Prévention d'actes de terrorisme et renseignement — Texte n° 4185

Amendement N° 245 (Rejeté)

(5 amendements identiques : 191 224 297 379 426 )

Publié le 28 mai 2021 par : M. Gouffier-Cha.

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia 

Texte de loi N° 4185

Article 19 (consulter les débats)

I. – À l’alinéa 8, supprimer les mots :

« et des services mentionnés à l’article L. 811‑4 du même code désignés, au regard de leurs missions, par décret en Conseil d’État ».

II. – En conséquence, compléter le même alinéa par les mots :

« , dès lors que la divulgation de ces informations représente une menace grave pour la sécurité nationale ».

III. – En conséquence, après ledit alinéa, insérer l’alinéa suivant :

« c bis) Aux procédures opérationnelles et aux capacités techniques permettant la mise en œuvre des techniques mentionnées au titre V du livre VIII du code de la sécurité intérieure par ceux des services mentionnés à l’article L. 811‑4 du même code désignés, au regard de leurs missions, par décret en Conseil d’État, jusqu’à la date de la perte de leur valeur opérationnelle, dès lors que la divulgation de ces informations représente une menace grave pour la sécurité nationale ; ».

Exposé sommaire :

L’allongement des délais de communication des archives publiques organisé par l’alinéa 8 de l’article 19 aura des conséquences de très grande ampleur sur le travail des chercheurs s’intéressant à l’histoire des politiques de sécurité et des services qui en ont la charge opérationnelle aux XXe et XXI siècles, et bien au-delà. Il aura aussi pour conséquence un alourdissement important de la tâche des archivistes responsables de la communication des documents.

Les critères très imprécis qui sont retenus dans ce dispositif sont, en effet, susceptibles de provoquer des effets de fermeture mal maîtrisés. Trois dangers ont été identifiés : 1) Le nombre de services des ministères de l’Intérieur, des Armées et de la Justice potentiellement concernés dépasse très largement les seuls « services spécialisés de renseignement », si l’on s’en réfère à l’article R. 811-2 du code de la sécurité intérieure qui liste vingt-cinq directions ou sous-directions nationales ou parisiennes de toutes sortes, ainsi que leurs services territoriaux ; 2) L’expression « procédures opérationnelles » pour désigner, semble-t-il, les sources et méthodes des services concernés est extrêmement vague et il existe un risque considérable que, par commodité ou incertitude, une grande part des documents procédant de l’activité des services concernés soit considérée comme dévoilant, d’une façon ou d’une autre, leurs « procédures opérationnelles » ; 3) La période durant laquelle ces archives ne seront plus librement communicables est non seulement portée très au-delà des cinquante ans actuellement applicables, mais demeurera indéterminée, du fait des difficultés à apprécier la date effective « de la perte de leur valeur opérationnelle ». Il est très probable, en effet, que le critère de la « valeur opérationnelle », placé entre les mains des producteurs d’archives, ouvre à des interprétations très larges et qui varieront d’un service à l’autre, une « valeur opérationnelle » pouvant aller jusqu’à renvoyer à un simple potentiel d’usage.

L’amendement vise donc à mieux circonscrire les effets de « fermeture » qui accompagneront ce nouvel alinéa.

Cet amendement limite pour les services autres que les « services spécialisés de renseignement », l’extension des délais de communication aux seuls documents qui concernent spécifiquement les techniques de renseignement visées au titre V du livre VIII du code de la sécurité intérieure, afin d’éviter que tous les documents de ces services aux compétences très larges n’entrent ipso facto dans les nouveaux délais de durée indéterminée.

Ensuite cette amendement limite la nouvelle règle de communicabilité aux seuls documents dont la divulgation ferait courir des risques graves à la sécurité nationale. En guise d’illustration, les « boîtes à lettres mortes » – qui étaient une « procédure opérationnelle » mise en œuvre par le Bureau Central de Renseignements et d’Action (BCRA) de la France libre – possèdent toujours, aujourd’hui, une « valeur opérationnelle », alors que cette « procédure », désormais expliquée sur Wikipedia, ne représente manifestement pas, pour autant, une menace.

Il est clair que si une disposition du type de celle que l’alinéa 8 de l’article 19 envisage avait déjà existé, nombre d’archives grâce auxquelles d’importants travaux d’histoire contemporaine ont pu être menés ces dernières décennies n’auraient pas pu être communiquées sans restrictions, dès lors qu’elles dévoilent des « procédures opérationnelles » qui, d’une manière ou d’une autre, sont toujours en usage. Par exemple, les « procédures opérationnelles » grâce auxquelles la police des renseignements généraux obtenait des informations sur les partis politiques n’ont pas perdu de leur « valeur opérationnelle », alors que les archives en question représentent une source de première importance de l’histoire de la Collaboration. Il en va de même, autre exemple, des « procédures opérationnelles » des sections de recherche de la gendarmerie de l’Air – qui, pour certaines, peuvent toujours être en usage –, dont les archives ont permis de documenter les délits commis par des soldats ou par des civils contre les soldats dans le cadre des unités de l’Air au Maroc et en Tunisie dans les années cinquante ou encore en Allemagne.

Pour prendre un exemple plus spectaculaire encore, il est très vraisemblable qu’une part des archives ayant permis à des travaux récents d’écrire l’histoire de la torture durant la guerre d’Algérie serait entrée dans le champ d’application de l’alinéa 8 de l’article 19. En effet, l’histoire de la torture a pu être écrite grâce à des archives qui, précisément, ne parlent pas de torture, mais de « procédures opérationnelles » et de « capacités techniques » des départements opérationnels de protection (DOP) décrites en des termes si euphémisés qu’il est très vraisemblable que l’accès à ces documents aurait été restreint si l’alinéa 8 de l’article 19 avait existé. Ce n’est qu’après l’application de la méthode historique à ces sources, et le croisement entre les documents opéré par l’historien, que la réalité des pratiques de torture est pleinement apparu dans les archives.

Tous ces travaux historiques de premier plan n’auraient pas pu être menés sans restriction si l’alinéa 8 de l’article 19 avait existé. Pire même, certaines des archives sur lesquelles ces travaux ont pris appui risquent d’être désormais refermées, du fait de la rédaction insatisfaisante de la mesure transitoire prévue au II de l’article 19.

Le présent amendement est issu d’un travail transpartisan en collaboration avec le collectif « Accès aux archives publiques » réunissant l’Association des archivistes français, l’Association des historiens contemporanéistes de l’enseignement supérieur et de la recherche et l’Association Josette et Maurice Audin, ainsi que de nombreux historiens, archivistes et juristes.

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