moins accommodante des banques centrales. (i) Aux Etats-Unis, la Réserve fédérale poursuit son cycle de hausse des taux et a initié depuis octobre 2017 la réduction graduelle de la taille de son bilan. (ii) En zone euro, la Banque centrale européenne a prolongé son programme d'achats de titres, au moins jusqu'en septembre 2018, tout en réduisant le rythme des achats nets mensuels de 60 Md € à 30 Md € depuis janvier 2018. Les Etats-Unis, étant plus avancés que la zone euro dans le cycle économique et monétaire, la remontée des taux longs y a été globalement plus marquée jusqu'ici. Toutefois, le récent mouvement de hausse des taux souverains demeure contenu en comparaison avec de précédents épisodes de hausse en phase de normalisation de la politique monétaire. A titre illustratif, les taux américains avaient augmenté de 100 pb lors de l'annonce de la réduction des achats de titres de la Réserve Fédérale au printemps 2013. Les mouvements sur les marchés obligataires restent limités jusqu'à présent, avec une situation quasi inchangée depuis le début d'année (- 5 pb sur le taux 10 ans français). Dans ce contexte, les risques associés au financement de l'Etat apparaissent sous contrôle. Premièrement, le projet de loi de finances présenté cet automne faisait l'hypothèse d'une hausse des taux d'intérêt. Ainsi, les taux à 10 ans y étaient projetés à 1,10 % en fin d'année 2017 puis 1,85 % fin 2018. S'agissant des taux de court terme, les taux à 3 mois étaient projetés à – 0,50 % fin 2017 puis – 0,10 % fin 2018. La hausse constatée ces dernières semaines ne remet donc pas en cause les hypothèses de taux du gouvernement à ce jour. A la date du 28 mars 2018, les taux s'établissent à 0,731 % Deuxièmement, la maturité moyenne de la dette (7,8 ans) permet de lisser l'augmentation de la charge de la dette à moyen terme en cas de remontée durable des taux. A titre d'illustration, une hausse uniforme de 100 points de base au-delà de la hausse déjà inscrite dans les prévisions associées au projet de loi de finances aurait un coût de 2,1 Md€ la première année et de 4,8 Md€ la deuxième année. Enfin, on peut noter que dans un tel scénario de remontée durable des taux, des investisseurs qui s'étaient temporairement mis en retrait dans un contexte de taux bas rentreraient sur le marché français et contribueraient également à limiter le risque de refinancement. On peut rappeler que la diversité de la base d'investisseurs de la dette de l'Etat, à la fois en termes de types d'investisseurs et en termes géographiques, est un facteur qui contribue à la résilience de la dette française. En effet, les investisseurs reconnaissent les caractéristiques techniques fondamentales d'attractivité de la dette de l'Etat français à savoir une liquidité sur l'ensemble de la courbe des taux et un risque de crédit très faible en raison de la qualité de la signature française auprès des agences de notation. Ces facteurs expliquent le ratio de couverture relativement élevé et peu volatil lors des adjudications de l'Agence France Trésor (le ratio de couverture moyen sur les émissions de maturité 10 ans s'établissant à 2,0 en 2017) et aussi la demande élevée exprimée lors des opérations par syndication. Ainsi, la syndication le 28 mars dernier du nouveau titre indexée sur l'inflation européenne hors tabac a reçu une demande de 11,5 Md€ de demande pour une émission au final de 3,5 Md€, soit un taux de couverture proche de 3.
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