Publié le 8 octobre 2018 par : M. Larive, Mme Autain, M. Bernalicis, M. Coquerel, M. Corbière, Mme Fiat, M. Lachaud, M. Mélenchon, Mme Obono, Mme Panot, M. Prud'homme, M. Quatennens, M. Ratenon, Mme Ressiguier, Mme Rubin, M. Ruffin, Mme Taurine.
Supprimer cet article.
En l'état, cette proposition de loi n'a aucun intérêt. Le Conseil d'État, dans son rapport, l'a constaté : “le droit français contient déjà plusieurs dispositions visant, en substance, à lutter contre la diffusion de fausses informations, suivant 3 logiques distinctes :
En premier lieu, la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse comporte, dans ses chapitres IV et V, des dispositions permettant de réprimer des propos sciemment erronés, diffamatoires, injurieux ou provocants. (…) En deuxième lieu, le code électoral contient également des dispositions qui visent à garantir le bon déroulement des campagnes électorales en luttant tant contre la diffusion de fausses nouvelles (article L. 97) que contre la publicité commerciale à des fins de propagande électorale (article L. 52‑1). Enfin la procédure de référé prévue à l'article 6 de la loi du 21 juin 2004, en tant qu'elle permet de mettre un terme aux dommages résultant du contenu d'un service de communication au public en ligne, peut être mobilisée aux fins de faire cesser la diffusion de fausses informations, sans préjudice des autres procédures d'urgence existantes lorsque ces fausses informations portent atteinte à l'intimité de la vie privée (article 9 du code civil)”. (http ://www.conseil-etat.fr/Decisions-Avis-Publications/Avis/Selection-des-avis-faisant-l-objet-d-une-communication-particuliere/Lutte-contre-les-fausses-informations )
L'intérêt de cette proposition est donc relatif pour la protection des citoyen·ne·s contre la propagation de fausses informations.
Mais elle institue, surtout dans son article premier, des atteintes qui nous semblent non nécessaires et disproportionnées : la définition qui était donnée jusqu'à présent a disparu lors de l'examen en commission. Vous prévoyez donc de légiférer sur la manipulation de l'information, sans donner la moindre définition, laissant ainsi un champ extraordinairement large. Sur quel critère, de vraisemblance, de vérifiabilité les juges vont-elles et ils pouvoir s'appuyer ? . Le critère de la vraisemblabilité nous a semblé en effet pour le moins hasardeux. L'assassinat d'Arkadi Babtchenko était vraisemblable. C'était une mise en scène.
Le financement libyen de la campagne de Nicolas Sarkozy aurait pu sembler non vraisemblable. La justice a l'air de prendre cette piste très au sérieux.
Selon toute évidence, puisque la fausse information n'est pas définie, il va être du ressort des juges de décider d'en avoir une appréciation plus ou moins large, ce qui laisse une possibilité de jurisprudence extrêmement variable. Or, ce n'est pas comme si le sujet n'était pas de première importance ! Il s'agit d'encadrer la liberté d'information, la liberté d'expression. La rédaction désinvolte de cet article nous alarme.
Vous conditionnez la possibilité d'une intervention judiciaire à l'existence « d'allégations ou imputations inexactes ou trompeuses d'un fait de nature à altérer la sincérité du scrutin à venir sont diffusées de manière délibérée, artificielle ou automatisée et massive par le biais d'un service de communication au public en ligne »
Mais cela reste extrêmement large : à quel moment peut-on considérer qu'un fait est inexact ? Comment le juge peut-il asseoir la fiabilité d'une allégation sans avoir à demander à un·e journaliste de révéler ses sources ? Les problèmes soulevés par votre proposition de loi sont donc lourds, et aucun n'est résolu.
La méthode judiciaire nous paraît aussi présenter très peu de garanties : un juge unique (même pas dans une chambre spécialisée ?) - donc privé des garanties qu'offre la collégialité - devant prendre une décision en 48 heures, sans que soit instituée une procédure d'appel, nous semble extrêmement dangereux pour la démocratie.
Enfin, nous nous interrogeons sur la philosophie qui sous-tend cette proposition de loi : puisque le rapporteur de la commission des affaires culturelles a pris le parti de considérer que “les fausses informations qui ont circulé à propos de Marie-Antoinette par le biais de “canards” à son effigie ont pu jouer un rôle indirect dans son exécution, en alimentant une haine pathologique à son égard” (l'on voit bien ici que ce texte vise à protéger un pouvoir quasi-monarchique), nous tenons à lui répondre : La liberté de publier son opinion ne peut donc être autre chose que la liberté de publier toutes les opinions contraires (…) Elle ne peut sortir que du combat de toutes les idées, vraies ou fausses, absurdes ou raisonnables. C'est dans ce mélange que la raison commune, la faculté donnée à l'homme de discerner le bien et le mal, s'exerce à choisir les unes, à rejeter les autres. Voulez-vous ôter à vos semblables l'usage de cette faculté pour y substituer votre autorité particulière ?”.
Maximilien de Robespierre,Discours sur la liberté de la presse. Paris, de l'Impr. nationale, 1791.
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