Publié le 10 février 2021 par : M. Saulignac, M. Vallaud.
À compter du 1er janvier 2022 et jusqu’au 31 décembre 2023 :
1° Par dérogation au 1° de l’article L. 262‑4 et aux articles L. 262‑7‑1 et L. 262‑8 du code de l’action sociale et des familles, le bénéfice du revenu de solidarité active est ouvert aux bénéficiaires âgés de plus de dix-huit ans ;
2° Par dérogation au 3° de l’article L. 262‑4 du même code, le bénéfice du revenu de solidarité active est ouvert aux élèves, étudiants et stagiaires au sens de l’article L. 124‑1 du code de l’éducation âgés de plus de dix-huit ans.
Si nous en venons à examiner cet amendement c’est que les dispositifs proposés dans la proposition de loi AILES (Aide Individuelle à L’Emancipation Solidaire) ne parviennent pas à convaincre une majorité de commissaires.
Lors des auditions les rapporteurs et les députés qui y ont pris part, ont été interpellés par plusieurs interlocuteurs, dont des associations venant en aide aux publics en situation de précarité, sur le fait de savoir si le dépôt de cette proposition de loi avait pour objectif de poser un débat, de prendre date pour l’avenir, ou si nous avions la ferme intention de faire concrètement et sans délai progresser nos dispositifs sociaux, notamment pour les jeunes adultes, au cœur d’une crise inédite.
Lors de ces mêmes auditions les rapporteurs ont été sensibilisés à l’injustice que représente aujourd’hui la privation des jeunes majeurs entre dix-huit et vingt-cinq ans du bénéfice du revenu de solidarité active (RSA), ainsi que des situations d’extrême pauvreté qui en résultent, mais aussi et surtout à l’urgence de cette situation.
Au cœur d’une crise sociale, économique et sanitaire sans précédent, la jeunesse demeure exclue du premier mécanisme de solidarité en France, alors qu’elle est le groupe social le plus exposé à la précarité, notamment de par le contexte que nous connaissons. La majorité civile étant accordée à dix-huit ans, rien ne justifie que nous refusions la majorité sociale et solidaire jusqu’à vingt-cinq ans, et que nous continuions de fermer les yeux sur les conditions de vie réelles des jeunes.
Cet amendement se veut une réponse à l’urgence sociale que nous constatons toutes et tous et à l’injonction à agir, ici et maintenant, que nous ont formulé des interlocuteurs.
Cet amendement se veut un compromis possible entre toutes les forces politiques représentées dans notre commission.
Aurons-nous une autre occasion, dans cette législature, de répondre à l’urgence de la situation de dizaines de milliers de jeunes ? Après plus de trois ans de législature, à peine plus d’un an avant l’élection présidentielle, à quelques mois de la campagne qui y conduira le pays, tous les députés font l’expérience du temps compté pour agir utilement pour nos compatriotes.
La crise économique et sociale qui bout sous la crise sanitaire sera malheureusement au premier rang de nos préoccupations collectives dans les prochaines années. Il n’est pas nécessaire d’être devin pour formuler l’hypothèse selon laquelle les manières d’y faire face occuperont une place importante dans les débats démocratiques de notre pays en prévision des élections présidentielle et législatives.
Alors oui, vos rapporteurs le concèdent à l’endroit des personnes qui les ont interpellés lors des auditions. Le dépôt de cette proposition de loi est à la fois un acte de pleine sincérité, visant à défendre un projet que nous avons travaillé sérieusement et auquel nous croyons, mais aussi, un projet dont nous n’avions pas raisonnablement l’espoir qu’il soit adopté ce jour.
Alors ceci étant fait, nous devons faire face à cette injonction à agir, ici et maintenant. Cette injonction que nous avons reçu lors des auditions, mais à dire vrai, cette injonction que nous recevons toutes et tous, tous les jours depuis des semaines, depuis des mois. Cette injonction à agir pour ne plus voir ces interminables et insoutenables files d’attente devant des soupes populaires, comme ces passages furtifs que nous ne voyons pas dans des épiceries solidaires et autres locaux d’associations caritatives, de milliers de jeunes gens qui sont en train de glisser, chaque jour un peu plus, à l’heure où nous parlons, dans une précarité qui va irrémédiablement marquer leur vie.
Nous savons le poids des études et du premier emploi sur le marché du travail dans notre pays. Nous voyons chaque jour la marée des témoignages de ces dizaines de milliers de jeunes adultes qui décrochent, qui décrochent de leurs projets, qui décrochent de leur avenir, faute du soutien nécessaire de la communauté nationale. Ce faisant, c’est l’avenir de la nation qui décroche.
Nous avons toutes et tous, députés de la nation, des convictions, et nous recherchons tous l’intérêt général. C’est à force de temps que nos lois se font et évoluent.
Nos collègues de la majorité nous ont déjà indiqué, à plusieurs reprises lors de cette législature, leur attachement au développement de la "garantie jeunes", ce que non seulement nous comprenons mais appuyons, ayant nous-même œuvré à sa mise en œuvre. Nous entendons, même si nous avons eu des désaccords profonds sur certaines de ses hypothèses de construction, le projet de RUA. Mais la lucidité commande de reconnaître que ce projet ne verra pas le jour dans les prochains mois, ni même, très vraisemblablement, avant la fin de la législature.
Nos collègues Républicains de la commission des affaires sociales ont témoigné lors de toute cette législature de leur réel attachement aux valeurs de solidarités qui nous réunissent toutes et tous ici. Nous nous sommes retrouvés sur certains combats, encore dernièrement pour défendre fermement la généralisation de l’expérimentation Territoire Zéro Chômeurs de Longue Durée. Nous avons divergé sur d’autres. Il en va de même avec de nombreux collègues du centre.
Avec beaucoup de nos collègues de gauche nous avons ferraillé depuis plus de trois ans pour faire entendre nos analyses et propositions, avec un succès qui peut être qualifié de modeste.
Mais entre cette législature qui, quoi qu’on en pense, va commencer à tirer à sa fin, et la mise en œuvre des nouvelles orientations de la prochaine, la situation, elle, ne peut pas attendre.
Pour changer les choses aujourd’hui, il sera toujours temps de reprendre le cours plus ordinaire de l’évaluation et de l’évolution de nos dispositions législatives et politiques publiques d’ici deux ans, nous devons trouver un compromis.
Nous continuerons quant à nous de porter l’automatisation, l’inconditionnalité, un nouveau mode de calcul du volet « activité » pour la mis une place d’un revenu de base, ainsi que la mise en place d’une dotation universelle à 18 ans, mais plus aujourd’hui.
Aujourd’hui, il nous reste quelques minutes pour être utiles ensemble.
C’est pourquoi le présent amendement propose l’ouverture du droit au RSA dès dix-huit ans, y compris pour les étudiants, tout en maintenant l’ensemble des autres paramètres du revenu de solidarité active tel qu’il existe aujourd’hui et sans lui adjoindre de dotation universelle, pour une durée de deux ans.
Nous nous permettons de penser que le caractère temporaire de cette mesure, au regard de la situation, devrait permettre à des collègues opposés à l’idée d’une ouverture pérenne du RSA aux moins de vingt cinq ans, qu’elles qu’en soient les modalités, de s’y rallier.
Nous espérons que celles et ceux de nos collègues qui pourraient être favorables à cette ouverture de manière pérenne mais qui auraient des différences sur les modalités, accepteront ce compromis, là aussi grâce à l’encadrement dans le temps de la mesure proposée et au regard de l’urgence de la situation.
De même que Descartes proposa une morale par provision, en attendant de pouvoir fonder ses comportements sur la nouvelle science sûre et certaine que ne manquerait pas de lui apporter sa démarche du doute méthodique, vos rapporteurs pensent en toute sincérité que notre commission ferait œuvre très utile, utile à des dizaines de milliers de jeunes françaises et français, utile à leurs familles, utile à l’avenir du pays, en adoptant aujourd’hui ce dispositif « par provision ».
Car aujourd’hui, notre seule certitude est que le statu quo n’est pas possible.
L’adoption de cet amendement permettrait de mettre en œuvre une réponse massive et immédiate, tout en garantissant le principe d’une « clause de revoyure » après les élections présidentielle et législatives de 2022.
Alors, il sera loisible, espérons le un peu à distance du cœur de cette crise, sur le fondement d’un contrat démocratique renouvelé avec le pays lors des prochaines élections, à l’Assemblée nationale de la seizième législature, de choisir une évolution et un renforcement pérennes de nos politiques sociales à l’endroit des jeunes adultes.
Mais en attendant, ils ne peuvent pas attendre.
C’est la raison pour laquelle, si la commission des affaires sociales votait en faveur de cet amendement, nous solliciterions le Gouvernement en séance pour qu’il amende ce dispositif afin de le rendre applicable dès la promulgation de la loi, ce que les contraintes de la recevabilité financière ne nous autorisent pas à inscrire dans le présent amendement, ainsi que pour procéder aux coordinations nécessaires, notamment au regard des autres dispositifs existants (bourses, garantie jeunes, ...).
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