Publié le 6 juillet 2018 par : Mme Valérie Boyer, M. Teissier, M. Bazin, M. Masson, M. Meyer Habib, M. Pierre-Henri Dumont, M. Vialay, Mme Bonnivard, M. Becht.
Le titre VIII de la Constitution est complété par un article 66‑2 ainsi rédigé :
« Art. 66‑2. – La négation des crimes de génocide et crimes contre l’humanité reconnus par un traité ou un accord international auquel la France est partie, soit par une décision de justice rendue par une juridiction nationale de l’État sous l’autorité duquel les crimes ont été commis soit par une juridiction internationale établie par un traité ou un accord international régulièrement ratifié ou approuvé par la France est réprimée dans les conditions définies par la loi. »
En 1990, le législateur a fait du négationnisme un délit de presse. En adoptant la loi Gayssot, il interdisait ainsi de contester publiquement un ou plusieurs crimes contre l’humanité « tels que définis par le statut du tribunal militaire international annexé à l’accord de Londres du 8 août 1945 ». Conçue à l’origine comme une limite à la liberté d’expression, cette réponse pénale au mal irrationnel qu’est l’antisémitisme s’est cherchée pendant plusieurs années au gré des combats et inquiétudes de toutes parts. D’un côté, les rescapés de la Shoah qui devaient, après avoir vécu l’invivable, encore entendre que leur calvaire n’avait, comble du vice, jamais eu lieu. De l’autre, les historiens et chercheurs - ceux de bonne foi - qui s’inquiétaient d’être traînés en correctionnelle pour avoir exercé leur métier.
Le 29 mai 1998, l’Assemblée nationale adoptait le principe selon lequel « La France reconnaît publiquement le génocide arménien de 1915 ». Ce principe devenait officiellement une loi de la République avec la loi n° 2001‑70 du 29 janvier 2001 relative à la reconnaissance du génocide arménien de 1915. En reconnaissant l’existence du premier génocide du XXe siècle, la République française redonnait symboliquement au génocide arménien une place dans la mémoire collective de l’humanité.
Il convient d’ailleurs de rappeler que le juriste polonais Raphaël Lemkin forgea le terme de génocide à partir de sa connaissance du massacre des Arméniens en 1915. C’est également sur son initiative que le terme de génocide fut officiellement reconnu par la convention de prévention et de punition du crime de génocide, adoptée par l’assemblée générale des Nations unies dans sa résolution 260 A (III) du 9 décembre 1948.
Mais si cette reconnaissance a pu être considérée comme un achèvement pour certains, nous devons désormais aller plus loin pour éviter toute concurrence des mémoires et toute inégalité de traitement entre les victimes et leurs descendants. La République se doit, en effet, de protéger l’ensemble de ses ressortissants. Nombre de descendants du génocide arménien ont trouvé refuge en France et sont devenus français. Face au négationnisme - y compris d’État - dont ceux-ci sont victimes, on ne saurait s’en remettre à l’arbitraire communautaire mais bien à la justice de la République pour garantir leur protection. Un travail législatif important restait donc à réaliser afin de tirer toutes les conséquences juridiques de cette reconnaissance, c’est-à-dire la pénalisation du négationnisme.
C’est dans ce contexte qu’en 2011, le Parlement avait adopté une proposition de loi de la députée Valérie Boyer, soutenue par Guy Teissier et plusieurs parlementaires, visant notamment à réprimer la contestation des génocides reconnus par la loi, c’est en particulier le cas du génocide Arménien de 1915, qui a fait 1,5 million de morts. Ce texte avait ensuite été censuré par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2012‑647 DC du 28 février 2012.
Enfin, le 3 décembre 2015, l’Assemblée Nationale a voté le renvoi en commission de la proposition de loi n° 2276 de Valérie Boyer visant à réprimer la négation des génocides et des crimes contre l’humanité du XXe siècle, au motif que celui-ci était trop fragile du point de vue juridique.
C’est pourquoi, il fallait rechercher les outils juridiques les plus adaptés permettant de donner toute sa portée à la reconnaissance du génocide arménien et, plus largement, à réprimer la négation de l’ensemble des crimes de génocide et des crimes contre l’humanité dans le strict respect des exigences constitutionnelles et conventionnelles.
En 2017, l’article 173 de la loi n°2017‑86 du 27 janvier 2017, relative à l’Égalité et à la citoyenneté, a permis de renforcer la loi du 29 juillet 1881 relative à la liberté de la presse en élargissant en partie son spectre aux crimes de génocide même si une partie des mesures proposées ont été censurées là encore par le Conseil constitutionnel.
Dans le respect de la décision précitée du Conseil constitutionnel du 28 février 2012, il s’avère essentiel de prévoir des éléments d’extériorité dans la reconnaissance d’un crime de génocide ou d’un crime contre l’humanité. Cette reconnaissance ne saurait, en effet, dépendre du seul législateur - comme c’était le cas dans le texte adopté le 23 janvier 2012 par le Parlement.
Elle doit bien davantage s’appuyer :
– soit sur un traité ou un accord international à laquelle la France serait partie - le traité de Sèvres du 10 août 1920 prévoit en particulier, à son article 230, le jugement des « responsables des massacres qui, au cours de l’état de guerre, ont été commis sur tout territoire faisant, au 1er août 1914, partie de l’Empire ottoman », responsables que le traité de Lausanne du 24 juillet a amnistiés, reconnaissant ainsi leur implication ;
– soit sur une décision de justice rendue par une juridiction française, par une juridiction de l’État sous l’autorité duquel ces crimes ont été commis - par exemple, le 5 février 1919, le tribunal militaire d’Istanbul a reconnu la culpabilité et a condamné certains auteurs du massacre des Arméniens commis sur le territoire de l’empire ottoman auquel a succédé, en droit international, la Turquie - ou par une juridiction internationale établie par un traité ou un accord international régulièrement ratifié ou approuvé par la France.
De surcroît, bien que n’entrant pas directement dans ces critères strictement juridiques de reconnaissance, il est important de rappeler la valeur politique et symbolique de la déclaration commune faite par les pays de l’Entente - France, Grande-Bretagne et Russie - le 24 mai 1915, aux termes de laquelle « en présence de ces nouveaux crimes de la Turquie contre l’humanité et la civilisation, les gouvernements alliés font savoir publiquement à la Sublime-Porte qu’ils tiendront personnellement responsables desdits crimes tous les membres du gouvernement ottoman ainsi que tous ceux de ses agents qui se trouveraient impliqués dans de pareils massacres ». Cette déclaration commune appartient à l’ensemble du faisceau de preuves attestant de la réalité et de l’ampleur des massacres de 1915, qui justifieront la création du terme même de génocide.
Il est ainsi proposé de sanctuariser dans notre constitution, celle du pays des droits de l’Homme, que nul ne pourra impunément contester l’existence des crimes les plus atroces que sont ces crimes de génocide et crimes contre l’humanité.
Cet amendement se veut être un texte universel et intemporel offrant à toutes les victimes de ces crimes de génocide et de ces crimes contre l’humanité une même protection contre le négationnisme.
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