Publié le 5 novembre 2021 par : M. Latombe.
À l’alinéa 3, supprimer les mots :
« , le secret de l’enquête et de l’instruction ».
La directive permet d’être mieux-disante lors de la transposition. Il est ici proposé d’utiliser cette faculté.
Amendement travaillé avec la Maison des Lanceurs d’Alerte.
En l'état actuel du droit, l'article 6 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la
transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique exclut du
régime de protection des lanceurs d'alerte les faits “ couverts par le secret de la défense nationale, le
secret médical ou le secret des relations entre un avocat et son client”. L'article 1, alinéa 1, ajoute à
ces secrets le secret de l’enquête et de l’instruction. Le même alinéa prévoit toutefois que cette
exclusion est réalisée « à l’exception des situations faisant l’objet de dérogations prévues par la
loi ». Or, si des dispositifs d'alerte spéciaux existent en matière de secret défense, de secret médical
et de secret de l'avocat, aucun dispositif n'existe lorsque sont concernés le secret de l'enquête et le
secret de l'instruction.
Or d'une part, une telle exclusion est contraire à la jurisprudence de la Cour Européenne des Droits
de l'Homme, qui exige que toute restriction à la liberté d'expression doit être « prévue par la loi ».
D'autre part, elle exclut de manière absolue et indiscriminée ces informations alors que le secret de
l'enquête et de l'instruction ne présentent, en droit pénal, aucun caractère absolu. Il appartient aux
juridictions, au cas par cas, de trouver un équilibre entre liberté d'expression et secret.
A titre d'exemple, saisie d’une condamnation pour recel de violation de secret (fiscal), la Cour
Européenne des Droits de l'Homme « tout en reconnaissant le rôle essentiel qui revient à la presse
dans une société démocratique (...) souligne que les journalistes ne sauraient en principe être déliés,
par la protection que leur offre l’article 10 » de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme,
« de leur devoir de respecter les lois pénales ». Elle indique cependant qu’il est nécessaire de
« déterminer si l’objectif de préservation du secret fiscal, légitime en lui-même, offrait une
justification pertinente et suffisante à l’ingérence » que constitue la condamnation prononcée par les
juges nationaux. Pour conclure à la « violation de l’article 10 », elle estime que « la condamnation
des journalistes ne représentait pas un moyen raisonnablement proportionné à la poursuite des buts
légitimes visés compte tenu de l’intérêt de la société démocratique à assurer et à maintenir la liberté
de la presse » (CEDH, 21 janvier 1999, R. Fressoz et Cl. Roire c. France, n° 29183/95).
Il en va de même lorsque ces révélations ne sont pas le fait de journalistes, mais de lanceurs d'alerte.
Dans son arrêt Guja contre Moldavie, la Cour a énoncé que :
“Dans un système démocratique, les actions ou omissions du gouvernement doivent se trouver
placées sous le contrôle attentif non seulement des pouvoirs législatif et judiciaire, mais aussi des
médias et de l’opinion publique. L’intérêt de l’opinion publique pour une certaine information peut
parfois être si grand qu’il peut l’emporter même sur une obligation de confidentialité imposée par la
loi.” (Cour Européenne des Droits de l'Homme, Grand Chambre, 12 février 2008, Guja contre
Moldavie, Req. 14277/04 §74).
Dans l'arrêt Bucur contre Roumanie, la Cour a, en ce sens, protégé un lanceur d'alerte des services
secrets Roumains ayant révélé, à l'issue d'un processus d'alerte similaire au schéma prévu la
directive d'octobre 2019, des informations classées “secret-défense”( Cour Européenne des Droits
de l'Homme, Troisième section, 8 janvier 2013, Bucur et Toma contre Roumanie; Req. 40238/02 ).
Cette primauté du droit fondamental à la liberté d'expression sur l'objectif de répression des
infractions pénales est désormais reconnu par la Cour de Cassation. Cette dernière a en effet
considéré que les “décrocheurs de portrait” devaient échapper à une condamnation pour vol au
motif que ces derniers cherchaient à stimuler un débat d'intérêt public, en l'occurrence, le débat sur
le changement climatique (Arrêt n° 956 du 22 septembre 2021 (20-80.489) - Cour de cassation -
Chambre criminelle- ECLI:FR:CCAS:2021:CR00956). Par analogie et à fortiori, des lanceurs
d'alerte violant un secret protégé par la loi pour signaler ou révéler une information d'intérêt général
devraient échapper aux poursuites pénales sur le fondement de l'article 10 de la Convention
Européenne des Droits de l'Homme. Rappelons à cet égard que la protection prévue par l'article 10
couvre tout aussi bien les hypothèses de révélation au public, que celles de signalement aux
autorités compétentes (Cour Européenne des Droits de l'Homme, Grande Chambre, 27 juin 2017,
MEDŽLIS ISLAMSKE ZAJEDNICE BRČKO ET AUTRES c. BOSNIE-HERZÉGOVINE; Req.
17224/11).
Ainsi, le rajout de ces secrets, en l'absence de dispositif légal existant par ailleurs, place les lanceurs
d'alerte dans une situation confuse : s'ils peuvent en vertu de l'article 10 échapper à des poursuites
pénales, il ne peuvent faute d'être inclus dans les protections accordées aux lanceurs d'alerte
bénéficier d'une protection contre les mesures de rétorsion (licenciement, mise à pied) intentées par
leur employeur. Ainsi, un magistrat instructeur ou un OPJ lançant l'alerte en interne ou auprès d'une
autorité dédiée telle que l'Inspection Générale des Services Judiciaires (dysfonctionnement grave
d'une instruction), ne pourrait obtenir protection, et ce alors même qu'il ne violerait aucune règle de
droit pénal puisque l'on se situerait dans une hypothèse de secret partagé (pas de divulgation d'un
secret hors du circuit judiciaire). Il serait dans ce cas plus avantageux pour un lanceur d'alerte de
faire fuiter auprès d'un journaliste des informations, que de lancer l'alerte en interne, et ce y compris
en l'absence de risque de dommage grave pour l'intérêt général.
Une telle situation serait, rappelons le, radicalement contraire à la jurisprudence de la Cour
Européenne des Droits de l'Homme qui a protégé des lanceurs d'alerte travaillant en qualité de
magistrats du parquet (arrêt « Guja contre Moldavie » de 2008) ou du siège (arrêt « Kudeshkina
contre Russie » de 2009). Elle serait également, au vu de ce qui a été exposé ci-dessus, contraire à la
clause de non-régression prévue à l'article 25 de la directive, qui énonce que « La mise en œuvre de
la présente directive ne peut, en aucun cas, constituer un motif pour réduire le niveau de protection
déjà offert par les États membres dans les domaines régis par la présente directive »
Il est donc proposé de supprimer cet ajout, étant précisé qu'une telle suppression est sans influence
sur la capacité du droit existant à sanctionner pénalement les violations avérées du secret de
l'enquête et de l'instruction.
Il est donc proposé de supprimer cet ajout.
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