Lutte contre le dérèglement climatique — Texte n° 3875

Amendement N° CSLDCRRE823 (Rejeté)

Publié le 1er mars 2021 par : Mme Batho, M. Julien-Laferrière, M. Villani, Mme Bagarry, Mme Forteza, Mme Gaillot, M. Orphelin.

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Après le premier alinéa de l’article L. 421‑6 du code de l’urbanisme, sont ajoutés deux alinéas ainsi rédigés :

« Un moratoire est instauré suspendant la délivrance des permis de construire ayant pour objet la construction, l’extension ou la transformation d’un bâtiment existant en un entrepôt logistique d’une surface supérieure à 3 000 mètres carrés et au départ duquel des biens stockés sont livrés, directement ou indirectement à travers des entrepôts de transit, au consommateur final à la suite d’une commande effectuée par voie électronique.
« Ce moratoire s’applique à compter de la promulgation de la présente loi, y compris aux demandes de permis de construire en cours d’instruction. »

Exposé sommaire :

Le présent amendement s'inspire de la volonté exprimée par la Convention Citoyenne pour le Climat et de la proposition de loi n° 3040 instaurant un moratoire sur l’implantation de nouveaux entrepôts logistiques destinés aux opérateurs du commerce en ligne et portant mesures d’urgence pour protéger le commerce de proximité d’une concurrence déloyale.

Auditionnée le 9 décembre dernier par la Commission des Affaires Économiques de l'Assemblée nationale, le directeur général d'Amazon France a confirmé l'existence de 35 projets d'implantation nouveaux en France au cours des trois prochaines années, soit au moins un gigantesque entrepôt et cinq à dix centres de distribution par an.

Or, ces entrepôts échappent totalement aux dispositions prévues par l'article 52 du présent projet de loi, alors même que le bilan en terme d'artificialisation des sols, mais aussi économique, social et climatique du modèle promu par les multinationales du commerce en ligne telles qu’Amazon ou encore Alibaba est dévastateur :

– Il est contraire aux impératifs liés à l’urgence écologique. Les surfaces concernées sont énormes, et induisent une artificialisation des sols destructrice des terres agricoles et de la biodiversité, alors que la France a déjà perdu un quart de sa surface agricole durant les cinquante dernières années. Tandis que le site Amazon.fr commercialise déjà 1,9 milliard de produits par an en France, la plupart importés, ces nouveaux entrepôts représenteraient 960 millions de produits supplémentaires par an. Chaque entrepôt induit l’activité de 1 500 à 2 000 poids lourds et 4 000 utilitaires supplémentaires par jour, ainsi qu’une augmentation du trafic aérien pour la livraison en 24 heures et donc une aggravation de l’empreinte carbone de la France qui va à l’encontre de l’Accord de Paris sur le climat et des objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Le bilan carbone de l’entreprise Amazon est de 44,8 millions de tonnes d’équivalent CO2 en 2018, et ce sans prendre en compte les émissions résultant de la fabrication des produits vendus sur ses sites internet, majoritairement des produits électroniques et textiles fortement émetteurs de gaz à effet de serre. Ce modèle est basé sur la culture du consumérisme et le gaspillage de produits vite commandés, vite jetés, bien loin des principes de sobriété, de réemploi et de réparation qu’a souhaité récemment favoriser le législateur par la loi n° 2020‑105 du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire.

– Il est destructeur pour l’emploi, comme l’a démontré notre collègue M. Mounir Mahjoubi, ancien secrétaire d’État chargé du numérique, dans un rapport en novembre 2019. A chiffre d’affaires équivalent les entrepôts Amazon embauchent 2,2 fois moins de salariés que les commerçants traditionnels, voir 4 fois moins selon de nouvelles études.

– Il est destructeur pour le tissu économique et social du commerce de proximité et de la ruralité, au moment même où la puissance publique investit 5 milliards d’euros sur cinq ans dans le programme « Action cœur de ville » pour préserver les commerces dont les fermetures ont de graves conséquences sur la vitalité des centres‑villes, le lien social, les services de proximité, et plus globalement l’attractivité des territoires. Le commerce en ligne n’est pas soumis aux mêmes charges fiscales (défiscalisation, paiement partiel de la TVA, absence de paiement de taxe sur les enseignes et publicité extérieure, loyers très faibles…) et sociales (emplois non spécialisés, nombre d’emplois inférieur pour réaliser le même chiffre d’affaires, robotisation croissante…). De plus, ces entrepôts logistiques de vente ne sont pas soumis aux procédures habituelles pour toute création commerciale (Commission départementale d’aménagement commercial (CDAC), instance de recours des commissions départementales d’aménagement commercial (CNAC)) ni à la TASCOM. Cette situation engendre une situation de concurrence déloyale non seulement à l’égard des commerces de proximité, mais aussi des commerces de périphéries et des grandes surfaces.

– Il est destructeur pour les finances publiques du fait de l’enregistrement des ventes dans des paradis fiscaux et des fraudes à la TVA massives sur les ventes des produits partenaires. L’Inspection générale des finances avait déjà alerté en 2019 : seulement 10 millions d’euros de TVA ont été collectés par Amazon France en 2018, pour un chiffre d’affaires sur le territoire estimé à 6,5 milliards d’euros.

Les conséquences sont dévastatrices pour les 600 000 entreprises du commerce de proximité, qui sont à 95 % des très petites entreprises, lesquelles occupent une place centrale dans la vie économique et sociale des villes et villages, représentent 20 % du produit intérieur brut (PIB), occupent 3 millions d’actifs et emploient 1,2 million de salariés.

Les commodités en termes de service au consommateur offertes par le commerce en ligne ne doivent pas servir de prétexte à la captation de l’essentiel des activités économiques par des multinationales, au détriment du commerce et de l’emploi local, en majeure partie pour des commandes portant sur des produits non essentiels et importés, en totale contradiction avec l’objectif de relocalisation de notre économie.

Les ouvertures de nouveaux entrepôts sont imminentes et requièrent une intervention urgente du législateur.

La représentation nationale doit donc faire un choix : ou laisser faire une « amazonisation » de la France, s'installer partout ces grands entrepôts, et accepter une destruction fatale du tissu du commerce de proximité et de tous les liens sociaux qui font la vie quotidienne des bourgs et des centres‑villes, ou stopper cette logique mortifère de concurrence déloyale et prendre des décisions d’intérêt général bonnes pour l’emploi, pour l’activité économique des très petites entreprises, pour l’aménagement du territoire et pour l’environnement.

Il convient donc d’adopter des mesures d’urgence pour mettre un coup d’arrêt à la multiplication des implantations d’entrepôts des grands opérateurs du commerce en ligne. La Nation doit en effet pouvoir faire des choix éclairés en matière de structuration de l’offre de commerce en ligne, qui ne soient pas contraires aux objectifs de relocalisation et de résilience de notre économie, ni à nos engagements climatiques et écologiques.

Le présent amendement vise à l’instauration d’un moratoire de deux ans sur la délivrance de tout permis de construire pour les grands entrepôts logistiques du commerce en ligne.

Il s'inspire de la pétition et des propositions portées conjointement par la Confédération des commerçants de France et les Amis de la Terre.

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