Publié le 4 décembre 2017 par : M. Alauzet.
Le chapitre Ier du titre Ier de la troisième partie du livre Ier du code général des impôts est complété par un III ainsi rédigé :
« III. – Déclarations des dispositifs de planification fiscales conçus et commercialisés par les intermédiaires fiscaux et financiers.
« Art. 1649 terA. – I. – Les intermédiaires fiscaux et financiers, ont obligation de communiquer les informations relatives à la conception et au fonctionnement de dispositifs de planification fiscale à caractère potentiellement agressif, et ayant une dimension transfrontalière, s'ils interviennent dans ces dispositifs, dans le cadre de leur profession, par la conception et la promotion de ceux-ci.
« Dans le cas où l'intermédiaire ou les intermédiaires fournissant le dispositif ou les dispositifs de planification fiscale à caractère potentiellement agressif, et ayant une dimension transfrontalière ne sont pas établis dans l'Union Européenne ou lorsqu'ils sont tenu au secret professionnel, cette obligation de communication se reporte au particulier ou à l'entreprise destinataire des dispositifs.
« Dans le cas où des avocats ou des conseillers fiscaux internes à l'entreprise mettent en œuvre des dispositifs de planification fiscale à caractère potentiellement agressif, et ayant une dimension transfrontalière, cette obligation de communication se reporte à cette entreprise destinataire des dispositifs.
« Les dispositifs de planification fiscale mentionnés à l'alinéa précédent ont pour but l'obtention d'un avantage fiscal qui est établi lorsque le résultat attendu provient :
« 1° Du dispositif ou de la série de dispositifs à caractère potentiellement agressif et ayant une dimension transfrontalière ;
« 2° De la structure spécifique du dispositif ou de la série de dispositifs à caractère potentiellement agressif et ayant une dimension transfrontalière.
« Les dispositifs mentionnés au premier alinéa sont identifiés à l'aide de marqueurs.
« II. – Ces marqueurs sont les suivants :
« 1° Marqueurs généraux :
« a) Un dispositif ou une série de dispositifs où le contribuable s'engage à respecter une clause de confidentialité selon laquelle il peut lui être demandé de ne pas divulguer à d'autres intermédiaires ou aux autorités fiscales comment le dispositif pourrait procurer un avantage fiscal ;
« b) Un dispositif ou une série de dispositifs où l'intermédiaire est en droit de percevoir des honoraires, ou intérêts, rémunération pour financer les coûts et autres frais, pour le dispositif ou la série de dispositifs et ces honoraires sont fixés par référence :
« 1° Au montant de l'avantage fiscal découlant du dispositif ou de la série de dispositifs ;
« 2° Ou au fait qu'un avantage fiscal découle effectivement du dispositif ou de la série de dispositifs. Il est fait obligation à l'intermédiaire de rembourser partiellement ou entièrement les honoraires si l'avantage fiscal escompté découlant du dispositif ou de la série de dispositifs n'a pas été complètement ou partiellement généré.
« c) Un dispositif ou une série de dispositifs qui prévoit l'utilisation de documents standardisés, y compris de formulaires types. Les documents sont généralement à la disposition de plus d'un contribuable et n'ont pas besoin d'être adaptés afin de permettre à un contribuable de mettre en œuvre le dispositif ou la série de dispositifs.
« 2° Marqueurs spécifiques :
« a) Un dispositif ou une série de dispositifs dans le cadre duquel le contribuable utilise des pertes pour réduire sa charge fiscale, y compris par le transfert de ces pertes à une autre juridiction ou par l'accélération de l'utilisation de ces pertes ;
« b) Un dispositif ou une série de dispositifs qui a pour effet de convertir les bénéfices en capital, en cadeaux ou en d'autres catégories de bénéfices qui sont taxées à un niveau inférieur ;
« c) Un dispositif ou une série de dispositifs qui inclut des transactions circulaires ayant pour résultat un « carrousel » de fonds, à savoir au moyen d'entités interposées sans fonction commerciale primaire ou d'opérations qui se compensent ou s'annulent mutuellement ou qui ont d'autres caractéristiques similaires.
« 3° Marqueurs spécifiques liés aux opérations transfrontalières :
« a) Un dispositif ou une série de dispositifs qui prévoit la déduction des paiements transfrontalières effectués entre deux ou plusieurs parties liées lorsque l'une au moins des conditions suivantes est remplie :
« 1° Le bénéficiaire ne réside à des fins fiscales dans aucune juridiction fiscale ;
« 2° Même si le bénéficiaire réside à des fins fiscales dans une juridiction, cette juridiction ne lève pas d'impôt sur les sociétés ; ou lève un impôt sur les sociétés à taux zéro ou à un taux légal d'imposition sur les sociétés inférieur à la moitié de la moyenne des taux légaux d'imposition sur les sociétés au sein de l'Union, tel qu'il est fixé à la fin de l'année civile précédente ; ou figure sur une liste de certaines juridictions de pays tiers qui ont été évaluées par les États membres collectivement ou dans le cadre d'une organisation internationale comme appliquant des régimes fiscaux dommageables ;
« 3° Le paiement bénéficie d'une exonération fiscale partielle ou totale dans la juridiction où le bénéficiaire réside à des fins fiscales ;
« 4° Le paiement bénéficie d'un régime fiscal préférentiel dans la juridiction où le bénéficiaire réside à des fins fiscales ;
« 5° Il existe une asymétrie relevant du champ d'application de la directive du Conseil modifiant la directive (UE) 2016/1164 en ce qui concerne les dispositifs hybrides faisant intervenir des pays tiers.
« b)Le même actif est soumis à l'amortissement dans plus d'une juridiction ;
« c) Plus d'un contribuable peut demander un allègement au titre de la double imposition pour le même élément de revenu dans différentes juridictions ;
« d) Il existe un dispositif ou une série de dispositifs qui inclut les transferts d'actifs et où il y a une différence significative dans le montant considéré comme étant payable en contrepartie des actifs dans ces juridictions concernées.
« 4° Marqueurs spécifiques concernant les accords d'échange automatique d'informations au sein de l'Union.
« Un dispositif ou une série de dispositifs qui contourne la législation de l'Union ou les accords d'échange automatique d'informations, y compris les accords conclus avec des pays tiers, et qui a pour effet d'éviter la déclaration des revenus à l'État de résidence fiscale du contribuable. Ces dispositifs peuvent inclure :
« 1° Le recours à des juridictions qui ne sont pas liées par la législation de l'Union ou par des accords d'échange automatique d'informations ;
« 2° La requalification des types de bénéfices dans des catégories qui ne sont pas soumises à l'échange automatique d'informations ;
« 3° Le recours à des entités juridiques et structures qui ne sont pas prévues par la législation de l'Union, ni par des accords d'échange automatique d'informations ;
« 4° Le recours à des juridictions pourvues de régimes d'exécution inadéquats ou faibles de la législation relative à la lutte contre le blanchiment de capitaux. C'est le cas lorsqu'il n'existe pas de règles pour identifier les bénéficiaires effectifs d'entités juridiques, y compris les fiducies, les fondations et les entités ad hoc ou lorsqu'il y a utilisation de prête-noms ou de procurations pour dissimuler l'identité du bénéficiaire effectif.
« 5° Marqueurs spécifiques concernant les prix de transfert :
« a) Un dispositif ou une série de dispositifs qui n'est pas conforme au principe de pleine concurrence ou aux lignes directrices de l'organisation de coopération et de développement économiques en matière de prix de transfert, y compris la répartition des bénéfices entre les différents membres d'un même groupe d'entreprises ;
« b) Un dispositif ou une série de dispositifs qui tombe dans le champ d'application de l'échange automatique d'informations sur les décisions fiscales anticipées en matière transfrontalière mais qui n'est pas déclaré ou ne fait pas l'objet d'un échange. »
« III. – Le dispositif ou la série de dispositifs sont soumis à l'obligation de communication du I que s'il présente au moins un des marqueurs de la liste énoncé au II.
« IV. – L'obligation de communication du I intervient dans un délai de trente jours suivant la fourniture par les intermédiaires aux bénéficiaires de ces dispositifs.
« Les intermédiaires sont tenus de garantir l'anonymat des bénéficiaires ou bénéficiaires associés auxquels ils ont fourni les dispositifs de planifications faisant l'objet de l'obligation de communication du I.
« V. – Le fait de ne pas satisfaire à l'obligation de communication prévue au I dans un délai de trente jours est puni d'une amende de 10 000 euros. Passé un délai de deux mois, le montant de l'amende est augmenté de 50 % pour chaque période additionnelle de 2 mois durant laquelle l'obligation n'est pas satisfaite. Le montant ne pouvant excéder 4 millions d'euros.
« VI. – Le I est applicable à partir du 1er janvier 2019 à compter de l'entrée en vigueur d'une disposition adoptée par l'Union européenne et poursuivant le même objectif.
« Les informations obtenues en raison de l'obligation de communications du I peuvent faire l'objet d'une communication aux administrations des autres États membres de l'Union européenne comme le prévoit l'article L. 114 A du livre des procédures fiscales. »
Les « Paradisepapers » ont révélé l'existence d'un système généralisé d'optimisation fiscale, un système qui flirte dangereusement avec la fraude fiscale. En jouant avec les différentes réglementations fiscales, grâce à l'aide d'équipes d'experts travaillant dans le plus grand secret, les entreprises minimisent l'impôt dont elles s'acquittent tout en se préservant des poursuites judiciaires. Ceux sont ainsi des milliards d'euros de recettes fiscales qui disparaissent : 20 milliards pour la France, 120 pour l'Union Européenne et 360 au total d'après les estimations de G. Zucman.
Ces pratiques sont immorales, elles remettent en cause les valeurs que portent la France et les grands principes fondateurs de la République française. Les entreprises qui les suivent rompent avec l'égalité devant l'impôt, ce faisant, elles refusent de contribuer au financement l'État français et rejettent la solidarité qui est au fondement de notre modèle social. Elles laissent la France subir l'érosion de sa base d'imposition et bénéficient de l'aide d'intermédiaires promouvant la création de dispositifs de planification fiscale à caractère agressif.
Pour lutter contre l'optimisation fiscale abusive, qui déconnecte l'activité économique et le bénéfice réalisés en France du montant de l'impôt acquitté par l'entreprise auprès de l'État français en favorisant les transferts vers les juridictions à taux d'imposition très faible, la transparence constitue un outil essentiel. La transparence permet aux citoyens d'évaluer, selon leurs propres critères éthiques, l'attitude des entreprises desquelles ils sont clients et d'adapter leurs comportements en conséquence. La transparence permet à l'administration fiscale de mieux détecter et sanctionner les cas de fraudes. La transparence permet de rendre l'optimisation fiscale abusive inacceptable.
Malgré tout, la transparence est souvent accusée de désavantager les entreprises en situation de concurrence en révélant leurs stratégies. Le Conseil constitutionnel a suivi cette logique en censurant en 2016 le reporting fiscal public[1], disposition qui existe pourtant depuis 2013 pour les banques, pour cause d'entrave à la liberté d'entreprise de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789. Cependant, l'évasion et l'optimisation abusive constitue sans doute possible des entraves aux principes constitutionnels du consentement à l'impôt et de l'égalité devant l'impôt des articles 14 et 13 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789. C'est une jurisprudence du Conseil constitutionnel datant de 2010[2], la lutte contre l'évasion fiscale elle-même est un objectif à valeur constitutionnel.
L'État n'ayant pas accès aux informations relatives à l'organisation comptable et fiscale de l'entreprise, il ne peut faire respecter les principes constitutionnels mentionnés : la transparence fiscale est donc essentielle pour garantir le respect de la Constitution. Si la liberté d'entreprendre est elle aussi un principe à valeur constitutionnel, elle n'a jamais été conçue pour être absolue. Les jurisprudences du Conseil constitutionnel l'ont maintes fois souligné[3], elle peut être limitée afin de défendre l'intérêt général ou de protéger d'autres exigences constitutionnelles.
En un mot : la transparence est possible, elle est même nécessaire.
Cet amendement propose une première avancée en matière de transparence pour les grandes entreprises : la transmission, à l'administration fiscale, des dispositifs de planification fiscale et de la liste des intervenants contractés sur ces problématiques.
La mesure proposée ne représente pas un obstacle à l'activité des entreprises concernées, les informations communiquées sont relativement générales et donc connues des concurrents directs. De plus, la communication est faite uniquement auprès de l'administration fiscale donc dans un cadre particulièrement limité. Ces informations permettront à l'administration de mieux cerner les risques de fraude pour cibler les contrôles.
La mesure s'inscrit dans la continuité du projet BEPS de l'OCDE. Elle participe activement à la recherche d'une solution européenne à l'évasion et à l'optimisation fiscale. Conditionnée à l'adoption de mesures proches au niveau européen, la mesure permet à la France d'assumer le rôle de leader en matière de lutte contre l'évasion et l'optimisation fiscale et envoie un signal fort aux États membres, aux acteurs économiques et aux citoyens.
[1] Décision n° 2016‑741 DC du 08 décembre 2016 - Loi relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique
[2] 2010‑70 QPC, 26 novembre 2010, cons. 4, Journal officiel du 27 novembre 2010, page 21118, texte n° 41, Rec. p. 340
[3] Décision n° 89‑254 DC du 4 juillet 1989 / 2010‑55 QPC, 18 octobre 2010, cons. 4, Journal
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