Publié le 2 avril 2018 par : M. Trompille.
Supprimer les alinéas 4 et 5.
L'article 6 ne respecte pas les exigences constitutionnelles et conventionnelles de la France et crée une disproportion entre la rigueur procédurale et l'exercice effectif des garanties.
1) Sur le délai raisonnable
L'article 46 de la directive 2013/32/UE dispose que :
«Les Etats membres prévoient des délais raisonnables et énoncent les autres règles nécessaires pour que le demandeur puisse exercer son droit à un recours effectif en application du §1. Les délais prévus ne rendent pas cet exercice impossible ou excessivement difficile ».
L'article 6-1 de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés Fondamentales dispose que :
«Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue […] dans un délai raisonnable […] et a droit notamment à disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense ».
Aussi, le délai raisonnable doit également être entendu comme le délai accordé à une personne pour recevoir, analyser et répondre aux demandes adverses, avec tous les conseils juridiques et les documents adéquats.
Un court délai prévient la possibilité pour le défendeur de réunir les pièces à l'appui de sa demande – d'autant plus s'il doit les faire traduire – et de permettre à un éventuel conseil de les utiliser afin d'élaborer une défense.
Il convient de rappeler que le délai accordé pour effectuer un recours contre une décision de l'OFPRA est raccourci au regard des exigences de délai raisonnable posées par la loi.
En effet, les articles R. 421-1 et suivant du Code de justice administrative prévoient un délai de droit commun de deux mois pour exercer un recours contre une décision administrative.
Specialia generalibus derogant, le délai prévu pour contester une décision de l'OFPRA est d'un mois à compter de la notification de ladite décision.
Le projet de loi a l'intention de raccourcir ce délai dérogatoire à 15 jours, s'éloignant d'autant plus de l'exigence de délai raisonnable et de l'exercice d'un droit de recours effectif.
La situation d'un étranger est différente d'un justiciable français souhaitant contester une décision de l'administration.
Celui-ci dispose de documents en français, de l'usage de la langue, ainsi que d'un réseau professionnel facilitant l'accès à un avocat et à la compréhension de la procédure tout en bénéficiant d'un délai de deux mois pour exercer ses droits.
L'étranger est souvent isolé, ou vivant dans une communauté elle-même isolée, sans ressource, n'ayant que des documents nécessitant une traduction payante, ne parlant pas la langue afin de demander de l'aide ou des explications, et qui ne bénéficiera que de 15 jours pour faire un recours contre la décision de l'OFPRA.
Il est probable que lors de la saisine d'un avocat, au titre de l'aide juridictionnelle ou non, le délai soit expiré ou sur le point d'expirer, compliquant la tâche de l'association ou de l'avocat dans l'étude du dossier et l'envoi du recours.
Ainsi, la situation devient paradoxale car une personne ayant la possibilité d'exercer ses droits – etin fine disposant de plus de garanties – dispose d'un délai quatre fois plus long qu'une personne en difficulté.
D'autant plus que la communication des décisions de l'OFPRA peut être faite «par tout moyen, y compris électronique ».
Or, il est inutile de rappeler la situation de grande précarité des demandeurs d'asile, qui n'ont souvent pas accès à une connexion internet rapide ou effective afin de vérifier l'envoi de la décision – dans l'hypothèse où ils bénéficieraient d'une adresse électronique – ni à une imprimante leur permettant de joindre la décision à leur recours, condition obligatoire de sa validité.
De facto, la personne visée par la décision de l'OFPRA sera privée de son droit au recours.
Mais cette problématique s'accentue relativement à l'article L. 711-6 du CESEDA qui prévoit le retrait du statut de réfugié, sur le fondement de l'article 14 de la directive 2011/95/UE, lui-même un amalgame des articles 1FC et 32 et 33 de la convention de Genève.
En effet, une personne reconnu réfugiée, par acte déclaratif, et bénéficiant conséquemment du statut de réfugié sans lequel la qualité n'est pas effective, peut se voir retirer son statut s'il constitue une menace grave pour la sûreté de l'Etat ou bien s'il a été condamné en France pour un crime ou un délit constituant un acte de terrorisme ou punissable de 10 ans d'emprisonnement et que sa présence constitue une menace grave pour la société.
Or, une telle procédure est nécessairement complexe et nécessite un délai afin de comprendre les problématiques et réunir les éléments nécessaires, en fait et en droit, pour répondre à une décision de fin de protection.
Une telle décision, parce qu'elle autorisein fine le renvoi d'un réfugié dans son pays d'origine malgré la reconnaissance de cette qualité, doit être assortie – conformément aux articles 32 et 33 de la convention de Genève – de toutes les garanties prévues par la loi nationale et supranationale.
Le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés (HCR) indique, relativement aux clauses d'exclusion, que «étant donné les graves conséquences, il est essentiel que des garanties procédurales strictes soient incluses dans la procédure » (Principe Directeur sur la protection internationale n°5, HCR/GIP/03/05).
Le Conseil d'Etat viendra préciser dans son avis rendu le 15 février 2018 «d'une part, de la conformité du délai aux exigences constitutionnelles, aux engagements conventionnels de la France et aux marges d'appréciation que laisse le droit de l'Union, et, d'autre part, de l'équilibre atteint entre la rigueur procédurale et l'exercice effectif et complet des droits ».
Dès lors, le raccourcissement des délais de recours, tant pour les procédures d'admission que de fin de protection, fortement dérogatoire au délai de droit commun prévu par la loi, porte atteinte au principe du délai raisonnable en ce qu'il empêcherait les personnes concernées de faire valoir leur droit en temps utile.
2) Sur la procédure accélérée
Le projet de loi souhaite inclure dans le cadre de la procédureaccélérée (procédure instaurée par la loi du 27 juillet 2015 en contrepartie de la reconnaissance du caractère suspensif des recours des décisions de l'OFPRA) – la procédure de fin de protection prévue par l'article L. 711-6 du CESEDA.
Cette nouvelle procédure – dont il est aujourd'hui impossible d'en évaluer l'impact compte tenu de son caractère trop récent selon avis du Conseil d'Etat – permet de traiter une demande d'asile en l'espace de 7 semaines entre le dépôt de la demande et la décision de la CNDA, qui statut à juge unique, et non en formation collégiale.
Cette procédure avait été ouverte dans des situations laissant présumer que le demandeur d'asile ne s'exposait pas à de réelles craintes de persécutions et traitements dégradants ou bien ne se montrait pas suffisamment coopératif avec les autorités.
Elle vise à éviter l'encombrement des autres chambres pour des demandes prétendument fallacieuses et à sanctionner le demandeur d'asile.
Toutefois, l'article L. 732-2 alinéa 2 prévoyait au juge unique la possibilité de renvoyer l'affaire en formation collégiale «s'il estime que celle-ci ne relève pas de l'un des cas prévus aux mêmes articles L. 723-2 et L. 723-11 ou qu'elle soulève une difficulté sérieuse ».
Or, toute procédure de fin de protection sur le fondement de l'article L. 711-6 du CESEDA, par la gravité de la mesure et les manquements de l'article vis-à-vis des dispositions constitutionnelles et conventionnelles,est de nature à soulever une difficulté sérieuse.
Il convient de préciser que le résultat recherché par la procédure de fin de protection est l'expulsion du réfugié du territoire français.
La difficulté sérieuse existe alors dans l'analyse de la proportionnalité d'une telle décision, entre les engagements internationaux et philosophiques de la France et la protection de la société.
En effet, l'article L. 711-6 du CESEDA crée un «télescopage malheureux » avec les articles 32 et 33 de la convention de Genève (Conseil du Contentieux des Etrangers, 10 février 2017, n°182109, point 7.4.7) car les conditions de fin de protection sont calquées sur l'exception au principe de non-refoulement du réfugié.
Si la protection accordée au réfugié est retirée, il remplira nécessairement les conditions du refoulement.
L'article L. 711-6 du CESEDA reprend les stipulations de la Convention de Genève, mais celles qui concernent l'exception au principe de non-refoulement prévu à l'article 33.2 – le seul article défavorable à un réfugié – qui prévoit le refoulement d'un réfugié s'il y a des raisons sérieuses de le considérer comme un danger pour la sécurité du pays ou qui, ayant été condamné pour un crime ou un délit particulièrement grave, constitue une menace pour la sécurité du pays.
Ce sont doncdeux nouveaux cas de cessation qui sont prévus en sus de ceux déjà établis par la Convention de Genève, qui ont vocation à s'appliquer à tous faits ou comportementpostérieurs à la reconnaissance de la qualité de réfugié.
Considérant que la Convention de Genève constitue «la pierre angulaire du régime juridique de la protection internationale des réfugiés » (Considérant 4 de la Directive 2011/95/UE), de nouvelles clauses d'exclusion et de cessation sont ambigües vis-à-vis des objectifs poursuivis.
Or, le considérant 14 et l'article 3 de la Directive 2011/95/UE prévoient que «les États membres peuvent adopter ou maintenir des normes plus favorables » que les normes énoncées dans la présente directive pour les ressortissants de pays tiers ou les apatrides qui demandent à un État membre une protection internationale.
En ajoutant des cas de cessation qui n'étaient pas prévus, ce qui est en contradiction flagrante avec l'esprit et le texte de la Convention et de la Directive, le législateur a posé une condition défavorable au réfugié et se trouve être plus restrictif que le minimum prévu pour tous les Etats membres.
Ces clauses d'exclusion et de cessation ne sont pas présentes dans la Convention de Genève et leur validité est donc sujette à cautionnement ; il est donc nécessaire que ce point soit étudié par une formation collégiale au regard des points de droit soulevés et de la question de la conventionnalité de l'article L. 711-6.
Cette distinction se fonde sur l'article 1.A.2 de la Convention de Genève et les interprétations subséquentes que la qualité de réfugié existe indépendamment de toute reconnaissance par un Etat dès lors que les conditions sont réunies. Toute reconnaissance serait superfétatoire car la qualité y serait préexistante.
En revanche, le statut de réfugié dériverait de la directive 2011/95/UE et il serait octroyé par les Etats Membres par la reconnaissance de la qualité de réfugié.
Le statut de réfugié découlerait nécessairement de la qualité de réfugié et celui-ci pourrait en être exclu ou le statut être cessé sans que cela n'implique l'exclusion ou la cessation de la qualité de réfugié qui obéit à des règles plus strictes édictées par la Convention de Genève.
Cette interprétation montre toutefois une confusion dans le vocabulaire utilisé et dans le sens des mots, ce qui entraîne des conséquences drastiques dans la compréhension de la loi et son application à tous les demandeurs d'asile ainsi que les réfugiés.
Les articles L. 711-4 et L. 711-6 du CESEDA font état de nouvelles clauses d'exclusion et de clauses de cessation, et feraient état d'une distinction subtile entre qualité et statut de réfugié.
Ces notions doivent être définies sous peine de créer une application de la loi qui porte préjudice aux demandeurs d'asile, aux réfugiés ainsi qu'à tous les intervenants en justice.
Tant dans la Convention de Genève, que dans la directive 2011/95/UE et dans la loi française, les notions de qualité et de statut sont utilisées indifféremment, renvoyant toutes deux aux droits conférés par sa reconnaissance.
Ces textes nationaux et internationaux établissent l'idée qu'il ne peut y avoir de statut de réfugié sans reconnaissance préalable de la qualité de réfugié, ni d'existence de cette qualité sans bénéfice de ce statut.
Aussi, la tentative de distinguer ces deux notionsin concreto dans la loi contrevient à «la pierre angulaire du régime juridique international de protection des réfugiés ».
Aussi, lorsqu'est reconnu la qualité de réfugié, cela octroie automatiquement le statut de réfugié car ils sont indissociables et ils ne peuvent être révoqués qu'ensemble. La dichotomie est uniquement sémantique et ne peut avoir de conséquences juridiques.
Cette interprétation est confirmée par la loi et par le Conseil d'Etat.
La Convention installe donc un régime juridique pour les personnes reconnues réfugiées que la Directive et la loi française se doivent de respecter en vertu des règles internationales.
Il est dès lors étrange que la Directive restreint les droits accordés au réfugié en les associant à un statut qui serait indépendant de sa qualité tandis que la Convention les accorde de manière inconditionnelle au réfugié ; d'autant plus que l'article 78 du TFUE prévoit la conformité du droit dérivé de l'Union à la Convention de Genève.
En conséquence, cette distinction artificielle entre la qualité de réfugié et le statut de réfugié entraînée par l'article L. 711-6 du CESEDA crée un état de fait engendrant confusion, décisions arbitraires, abus de droit et contentieux généralisé, qu'il est nécessaire de purger.
Or, la procédure accélérée et devant un juge unique empêche d'étudier avec sérieux de telles difficultés d'interprétation qui, de surcroît, porte atteinte au principe de sécurité juridique.
A ce sujet, il convient de préciser qu'un litige sur l'application de cet article est en cours devant le Conseil d'Etat, après avoir été jugé devant la CNDAen grande formation – soit la formation la plus solennelle de la Cour, à l'opposé du juge unique et d'un examen de moins de cinq semaines du dossier – et que ce litige est susceptible d'être renvoyé devant la CJUE et de faire l'objet d'un recours devant la CourEDH.
Enfin, une difficulté sérieuse existe relative à ses conditions d'application, et notamment le sens de «menace grave pour la société ».
En préambule, il sera précisé que ces difficultés ont fait l'objet de questions posées par la CNDA dans le cadre du litige précédemment énoncé et qui n'ont pas donné lieu à réponse par la Cour dans sa décision.
Aussi, elles ne sont toujours pas purgées.
L'article 33 de la Convention de Genève autorise l'Etat d'accueil à expulser ou refouler un réfugié s'il y a des raisons sérieuses de le considérer comme un danger pour la sécurité du pays ou qui, ayant été condamné pour un crime ou un délit particulièrement grave, constitue une menace pour la sécurité du pays.
Ces conditions ont été adaptées en droit de l'Union par la Directive 2011/95/UE à l'article 21 – qui permet le refoulement et la révocation du titre de séjour d'un réfugié – et à l'article 14.4, reprises par l'article L. 711-6 du CESEDA.
Au même titre que le trouble à l'ordre public, la notion de menace grave pour la sécurité de l'Etat n'est pas définie en droit de l'Union, ni en droit français.
Plusieurs conceptions et formulations existent de l'ordre public et des troubles à celui-ci en fonction des objectifs poursuivis par la loi ou la jurisprudence.
Le considérant 14 de la directive 2003/86/CE relative au regroupement familial indique que la personne à l'origine de la demande ne doit pas constituer une menace pour l'ordre public.
L'article 6 prévoit que l'entrée ou le séjour d'un membre de la famille pourra être refusée pour des raisons d'ordre public, de sécurité publique ou de santé publique.
La directive « Retour » 2008/115/CE précise qu'une décision de retour à l'encontre d'un étranger en situation régulière est possible pour des motifs relevant de l'ordre public et le prononcé d'une interdiction de retour d'une durée de cinq ans est envisageable en cas de menace grave pour l'ordre public.
La directive 2003/109/CE accorde le statut de résident de longue durée à des ressortissants de pays tiers en l'absence de menace pour l'ordre public ou la sécurité publique tandis que l'article 27 de la directive 2004/38/CE sur la libre circulation des ressortissants de l'Union reprend les termes de l'article 18 du TFUE et dispose que les États membres peuvent restreindre la liberté de circulation et de séjour d'un citoyen de l'Union, pour des raisons d'ordre public, de sécurité publique ou de santé publique.
La CJUE rappelle toutefois que «pour l'essentiel, les Etats Membres restent libres de déterminer les exigences de l'ordre public » (CJUE, 11 juin 2015, C-554/13,Z. Zh. c/ Staatssecretaris voor Veiligheid en Justitie).
L'article L. 521-1 du CESEDA prévoit l'expulsion d'un étranger du territoire français si celui-ci constitue une menace grave pour l'ordre public.
Néanmoins, aucune de ces formulations ne correspond avec précision au libellé de la Directive 2011/95/UE et de l'article L. 711-6 2° du CESEDA.
La notion d'ordre public est remplacée par la notion de société, qui doit être menacée de manière grave.
Eu égard à la profusion de l'utilisation du terme « ordre public » par le Droit de l'Union européenne et le droit français, l'utilisation d'un terme différent montre que le législateur a souhaité pointer une différence.
Aux articles 23, 24, 25 de la Directive 2011/95/UE, la notion d'ordre public est également utilisée – et non pas celle de menace grave pour la société – ce qui signifie que ces deux notions sont différentes.
De surcroît, le Droit de l'Union précise que le trouble à l'ordre public suppose l'existence, en dehors du trouble social qu'engendre toute infraction à la loi, «d'une menace réelle, actuelle et suffisamment grave affectant un intérêt fondamental de la société » (article 27 de la directive 2004/38/CE ; CJUE,Byankov, C-249/11).
Il ressort que la notion de société et sa protection est une composante de l'ordre public qui – en raison de son caractère spécifique et de ses conséquences drastiques sur le réfugié – a donc une portée plus restreinte que la notion d'ordre public.
Ainsi, certains comportements susceptibles de troubler l'ordre public, justifiant la condamnation ou l'expulsion d'un ressortissant étranger en situation régulière, ne seront pas suffisants pour pouvoir être qualifiés de menace grave pour la société et révoquer le statut d'un réfugié.
Aussi, il est nécessaire de définir les termes de cette notion afin de circonscrire ce qui peut constituer une menace grave pour la société.
Par conséquent, il apparaît que toute procédure de fin de protection sur le fondement de l'article L. 711-6 du CESEDA soulève une difficulté sérieuse qui nécessite l'examen du dossier en formation collégiale, voire en grande formation.
Le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés (HCR) indique que les décisions d'exclusion, a fortiori des décisions de fin de protection car elles poursuivent le même but, «doivent être prises dans le cadre de laprocédure normale de détermination du statut de réfugié et non au cours de procédures d'admissibilité ou de procédures accélérées afin qu'une évaluation complète en droit et en fait puisse avoir lieu » (Principe Directeur sur la protection internationale n°5, HCR/GIP/03/05).
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