Publié le 27 février 2021 par : Mme Batho, M. Julien-Laferrière, M. Villani, Mme Bagarry, Mme Forteza, Mme Gaillot, M. Orphelin, M. Chiche, Mme Cariou.
Rédiger ainsi cet article :
« Après le I de l’article L. 581‑4 du code de l’environnement, il est inséré un I bis ainsi rédigé :
« I bis. – Toute publicité lumineuse, numérique ou supportant des affiches éclairées par projection ou transparence est interdite en agglomération et en dehors des agglomérations sur les voies ouvertes à la circulation publique ainsi que dans les aéroports, dans les gares ferroviaires et routières ainsi que dans les stations et aux arrêts de transports en commun de personnes.
« Par dérogation à l’article L. 581‑2, l’interdiction s’applique également aux publicités situées à l’intérieur d’un local lorsque leur emplacement les rend visibles depuis la voie publique.
« L’interdiction ne s’applique pas aux dispositifs destinés exclusivement aux informations d’intérêt général à caractère national ou local dont la liste est définie par décret, sous réserve du respect des dispositions du présent article et de l’article L. 581‑8. »
Le présent amendement correspond à la proposition C2.2 de la Convention Citoyenne pour le Climat qui proposait « l’interdiction des écrans vidéos dans l’espace public, les transports en commun et dans les points de vente ».
En l’état, les dispositions de l’article 7 sont très éloignées de cette intention :
- « peut prévoir » n’a pas le même sens que « peut interdire » (texte de l’amendement adopté par l’Assemblée nationale en 2019 puis supprimé en CMP) ;
- l’article renvoie la règlementation des écrans et publicités visibles depuis l’espace public aux règlements locaux, les écrans numériques publicitaires ne sont donc pas interdits partout en France et seront soumise au bon vouloir des élus locaux ;
- l’article se contente d’autoriser un encadrement de ces pratiques publicitaires (taille, emplacement, hauteur, consommation d’énergie...) ;
- ces dispositions ne s’appliqueront pas aux gares, aéroports, métro, où l’installation de panneaux numériques est actuellement massive.
Le présent amendement propose de respecter la proposition de la Convention Citoyenne pour le Climat et s’inspire de la proposition de loi n° 2677 relative à l’interdiction de toute forme de publicité numérique et lumineuse dans l’espace public.
Les écrans publicitaires numériques sont de plus en plus présents dans l’espace public et dans notre espace visuel. Leur déploiement constitue une nouvelle étape de l’invasion publicitaire, qui s’ajoute aux publicités lumineuses dont les installations dans l’espace public se sont multipliées ces dernières années. Ce développement de la publicité numérique et lumineuse n’est pas compatible avec les impératifs liés à l’urgence écologique, à la protection de la santé publique et à la qualité des paysages urbains.
À Paris, déjà 704 écrans numériques ont été installés dans le métro et le renouvellement du marché des emplacements publicitaires du métro parisien prévoit un investissement de soixante millions d’euros pour « moderniser les dispositifs d’affichage publicitaire » et développer les écrans numériques. 686 écrans numériques ont été installés dans les grandes gares parisiennes. À Lyon, une centaine d’écrans publicitaires numériques sont apparus progressivement dans les stations du métro depuis deux ans. À Rennes, alors que trente doubles panneaux numériques ont déjà été installés dans la ville, quarante autres vont être implantés dans le métro. Le contrat d’affichage publicitaire du réseau de transport lillois signé en octobre 2019 prévoit la mise en place de 160 écrans publicitaires numériques sur les abribus et dans les stations souterraines de métro et de tramway. À Nantes, une soixantaine d’écrans publicitaires numériques doivent être installés dans la ville. À Nice, ils seront soixante‑treize, à Mulhouse, ils sont déjà une quarantaine. Dans le département des Hauts‑de‑Seine, soixante‑douze écrans publicitaires numériques vont être installés dans trente‑quatre villes…
Le déploiement des écrans publicitaires numériques se multiplient également dans les vitrines des magasins, où ils sont visibles depuis les voies de circulation publique. À Paris, on comptait ainsi à l’automne 2019 plus de mille écrans numériques installés dans les vitrines des magasins. Le même phénomène peut être constaté dans de nombreuses villes de France. La présence croissante dans l’espace public de ces écrans de publicités numériques et lumineux doit impérativement être remise en cause.
À l’origine d’une importante consommation d’énergie, les écrans publicitaires numériques sont la source d’un gaspillage énergétique évitable. Un panneau numérique de deux mètres carrés consomme 7 000 kilowattheures (kWh) par an, ce qui équivaut à la consommation annuelle d’un foyer avec un enfant. À titre de comparaison, un panneau avec une face numérique consomme sept fois plus que les panneaux d’affichage non numériques. Le Réseau de transport électrique (RTE), dans son bilan électrique annuel prévisionnel pour 2019 qualifie de superflue la consommation d’énergie qu’ils génèrent et préconise de les supprimer, ce qui représenterait un gain journalier de 0,1 GW d’énergie sur le territoire.
Les publicités numériques et les publicités éclairées sont également à l’origine d’une importante pollution lumineuse. La lumière artificielle qu’elles produisent perturbe l’alternance du jour et de la nuit dans les écosystèmes. Les conséquences sont néfastes pour la biodiversité : diminution et fragmentation des habitats naturels, perturbation de l’horloge biologique des espèces, etc. La pollution lumineuse impacte aussi la santé humaine qui subit les effets à court et long terme d’un usage excessif de la lumière artificielle et perturbe les rythmes circadiens des humains. À la dépense énergétique inutile de ces écrans, s’ajoute le coût environnemental de leur production. La fabrication des écrans numérique participe aux destructions écologiques par la surconsommation des ressources, notamment celle des terres rares qui sont nécessaires à leur fabrication.
De plus, l’implantation croissante des écrans publicitaires numériques et lumineux comporte des conséquences préoccupantes pour la santé publique, en particulier celle des enfants. Les risques pour la santé, physique et psychologique, liés à l’abus d’écrans sont connus. L’implantation massive d’écrans numériques dans l’espace public contribue à cette surexposition aux écrans. Surcharge cognitive, troubles de l’attention, stress induit par le caractère répétitif et invasif de la publicité, les conséquences néfastes pour la santé sont nombreuses, et dans le cas des écrans publicitaires numériques elles sont subies par tout un chacun, qui ne peut les éviter lors de ses déplacements quotidiens.
L’impact de la publicité est amplifié au moyen de ces écrans, alors qu’une personne reçoit déjà en moyenne entre 1 200 et 2 200 messages publicitaires par jour. Les écrans publicitaires numériques offrent la possibilité de présenter des images en mouvement qui, même à la périphérie du champ visuel, capte automatiquement l’attention. Cette réaction automatique s’accompagne d’une augmentation du niveau d’alerte et de stress qui favorise la mémorisation du message. La publicité numérique, qui poursuit un but d’efficacité dans l’appel au consumérisme, est donc à l’origine d’une augmentation de la fatigue psychique induite par la publicité, avec des effets délétères sur le conditionnement mental des individus.
Ces conséquences sont d’autant plus graves chez les enfants puisqu’elles impactent leur développement psychomoteur. L’Organisation mondiale de la santé, dans des lignes directrices publiées en avril 2019, tout comme le Défenseur des droits, dans un rapport publié en 2018, ont alerté sur les effets nocifs de l’utilisation de toutes formes d’écrans pour les enfants de moins de six ans et recommandent d’en proscrire l’usage. Les écrans entravent le développement des capacités sensorielles des enfants et freinent l’apprentissage des fonctions sociales et relationnelles nécessaires à leur épanouissement. Dans son numéro du 14 janvier 2020, le Bulletin épidémiologique hebdomadaire, édité par Santé publique France, a également publié une nouvelle étude démontrant que les enfants exposés à un écran dès le matin ont trois fois plus de risques de développer des troubles du langage.
Les pouvoirs publics ne peuvent laisser plus longtemps s’installer une contradiction manifeste entre les recommandations de santé publique faites aux parents afin de ne pas exposer leurs enfants aux écrans et la présence toujours plus grande d’écrans publicitaires numériques dans l’espace public. Celle‑ci participe à leur banalisation et soumet les enfants aux pressions commerciales dès leur plus jeune âge. S’ajoute à ces impacts des conséquences en matière de sécurité routière. En effet, l’omniprésence des écrans publicitaires numériques dans les villes constitue un danger pour la circulation. De nombreux écrans sont implantés aux intersections, dans les zones d’attentes des circulations piétonnes et routières, afin d’attirer l’attention du plus grand nombre de personnes qui passent à proximité. Ces implantations augmentent les risques d’accidents. Si aucune étude n’a encore été publiée en France sur l’incidence de ces écrans sur la sécurité routière, une étude américaine a montré des taux d’accidents significativement plus élevés (une augmentation de 25 % et 29 %) aux emplacements des écrans publicitaires numériques en bord de route.
Enfin, le déploiement des écrans publicitaires numériques et de la publicité lumineuse porte préjudice à l’esthétique urbaine. Elle affecte la beauté de l’espace public, contribue à son enlaidissement et perturbe la tranquillité à laquelle ont droit les promeneurs. Elle organise l’uniformisation et la standardisation des espaces publics, transformés en centres commerciaux à ciel ouvert.
La législation actuelle ne permet pas aux pouvoirs publics de mettre un coup d’arrêt au déploiement de l’installation d’écrans publicitaires numériques ou lumineux pour des raisons d’intérêt général liées à la santé publique, à la nécessité de réduire la consommation d’énergie et de protéger l’esthétique de l’espace public. En effet, en dehors des agglomérations, la publicité lumineuse et numérique relève du cadre général applicable à la publicité aux termes de l’article L. 581‑7 du code de l’environnement. Ces dispositions autorisent son déploiement à l’intérieur de l’emprise des aéroports, des gares ferroviaires et routières et des grands équipements sportifs.
Dans les agglomérations, la publicité lumineuse est autorisée dans les conditions prévues à l’article L. 581‑9 du code de l’environnement et doit respecter des critères déterminés par décret concernant les emplacements, la surface et la hauteur des panneaux, ainsi que des prescriptions sur les économies d’énergie et la prévention des nuisances lumineuses. Ces prescriptions sont relatives aux dispositifs utilisés et à l’importance des agglomérations concernées. Le troisième alinéa de l’article L. 581‑9 dispose que « L’installation des dispositifs de publicité lumineuse autres que ceux qui supportent des affiches éclairées par projection ou par transparence est soumise à l’autorisation de l’autorité compétente ». De ce fait, ce sont les règlements locaux de publicité édictés par les collectivités territoriales, ou par défaut le préfet de département, qui décident de l’implantation de la publicité lumineuse et numérique sur le territoire des communes concernées. L’article R. 581‑41 du même code énonce les dispositions particulières applicables à la publicité numérique en fonction de la consommation électrique du dispositif ou de son emplacement.
Le Règlement local de publicité prévu à l’article L. 581‑14 du code de l’environnement peut prévoir des règles spécifiques en la matière et décider l’interdiction de la publicité lumineuse et numérique sur le territoire de la commune concernée. Les gares, stations et arrêts de transports en commun de personnes sont cependant exclus du champ d’application de ce règlement. De plus, s’ils donnent la possibilité d’interdire la publicité lumineuse et numérique, la procédure d’adoption des règlements locaux de publicité reste longue et leur contenu dépend de la volonté des élus locaux. Enfin, il n’existe aucune disposition législative qui permette de réglementer la publicité numérique installée dans les vitrines des magasins et visible depuis l’espace public.
Afin de remédier, au moins partiellement, aux insuffisances de la législation, à l’occasion des débats sur le projet de loi relatif à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire, l’Assemblée nationale avait adopté un amendement donnant pouvoir aux maires d’interdire toute forme de publicité numérique sur le territoire de leur commune et dans les gares, stations et arrêts de transports en commun. Cette disposition a cependant été supprimée par la Commission mixte paritaire, alors qu’elle aurait autorisé l’interdiction des écrans numériques publicitaires par les communes qui l’auraient désiré.
En l’état, la législation ne protège donc ni les citoyens contre l’invasion de la publicité numérique et lumineuse, ni les collectivités territoriales, dont les prérogatives en la matière sont limitées. De plus, celles‑ci subissent le démarchage des offres commerciales des afficheurs publicitaires, leur faisant miroiter les retombées financières pour la collectivité du déploiement de ces écrans, face auxquelles toutes ne résistent. Enfin, le principe d’égalité impose une mesure législative de portée nationale, applicable à l’ensemble du territoire national.
Le présent amendement propose donc d’instaurer une interdiction générale de la publicité numérique et des publicités éclairées pour protéger le cadre de vie de tous les citoyens.
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