Publié le 2 avril 2018 par : Mme Taurine, Mme Autain, M. Bernalicis, M. Coquerel, M. Corbière, Mme Fiat, M. Lachaud, M. Larive, M. Mélenchon, Mme Obono, Mme Panot, M. Prud'homme, M. Quatennens, M. Ratenon, Mme Ressiguier, Mme Rubin, M. Ruffin.
Supprimer l'alinéa 7.
Cet article et cet alinéa sont parmi les plus abjects de ce projet de loi, en ce qu'ils assument clairement une entaille profonde dans les droits et libertés des personnes. Le droit des étrangers devient un semi-droit pénal où les décisions pouvant être prises par l'autorité administrative deviennent de plus en plus attentatoires aux droits et libertés fondamentales et relèvent de plus en plus de celles qui doivent être normalement prononcées par l'autorité judiciaire en matière pénale.
Ce glissement n'est-il en plus pas particulièrement frappant quand, depuis la loi du 7 mars 2016 que c'est non plus le juge administratif mais bien le juge des libertéset de la détention qui est chargé de confirmer ou de rejeter la demande de prolongation de la rétention d'une personne ?
En effet, en donnant la possibilité d'enfermer jusqu'à 90, voire à 135 jours (alors que le droit actuel ne prévoit qu'un maximum de 45 jours), la rétention devient de la détention. C'est comme si désormais les préfets devenaient des juges qui condamnaient à la prison les étrangers – considérés comme des criminels - (ce sont les préfets qui demandent la prolongation de la rétention – qui est après validée ou non par un juge de la liberté et de la détention - JLD).
Le Gouvernement a beau se prévaloir dans une étude d'impact du fait que le droit européen (la directive 2008/115/CE) pose un seuil maximal de six mois pouvant aller jusqu'à 18 mois (18 mois !) en cas de manque de coopération de l'étranger ou de retard dans la délivrance des documents de voyage, pour les mises en rétention de ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, et rappeler que d'autres Etats dont l'Allemagne, la Lituanie, Malte et les Pays-Bas prévoient ce seuil haut dans la législation (il est bien connu que ces pays ont toujours été des exemples historiques en termes de respect des droits humains, de même que la Lituanie, tous en conviennent…), ce triplement, au demeurant non justifié de la durée possible de rétention (sans condamnation pénale rappelons-le !) d'un étranger est tout simplement profondément attentatoire aux droits et libertés fondamentales.
De plus cette mesure n'est absolument pas efficace par rapport aux objectifs que le projet de loi est censé poursuivre ! Le Conseil d'Etat dans son avis a été particulièrement critique ; il rappelle notamment que la durée moyenne de rétention est actuellement de 12 jours sur les 45 autorisés et seuls 40% des étrangers sont effectivement éloignés («50. Le Conseil d'Etat s'interroge néanmoins sur la justification de l'allongement proposé de cette mesure restrictive de liberté, qui porte atteinte à la liberté individuelle et qui engendrera des coûts supplémentaires - non chiffrés par l'étude d'impact - en termes de construction ou d'extension de centres de rétention, voire d'optimisation des places au sein de ceux-ci, au regard des bénéfices attendus, en termes notamment de mise en œuvre plus effective des mesures d'éloignement. La durée moyenne de rétention est en effet actuellement de 12 jours sur les 45 autorisés, et seuls 40 % des étrangers placés en rétention sont effectivement éloignés. Ce taux ne s'explique que partiellement par les difficultés rencontrées pour obtenir de certains des Etats de destination les documents nécessaires à l'éloignement dans le délai de 45 jours. L'allongement de la durée maximale de la rétention peut cependant être de nature à permettre d'améliorer la délivrance des laisser-passer consulaires et, par conséquent, l'exécution des mesures d'éloignement. »http://www.assemblee-nationale.fr/15/pdf/projets/pl0714-ace.pdf ). Comment le Gouvernement ose-t-il ainsi littéralement considérer les droits et libertés fondamentales des personnes comme des variables d'ajustement ?
Il faut enfin signaler que l'argument du Gouvernement qui consisterait à dire que le taux d'éloignement augmente avec la durée de rétention est contredit par sa propre étude d'impact (page 199) puisqu'on y apprend qu'environ 90% des mesures de rétention où la personne retenue a été effectivement éloignée l'ont été … avant 30 jours (“ 8 689 éloignement de retenus ont pu être réalisés (...) 10,54% après 30 jours de rétention).... Et le Gouvernement s'enfonce encore après. S'il argue de difficultés à obtenir un document de voyage (laissez passer consulaire, passeport) il ne constate cela que pour 635 étrangers au bout de 45 jours sur 22 458 personnes placées en rétention en 2017 (page 121), soit 2% du total des personnes en rétention…. Ceci est donc grossièrement inconstitutionnel car attentatoire aux droits fondamentaux. Selon la formule consacrée par la doctrine : “Le principe de proportionnalité fait obstacle à l'usage d'un marteau-pilon pour casser une noix, si le casse-noix suffit” (http://www.conseil-etat.fr/content/download/94367/908074/version/1/file/2017-03-17%252520-%252520Institut%252520Portalis.pdf). L'extension à plus de 135 jours de la durée maximale de rétention de droit commun n'a donc rien à voir avec l'objectif qui est censé être poursuivi, l'augmentation du taux d'éloignement après rétention serait donc éminemment marginal (2 % ….).
Dans un communiqué, la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté avait elle-même dénoncé “L'allongement de la durée de la rétention de 45 à 90, voire 135 jours, [qui] ne pourra qu'aggraver ces effets délétères [de l'enfermement”. Le CGLPL maintient au contraire sa recommandation de ramener cette durée à 32 jours.”
Par cet amendement de bon sens, nous proposons ainsi la suppression de cette mesure qui est une des mesures les plus éhontément liberticides de ce projet de loi.
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