Publié le 6 novembre 2021 par : M. Bernalicis, Mme Autain, M. Coquerel, M. Corbière, Mme Fiat, M. Lachaud, M. Larive, M. Mélenchon, Mme Obono, Mme Panot, M. Prud'homme, M. Quatennens, M. Ratenon, Mme Ressiguier, Mme Rubin, M. Ruffin, Mme Taurine.
Supprimer l’alinéa 3.
Par cet amendement, le groupe de la France insoumise considère qu'il ne faut pas exclure ainsi du régime des lanceurs d'alerte les régimes du secret de la défense nationale, du secret médical, du secret des délibérations judiciaires, du secret de l’enquête et de l’instruction ou du secret des relations entre un avocat et son client, sont exclus du régime de l’alerte.
Au contraire, la rédaction proposée est non seulement inopérante car certians de ces régimes de secret disposent de dispositifs légaux d'alerte, mais elle semble surtout contraire à la jurisprudence de la Cour Européenne des Droits de l'Homme, qui exige que toute restriction à la liberté d'expression doit être prévue par la loi et définie de manière stricte. Ainsi la rédaction proposée par la proposition de loi vient en surplus et de manière précise et circonstancié, faisant peser dans ses domaine un risque sur les lanceurs d'alerte, ce qui est contre l'objet même du texte.
Cette position est partagée par nombre d'association, dans la maison des Lanceurs d'alerte qui précise :
"A titre d'exemple, saisie d’une condamnation pour recel de violation de secret (fiscal), la Cour Européenne des Droits de l'Homme « tout en reconnaissant le rôle essentiel qui revient à la presse dans une société démocratique (…) souligne que les journalistes ne sauraient en principe être déliés, par la protection que leur offre l’article 10 » de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme, « de leur devoir de respecter les lois pénales ». Elle indique cependant qu’il est nécessaire de « déterminer si l’objectif de préservation du secret fiscal, légitime en lui-même, offrait une justification pertinente et suffisante à l’ingérence » que constitue la condamnation prononcée par les juges nationaux. Pour conclure à la « violation de l’article 10 », elle estime que « la condamnation des journalistes ne représentait pas un moyen raisonnablement proportionné à la poursuite des buts légitimes visés compte tenu de l’intérêt de la société démocratique à assurer et à maintenir la liberté de la presse » (CEDH, 21 janvier 1999, R. Fressoz et Cl. Roire c. France, n° 29183/95).
Il en va de même lorsque ces révélations ne sont pas le fait de journalistes, mais de lanceurs d'alerte. Dans son arrêt Guja contre Moldavie, la Cour a énoncé :
“Dans un système démocratique, les actions ou omissions du gouvernement doivent se trouver placées sous le contrôle attentif non seulement des pouvoirs législatif et judiciaire, mais aussi des médias et de l’opinion publique. L’intérêt de l’opinion publique pour une certaine information peut parfois être si grand qu’il peut l’emporter même sur une obligation de confidentialité imposée par la loi.” (Cour Européenne des Droits de l'Homme, Grand Chambre, 12 février 2008, Guja contre Moldavie, Req. 14277/04 §74).
Dans l'arrêt Bucur contre Roumanie, la Cour a, en ce sens, protégé un lanceur d'alerte des services secrets Roumains ayant révélé, à l'issue d'un processus d'alerte similaire au schéma prévu la directive d'octobre 2019, des informations classées “secret-défense”( Cour Européenne des Droits de l'Homme, Troisième section, 8 janvier 2013, Bucur et Toma contre Roumanie; Req. 40238/02 ).
Cette primauté du droit fondamental à la liberté d'expression sur l'objectif de répression des infractions pénales est désormais reconnu par la Cour de Cassation. Cette dernière a en effet considéré que les “décrocheurs de portrait” devaient échapper à une condamnation pour vol au motif que ces derniers cherchaient à stimuler un débat d'intérêt public, en l'occurrence, le débat sur le changement climatique (Arrêt n° 956 du 22 septembre 2021 (20-80.489) - Cour de cassation - Chambre criminelle- ECLI:FR:CCAS:2021:CR00956). Par analogie et à fortiori, des lanceurs d'alerte violant un secret protégé par la loi pour signaler ou révéler une information d'intérêt général devraient échapper aux poursuites pénales sur le fondement de l'article 10 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme. Rappelons à cet égard que la protection prévue par l'article 10 couvre tout aussi bien les hypothèses de révélation au public, que celles de signalement aux autorités compétentes (Cour Européenne des Droits de l'Homme, Grande Chambre, 27 juin 2017, MEDŽLIS ISLAMSKE ZAJEDNICE BRČKO ET AUTRES c. BOSNIE-HERZÉGOVINE; Req. 17224/11).
Ainsi, le rajout de ces secrets, en l'absence de dispositif légal existant par ailleurs, place les lanceurs d'alerte dans une situation confuse : s'ils peuvent en vertu de l'article 10 échapper à des poursuites pénales, il ne peuvent faute d'être inclus dans les protections accordées aux lanceurs d'alerte bénéficier d'une protection contre les mesures de rétorsion (licenciement, mise à pied) intentées par leur employeur. Ainsi, un magistrat instructeur ou un OPJ lançant l'alerte en interne ou auprès d'une autorité dédiée telle que l'Inspection Générale des Services Judiciaires (dysfonctionnement grave d'une instruction), ne pourrait obtenir protection, et ce alors même qu'il ne violerait aucune règle de droit pénal puisque l'on se situerait dans une hypothèse de secret partagé (pas de divulgation d'un secret hors du circuit judiciaire). Il serait dans ce cas plus avantageux pour un lanceur d'alerte de faire fuiter auprès d'un journaliste des informations, que de lancer l'alerte en interne, et ce y compris en l'absence de risque de dommage grave pour l'intérêt général.
Une telle situation serait, rappelons le, radicalement contraire à la jurisprudence de la Cour Européenne des Droits de l'Homme qui a protégé des lanceurs d'alerte travaillant en qualité de magistrats du parquet (arrêt « Guja contre Moldavie » de 2008) ou du siège (arrêt « Kudeshkina contre Russie » de 2009). Elle serait également, au vu de ce qui a été exposé ci-dessus, contraire à la clause de non-régression prévue à l'article 25 de la directive, qui énonce que « La mise en œuvre de la présente directive ne peut, en aucun cas, constituer un motif pour réduire le niveau de protection déjà offert par les États membres dans les domaines régis par la présente directive »".
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