M. Olivier Gaillard appelle l'attention de Mme la ministre du travail concernant le devenir des dossiers conflictuels de détachement de travailleurs et de la coordination des systèmes de protection sociale. L'attachement à la liberté de circulation ne peut justifier l'acceptation de dérives, de pratiques frauduleuses qui sapent cette liberté dans ses fondements et n'épargnent aucun territoire de la République, y compris et surtout, les territoires en souffrance économique et sociale. Les conséquences sont rudes, par exemple, pour les territoires ruraux qui comptent très peu d'activités à valeur ajoutée faisant appel à de la main d'œuvre qualifiée. Le seul allié pour sortir de cette situation est un accord européen qui, enfin, préserve une concurrence loyale et un certain niveau de protection sociale pour l'ensemble des travailleurs. Le seul ennemi est la division au niveau européen. Le constat est que la directive 96/71/CE du 16 décembre 1996 est propice aux abus tels que les non-déclarations, rémunérations très inférieures au SMIC, dépassements des durées maximales de travail, hébergements indignes. Ce constat inacceptable avait déjà motivé une réforme, en la loi travail publiée en septembre 2015, traduisant en droit interne la directive d'exécution approuvée en 2014. Bien que cette réforme n'ait pas permis de véritablement refonder le régime des travailleurs détachés, il lui demande la communication d'un premier bilan sur son application : résultats positifs quantifiables, mais aussi limites. La France, faisant partie des États subissant fortement les effets du « dumping social » entre entreprises, ambitionne au travers de son chef d'État, une réforme en profondeur : l'obtention d'un alignement des rémunérations des travailleurs détachés sur ceux de la main-d'œuvre du pays d'accueil (à qualifications égales, salaires minimum correspondant garantis) ; la limitation à un an de leurs missions (sans possibilité de dépassement grâce au cumul de missions) ; la lutte efficace contre les sociétés dites « boites aux lettres » qui n'ont aucune activité réelle dans leur pays d'implantation (qu'elles ont choisi uniquement pour le niveau faible des cotisations sociales pour l'affiliation de leurs travailleurs). Si, à l'évidence, le Président de la République, le Premier ministre et son Gouvernement n'optent pas pour l'immobilisme, la perspective d'un nouveau blocage n'est vraiment pas à exclure, en raison de l'hostilité envers toute avancée de plusieurs pays de l'Est et d'Europe centrale. De plus, il est un enjeu qui ressort moins clairement des annonces présidentielle et gouvernementale, et qui fait encore moins consensus au niveau européen : le passage au principe du paiement des cotisations sociales dans le pays d'accueil. Actuellement, le principe en vigueur du paiement des cotisations sociales dans le pays d'origine attise une mise en concurrence des régimes sociaux désavantageant clairement les pays d'accueil comme la France. Le secteur du bâtiment, par exemple, en souffre considérablement, et la protection sociale française également. Le retentissement financier est lui aussi considérable : le nombre croissant, chaque année, de travailleurs détachés qui ne paient ni cotisations ni CSG en France, ampute les cotisations ainsi que le financement des dépenses de sécurité sociale. Il lui demande si l'exécutif s'attachera à faire adopter au niveau européen, le principe de la protection sociale du pays d'accueil. Faute d'un véritable accord de refondation du régime européen des travailleurs détachés, l'Union européenne continuera à faire converger la couverture sociale vers les niveaux les plus bas, à encourager la recherche de compétitivité fondée sur les reculs sociaux. Par conséquent, il lui demande quelle serait la stratégie gouvernementale, éventuellement en lien avec les autorités des pays européens partageant les mêmes intérêts, dans l'hypothèse d'un échec dans la recherche d'un accord européen à même de mettre un terme aux abus en matière de détachement des travailleurs.
La lutte contre la fraude au détachement des travailleurs demeure une priorité de la politique du gouvernement. Trois lois successives ont été adoptées ces dernières années afin de construire un socle juridique à même de sécuriser le détachement des travailleurs et de lutter efficacement contre la fraude. Les lois du 10 juillet 2014 visant à lutter contre la concurrence sociale déloyale, du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques et du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels ont permis de renforcer les modalités et l'efficacité des contrôles. On peut notamment retenir les mesures suivantes : - Généralisation de la déclaration préalable de détachement en ligne (art. L. 1262-2-2 du code du travail) ; - Responsabilisation des maîtres d'ouvrage et des donneurs d'ordre vis-à-vis d'un salarié détaché avec l'obligation de déclarer un accident du travail et l'obligation d'affichage de la réglementation sur les chantiers (art. L. 1262-4-4 et art. L. 1262-4-5 du code du travail) ; - Possibilité de suspendre une prestation de services internationale notamment en cas de non-respect des droits fondamentaux des salariés (art. L. 1263-3 du code du travail) ; - Création d'une carte d'identification professionnelle dans le bâtiment et les travaux publics (art. L. 8291-1 et suivants du code du travail) ; - Sanctions administratives à l'encontre de l'employeur, du maître d'ouvrage ou du donneur d'ordre en cas de méconnaissance de leurs obligations : 2 000 € par salarié détaché, montant plafonné à 500 000 € (art. L. 1264-3 du code du travail). Les services de l'Inspection du travail se sont pleinement saisis de ces dispositions. Ils disposent de moyens permettant de coordonner et de mener leurs contrôles mais aussi de centraliser des données utiles sur les entreprises qui interviennent sur l'ensemble du territoire national. Sur l'année 2016, les agents de contrôle de l'Inspection du travail ont ainsi recensé 453 infractions de travail dissimulé, 212 infractions liées au non-respect du noyau dur de la réglementation française et 75 infractions concernant l'emploi d'étrangers sans titre. Les directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi ont émis 453 amendes administratives pour un taux de recouvrement de 36,48% sur cette même période. Elles ont enfin prononcé 16 suspensions de prestations de services internationales. Des axes de développement ont également été énoncés dans le plan national de lutte contre le travail illégal 2016-2018. Il est fixé un objectif de 1500 interventions à réaliser mensuellement sur l'activité des salariés détachés en France par les services de l'Inspection du travail. Ce dernier prévoit par ailleurs de maintenir la lutte contre les fraudes complexes et le développement d'une action concertée d'intervention et de prévention autant à l'échelle nationale qu'européenne. Au niveau européen, des progrès avaient déjà été actés depuis 2014 grâce à la création d'une plateforme européenne spécifique dédiée à la lutte contre le travail non déclaré et la possibilité donnée aux Etats d'imposer des exigences administratives permettant de mieux contrôler le respect de la réglementation du travail par les employeurs établis à l'étranger. Le gouvernement maintient sa politique de lutte contre les fraudes au détachement. Ainsi, la ministre du travail a activement participé au conseil "Emploi, politique sociale, santé et consommateurs" (EPSSCO) qui s'est tenu le 23 octobre 2017. Au cours de cette réunion, une orientation générale a été adoptée dans le but de réviser la directive 96/71/CE et un accord sur une durée de détachement limitée à douze mois a été trouvé, grâce aux efforts entrepris par la France et ses partenaires. Ce texte permettra aussi d'assurer le paiement de l'ensemble des éléments de rémunération prévus dans le droit de l'Etat d'accueil aux salariés détachés et l'égalité de traitement pour les salariés intérimaires, qu'ils soient ou non détachés dans l'Etat dans lequel ils travaillent. Enfin, la volonté des autorités françaises de lutter contre les abus et les fraudes se manifeste également en matière de sécurité sociale, tant dans le cadre des procédures de contrôles de travail illégal auxquels les services des unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (URSSAF) prennent part, que dans le cadre des discussions relatives à la révision des règlements européens en matière de sécurité sociale. Il a ainsi été adopté au cours de ce même conseil EPSSCO du 23 octobre 2017 une orientation générale partielle sur la proposition de révision des règlements. Elle prévoit un renforcement du cadre juridique des conditions dans lesquelles un travailleur détaché peut être soumis à la législation de sécurité sociale de l'Etat d'envoi et des règles de remise en cause des décisions relatives à la sécurité sociale des travailleurs erronées ou obtenues par fraude. Si les règlements européens prévoient une coordination des systèmes de sécurité sociale visant à favoriser la mobilité des travailleurs et non pas une harmonisation des systèmes et donc des niveaux de prélèvements sociaux, les autorités françaises proposeront des adaptations plus ambitieuses de nature à lutter contre le dumping social. Enfin, le gouvernement français ne souhaite pas s'engager sur la voie d'une modification du principe du paiement dans le pays d'origine, ce qui créerait des ruptures dans la protection sociale ; cela ne parait pas souhaitable pour les 150.000 Français qui sont détachés tous les ans en Europe pour des durées courtes et qui souhaitent rester affiliés à la sécurité sociale française.
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