Publié le 16 novembre 2017 par : M. Alauzet.
I. – L'article 223 du code général des impôts est complété par un 4. ainsi rédigé:
« 4. Les personnes morales ou groupements de droit ou de fait, dont le chiffre d'affaires hors taxes ou le total de l'actif brut figurant au bilan est supérieur ou égal à 400 millions d'euros à la clôture de l'exercice sont tenues de joindre :
« 1° Les informations relatives à la conception et à l'utilisation de dispositifs de planification fiscale à caractère potentiellement agressif, et ayant une dimension transfrontalière. Ces dispositifs de planification fiscale ayant pour but l'obtention d'un avantage fiscal.
« 2° La liste des personnes morales ou groupements de personnes de droit ou de fait qui ont participé à l'établissement des schémas fiscaux de l'entreprise ou ont été consulté dans le but de réduire la charge fiscale de l'entreprise, en indiquant leur dénomination, leur adresse et, pour ceux établis en France, leur numéro d'identification au répertoire national des établissements. »
II. – Le fait de ne pas satisfaire à l'obligation de communication prévue au I est puni par l'amende prevue à l'article 1741 du même code.
III. – Le I est applicable à partir du 1er janvier 2019 à compter de l'entrée en vigueur d'une disposition adoptée par l'Union européenne et poursuivant le même objectif.
Les « Paradisepapers » ont révélé l'existence d'un système généralisé d'optimisation fiscale, un système qui flirte dangereusement avec la fraude fiscale. En jouant avec les différentes réglementations fiscales, grâce à l'aide d'équipes d'experts travaillant dans le plus grand secret, les entreprises minimisent l'impôt dont elles s'acquittent tout en se préservant des poursuites judiciaires. Ceux sont ainsi des milliards d'euros de recettes fiscales qui disparaissent : 20 milliards pour la France, 120 pour l'Union Européenne et 360 au total d'après les estimations de G. Zucman.
Ces pratiques sont immorales, elles remettent en cause les valeurs que portent la France et les grands principes fondateurs de la République française. Les entreprises qui les suivent rompent avec l'égalité devant l'impôt, ce faisant, elles refusent de contribuer au financement l'État français et rejettent la solidarité qui est au fondement de notre modèle social. Elles laissent la France subir l'érosion de sa base d'imposition et bénéficient de l'aide d'intermédiaires promouvant la création de dispositifs de planification fiscale à caractère agressif.
Pour lutter contre l'optimisation fiscale abusive, qui déconnecte l'activité économique et le bénéfice réalisés en France du montant de l'impôt acquitté par l'entreprise auprès de l'État français en favorisant les transferts vers les juridictions à taux d'imposition très faible, la transparence constitue un outil essentiel. La transparence permet aux citoyens d'évaluer, selon leurs propres critères éthiques, l'attitude des entreprises desquelles ils sont clients et d'adapter leurs comportements en conséquence. La transparence permet à l'administration fiscale de mieux détecter et sanctionner les cas de fraudes. La transparence permet de rendre l'optimisation fiscale abusive inacceptable.
Malgré tout, la transparence est souvent accusée de désavantager les entreprises en situation de concurrence en révélant leurs stratégies. Le Conseil constitutionnel a suivi cette logique en censurant en 2016 le reporting fiscal public[1], disposition qui existe pourtant depuis 2013 pour les banques, pour cause d'entrave à la liberté d'entreprise de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789. Cependant, l'évasion et l'optimisation abusive constitue sans doute possible des entraves aux principes constitutionnels du consentement à l'impôt et de l'égalité devant l'impôt des articles 14 et 13 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789. C'est une jurisprudence du Conseil constitutionnel datant de 2010[2], la lutte contre l'évasion fiscale elle-même est un objectif à valeur constitutionnel.
L'État n'ayant pas accès aux informations relatives à l'organisation comptable et fiscale de l'entreprise, il ne peut faire respecter les principes constitutionnels mentionnés : la transparence fiscale est donc essentielle pour garantir le respect de la Constitution. Si la liberté d'entreprendre est elle aussi un principe à valeur constitutionnel, elle n'a jamais été conçue pour être absolue. Les jurisprudences du Conseil constitutionnel l'ont maintes fois souligné[3], elle peut être limitée afin de défendre l'intérêt général ou de protéger d'autres exigences constitutionnelles.
En un mot : la transparence est possible, elle est même nécessaire.
Cet amendement propose une première avancée en matière de transparence pour les grandes entreprises : la transmission, à l'administration fiscale, des dispositifs de planification fiscale et de la liste des intervenants contractés sur ces problématiques.
La mesure proposée ne représente pas un obstacle à l'activité des entreprises concernées, les informations communiquées sont relativement générales et donc connues des concurrents directs. De plus, la communication est faite uniquement auprès de l'administration fiscale donc dans un cadre particulièrement limité. Ces informations permettront à l'administration de mieux cerner les risques de fraude pour cibler les contrôles.
La mesure s'inscrit dans la continuité du projet BEPS de l'OCDE. Elle participe activement à la recherche d'une solution européenne à l'évasion et à l'optimisation fiscale. Conditionnée à l'adoption de mesures proches au niveau européen, la mesure permet à la France d'assumer le rôle de leader en matière de lutte contre l'évasion et l'optimisation fiscale et envoie un signal fort aux États membres, aux acteurs économiques et aux citoyens.
[1] Décision n° 2016‑741 DC du 08 décembre 2016 - Loi relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique
[2] 2010‑70 QPC, 26 novembre 2010, cons. 4, Journal officiel du 27 novembre 2010, page 21118, texte n° 41, Rec. p. 340
[3] Décision n° 89‑254 DC du 4 juillet 1989 / 2010‑55 QPC, 18 octobre 2010, cons. 4, Journal
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