Publié le 19 mars 2019 par : M. Quatennens, Mme Autain, M. Bernalicis, M. Coquerel, M. Corbière, Mme Fiat, M. Lachaud, M. Larive, M. Mélenchon, Mme Obono, Mme Panot, M. Prud'homme, M. Ratenon, Mme Ressiguier, Mme Rubin, M. Ruffin, Mme Taurine.
Après le 6° de l'article L. 161‑37 du code de la sécurité sociale, il est inséré un 6°bis ainsi rédigé :
« 6°bisRendre un rapport annuel, réalisé en partenariat avec les organismes publics concernés et les associations d'usagers et de malades, portant sur les pistes de transformation du système de production de médicament promouvant la souveraineté pharmaceutique et l'innovation thérapeutique. »
En avril dernier, la presse financière britannique diffusait des extraits d'une note d'un analyste de Goldman Sachs consacrée au défi économique que représentait pour le secteur pharmaceutique les nombreux progrès enregistrés sur l'effectivité des thérapies géniques : « La possibilité de délivrer des cures uniques est l'un des aspects les plus attrayants de la thérapie génique, de la thérapie cellulaire génétiquement modifiée et de l'édition génétique, mais ces traitements offrent des perspectives très différentes en termes de revenus récurrents par rapport aux thérapies chroniques (…) Bien que cette innovation ait une valeur énorme pour les patients et la société, elle pourrait représenter un défi pour les développeurs de médicaments génomiques cherchant des flux de trésorerie soutenus. ». Pour finalement se demander : « Est-ce que guérir des patients est un modèle économique soutenable ? »
Voilà ce qui peut arriver quand on confie la santé des citoyens à un secteur qui a pris depuis plusieurs décennies l'habitude de rémunérer ses actionnaires à hauteur de 15 à 20 % par an. : Ce secteur en vient à se questionner sur l'intérêt économique qui existe à guérir les gens. Cet exemple éclatant, grossier par certains aspects, et surtout profondément cynique, nous amène à nous demander très clairement : est-il raisonnable, sur les plans sanitaire, politique et humain, de confier la recherche et la production de médicaments à des entreprises privées à hautes exigences de profitabilité ?
Par cet amendement, nous souhaitons donner une mission prospective à la Haute Autorité de Santé, de réflexion sur l'avenir de notre mode de production de médicament, afin d'élaborer des pistes permettant aux citoyens et à la sécurité sociale de se réapproprier l'industrie pharmaceutique et de faire face aux défaillances du système actuel.
Actuellement premier marché mondial, le secteur pharmaceutique est entre les mains de plusieurs grandes groupes privés, dont la puissance est telle qu'ils parviennent régulièrement à influencer la décision publique et à berner les organismes étatiques de contrôle. Les scandales sanitaires à répétition, du Vioxx au Levothyrox en passant par la Dépakine et le Médiator, ont mis en lumière ce que la quête de profitabilité peut faire à la santé publique.
Pour les finances sociales, l'activisme promotionnel des laboratoires pharmaceutiques a un coût : celui de la multiplication des médicaments, de la réintroduction incessante de nouveaux produits, sans que l'amélioration du service médical rendu ne soit significative.
Pour la santé publique, la transformation progressive des industries pharmaceutiques en puissance marketing influençant les professionnels de santé dès les facultés de médecine présente des risques de plus en plus importants. Le recours abusif à des traitements lourds comme dans le cas des antidépresseurs, la multiplication de traitements dangereux disponibles sans ordonnance et dont l'UFC Que Choisir a dressé en février dernier la liste noire, fragilisent la santé des Français.
Mais ce qui requiert de façon encore plus urgente la nationalisation de la recherche et de la production de médicaments, c'est le défi immense que représente la résistance bactérienne aux antibiotiques, dont l'Organisation Mondiale de la Santé estime qu'elle tue 700 000 personnes par an dans le monde. L'OMS demande aux États de relever ce défi. Or, la découverte d'un antibiotique est exceptionnelle aujourd'hui, et son développement prend plus d'une décennie. Les États pourront-ils faire face à ce défi en continuant de confier la production et la recherche de médicaments à des entreprises qui veulent continuer à exploser les scores de rémunération des actionnaires ? Le pourront-ils en comptant sur des gens auprès de qui des analystes financiers s'interrogent sur la « soutenabilité économique de la guérison » ? Y arriveront-ils face à des sociétés privées dont les moyens financiers et politiques ont permis de faire fermer les yeux aux instances étatiques de régulation sur leurs pratiques dangereuses ?
Nous estimons que face aux défis du XXIe siècle, la puissance publique est bien mieux placée pour assurer la production de médicaments, en coopération avec les autres pays du monde, afin de concevoir une stratégie planifiée, rationnelle, attentive au temps long, et qui n'est plus parasitée par la recherche de profit à court terme, mais nous faisons confiance à la Haute Autorité de Santé pour apporter au législateur des pistes à la fois ambitieuses et crédibles pour rompre avec la voie dangereuse dans laquelle notre santé est engagée depuis trop longtemps.
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