M. Éric Straumann interroge Mme la garde des sceaux, ministre de la justice, sur le projet de détachement du tribunal de grande instance de Colmar du ressort du tribunal d'instance de Sélestat, avec rattachement au tribunal de grande instance de Strasbourg. L'un des rapports déposés dans le cadre de la réflexion sur les chantiers de la justice, intitulé « Adaptation du réseau des juridictions » préconise la départementalisation des juridictions de première instance. Ainsi le TGI de Colmar (Haut-Rhin) perdrait le ressort du TI de Sélestat (Bas-Rhin). Un tel projet méconnaît la réalité géographique, sociale et économique de la moyenne Alsace et apparaît également en contradiction avec le principe d'équité entre les territoires, dont les pouvoirs publics affirment vouloir s'inspirer, par exemple dans le cadre du récent programme de revitalisation des centres-villes annoncé par le Premier ministre. Il convient de ne pas perdre de vue l'importance de la contribution de l'écosystème judiciaire à la vitalité du territoire où il est implanté, notamment à Colmar, capitale judicaire historique de l'Alsace. Le découpage actuel résulte de l'ordonnance n° 7 du 14 juillet 1871 (GesetzBlatt fur Elsaß-Lothringen 1871, p. 169 s.). Son article 2 dispose que le Landgericht (équivalent du TGI) de Colmar comprend, en termes de compétence territoriale, les cantons de Sélestat, Marckholsheim, Ville et Barr. Ce découpage a été maintenu par la loi du 25 juillet 1923 sur l'organisation judiciaire dans les 3 départements de l'est. Il résultait de la prise en considération de réalités économiques, sociales et démographiques et de la nécessité d'offrir le meilleur accès possible du justiciable aux juridictions. L'Alsace comporte ainsi 4 tribunaux de grande instance : le tribunal de grande instance de Mulhouse, couvrant la région sud de l'Alsace ; le tribunal de grande instance de Colmar, couvrant la moyenne Alsace avec les cantons de Barr, de Marckholsheim, de Sélestat et de Ville situés dans le département du Bas-Rhin ; le tribunal de grande instance de Strasbourg, couvrant la partie nord de l'Alsace ; le tribunal de grande instance de Saverne, à l'ouest du Bas-Rhin. Le découpage actuel répond à des considérations économiques, sociales et démographiques qui sont toujours d'actualité et confère au réseau judiciaire alsacien un équilibre évident. Ainsi, le ressort du tribunal de grande instance de Mulhouse couvre un territoire à vocation agricole, mais surtout industriel, avec une population d'environ 467 300 habitants, et des liens importants avec le Territoire de Belfort, la Franche-Comté ainsi que la Suisse. Le ressort du tribunal de grande instance de Colmar couvre un territoire recouvrant la moyenne Alsace, avec une vocation également agricole, mais moins industrialisée, et plus tertiaire que le ressort du tribunal de grande instance de Mulhouse, avec une population de 368 000 habitants, et des liens soutenus avec la région de Fribourg-en-Brisgau. Le détachement des cantons de Barr, de Marckholsheim, de Sélestat, et de Ville, du ressort du tribunal de grande instance de Colmar aurait pour conséquence une perte d'environ 87 000 habitants (24 %). Dans ces conditions, il se poserait nécessairement la question de l'efficience du tribunal de grande instance de Colmar et de sa pérennité, avec toutes les conséquences économiques et sociales prévisibles, alors que par ailleurs, le ressort du tribunal de grande instance de Strasbourg - dont le ressort comporte environ 797 000 habitants - a déjà du mal à faire face à un important contentieux. Comment justifier le fait que le canton de Sainte-Marie-aux-Mines (situé dans le Haut-Rhin) et le canton de Ville (situé dans le Bas-Rhin), qui ont un environnement économique et social identique sinon commun, relèvent de deux juridictions différentes, étant encore souligné que ces deux cantons correspondent géographiquement à deux vallées débouchant ensemble sur le bassin de Sélestat, de Barr et de Marckholsheim ? Le réseau judiciaire doit maintenir la proximité des juridictions, cette proximité constituant l'une des garanties d'une justice humaine et efficace. À cet égard il paraît de mauvaise gestion de l'administration judiciaire que de réduire le ressort géographique du TGI de Colmar. Il lui demande sa position sur cette question.
Le chantier relatif à l'adaptation du réseau des juridictions a suscité beaucoup d'interrogations. Le rapport consacré à ce sujet, rendu à l'issue des « Chantiers de la Justice », préconisait un certain nombre de mesures. La Garde des Sceaux, ministre de la justice, a pris la décision de ne pas suivre un certain nombre d'entre elles. Ainsi, contrairement aux choix opérés par de précédents gouvernements, il a notamment été décidé de ne fermer aucune juridiction, de ne pas desserrer le maillage judiciaire existant et de n'affaiblir aucun site judiciaire. Le statu quo n'apparaissait pas acceptable pour autant. Il a donc été décidé de proposer au Parlement une évolution centrée non pas sur des directives venues de Paris mais fondée sur des propositions émanant du terrain. Cette évolution sera articulée autour de grands principes : - rendre plus lisible l'organisation des juridictions en proposant une fusion administrative des tribunaux d'instance (TI) et de grande instance (TGI), ces derniers étant désormais dénommés tribunaux judiciaires ; - rendre une justice plus efficace en offrant aux juridictions la possibilité de spécialiser des contentieux techniques et de faible volume ; - rendre possible des évolutions pour les cours d'appel dans deux régions expérimentales. La fusion des TGI et TI répond à un souci de simplification des procédures. La répartition des contentieux entre le tribunal d'instance et le tribunal de grande instance est aujourd'hui complexe et peu lisible pour le justiciable. Ce dernier ne devrait pas avoir à se demander s'il doit saisir le TI ou le TGI suivant la nature de son litige. Cette interrogation aura d'autant moins de pertinence que le projet de loi prévoit que le justiciable saisira désormais le tribunal judiciaire par un formulaire unique de requête introductive d'instance. Cette fusion simplifiera la gestion des contentieux pour le justiciable et aura des conséquences positives pour les chefs de juridiction qui disposeront de plus de souplesse pour gérer leurs ressources humaines. Cependant, aucun lieu de justice ne sera fermé. Ainsi, dans les villes où il existe actuellement un tribunal d'instance isolé, celui-ci sera maintenu et ses compétences actuelles seront préservées par décret. Organiquement rattaché à un tribunal judiciaire, il sera dénommé tribunal de proximité et continuera à juger les contentieux du quotidien identiques à ceux d'aujourd'hui. Les magistrats et fonctionnaires continueront à y être précisément affectés. Il n'y aura donc aucun recul de la justice de proximité. L'article 53 du projet de loi prévoit même que les chefs de cour pourront attribuer au tribunal de proximité des compétences supplémentaires, après avis du président du tribunal judiciaire et du procureur de la République, si cela correspond à un réel besoin des justiciables. Aucune modification de la carte de l'arrondissement judiciaire de Colmar n'est donc envisagée. Le tribunal d'instance de Sélestat restera bien rattaché au tribunal judiciaire de Colmar, sous la forme d'un tribunal de proximité.
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