Publié le 23 juillet 2018 par : M. Bernalicis, Mme Autain, M. Coquerel, M. Corbière, Mme Fiat, M. Lachaud, M. Larive, M. Mélenchon, Mme Obono, Mme Panot, M. Prud'homme, M. Quatennens, M. Ratenon, Mme Ressiguier, Mme Rubin, M. Ruffin, Mme Taurine, M. El Guerrab.
À l'alinéa 5, après le mot :
« européenne »,
insérer les mots :
« , sous la condition de réciprocité d'incrimination et d'un même quantum minimal de peine, ».
Par cet amendement de repli, nous proposons deux éléments distincts :
1) Conditionner la reconnaissance de condamnations dans les autres États de l'Union européenne ne peut se faire que sous condition de réciprocité d'incrimination (le même crime doit exister en droit français, et pas uniquement dans le droit de cet autre État) et d'un même quantum minimal de peine (le crime doit être puni de la même manière en France et dans cet autre État) ; Ceci est bien un amendement de repli, car que penser du fait que la Pologne fait actuellement l'objet, depuis décembre 2017 d'une procédure d'infraction lancée par le Commission européenne pour “risque clair d'une violation grave de l'État de droit en Pologne » ? Il en est de même pour la Hongrie actuellement ! Comment peut-on poser pour principe que la France reconnaîtrait nécessairement les condamnations pénales dans d'autres États de l'Union européenne alors que ceux-ci, à l'instar de la Hongrie et de la Pologne mettent en cause l'indépendance de leur propre justice ?
2) Supprimer le fait que la France puisse reconnaître les condamnations d'États hors Union européenne - qui serait donc fixée par le Gouvernement par Décret - en appréciant l'application du droit “dans le cadre d'un régime démocratique et des circonstances politiques générales”. Ceci est extrêmement vague, et le contenu de cette liste peut être extrêmement vague. Qu'est ce qui interdirait au Gouvernement d'y inclure la Turquie, l'Egypte, le Bangladesh qui sont sur la forme seulement des régimes démocratiques, parcourus par des crises politico-civiles extrêmement violentes ?
En plus de détail, concernant la reconnaissance de condamnations dans les autres États de l'Union européenne : nous proposons de pallier aux incertitudes nombreuses que la rédaction retenue par le Gouvernement ferait peser sur les demandeurs et demandeuses d'asile et celles et ceux ayant obtenu le statut de réfugié, eu égard à l'absence d'harmonisation pénale dans l'Union européenne. A cet égard, nous souhaitons préciser ici le principe de « réciprocité d'incrimination », qui permet de seulement pouvoir prendre en compte les condamnations définitives dans l'Union européenne pour crimes et délits qui existent d'ores et déjà en droit français, et qui comportent au moins un même quantum de peine (un délit qui serait puni de dix ans d'emprisonnement en France et qui est puni de 5 ans d'emprisonnement en Pologne par exemple ne rentrerait pas dans le champ de l'article). Nous estimons qu'il est d'ordre public, en l'espèce, notamment afin d'assurer l'entière application des principes constitutionnels de proportionnalité et de légalité des délits et des peines (article 8 de la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen) que le droit pénal français prime sur des droits pénaux européens pouvant être divergents. L'incertitude juridique qui en résulterait nuirait profondément à notre État de droit.
Il n'y a pas d'harmonisation pénale complète en Europe, ce qui fait par exemple que ce qui est reconnu comme un crime ou délit dans un autre État de l'Union européenne ne l'est pas nécessairement en France. Le droit pénal est en effet un droit essentiellement régalien, marqué par la culture historique et politique de l'État qui l'édicte, ce qui peut poser des difficultés majeures. Or la formulation actuellement retenue à l'article L. 711‑6 considère que la condamnation pour un crime (droit pénal français), OU un délit constituant un acte de terrorisme ou puni de dix ans d'emprisonnement, condition à laquelle se cumule une autre (la présence de la personne constituerait une « menace grave pour la société), fait qu'une condamnation définitive pour un crime dans un autre système pénal de l'Union européenne pourrait faire que la personne en cause puisse se voir appliquer le 2° du L. 711‑6.
Ainsi, prenons quelques cas concrets : une réfugiée ayant obtenu cette protection en France peut donc avoir été condamnée pour un crime dans un autre État membre de l'Union européenne et être ainsi menacée de renvoi (sous réserve qu'elle constitue une « menace grave pour la société » - terme au demeurant très vague). Exemples particulièrement illustratifs de cette divergence des systèmes pénaux dans l'Union européenne : l'avortement est un crime à Malte qui peut être puni de 18 mois à 3 ans de prison (article 241 du code pénal maltais), et le délit de blasphème en Allemagne « l'insulte aux croyances religieuses » qui peut être punie de 3 ans de prison (article 166 du code pénal allemand).
En outre, si, en France, dans notre système juridique, ce crime se distingue du délit et de la contravention par le degré de gravité de l'infraction, les systèmes pénaux européens ne sont pas les mêmes et ne recoupent pas nécessairement les mêmes qualifications. Un crime en Estonie pourrait n'être qu'un délit en France. Faudrait-il à ce moment-là « importer » des crimes et délits étrangers ?
Ainsi, en l'absence d'harmonisation pénale européenne aboutie (et au vu des nombreuses zones grises qui pourraient ainsi survenir), nous estimons que cet amendement de repli est un amendement de bon sens.
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