Publié le 25 juin 2018 par : M. Colombani, M. Acquaviva, M. Castellani.
Le premier alinéa du préambule de la Constitution est ainsi rédigé :
« Le peuple français, conscient de son appartenance à la communauté de destin des peuples de l'Europe, proclame solennellement son attachement aux Droits de l'homme et aux principes de la souveraineté du Peuple tels qu'ils ont été définis par la Déclaration de 1789, complétés par le préambule de la Constitution de 1946 et confirmés par la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, ainsi qu'aux droits et devoirs définis dans la Charte de l'environnement de 2004. »
1°) Cet amendement vise à affirmer la dimension européenne de la République française en inscrivant, avec un volontarisme assumé, la notion decommunauté de destin des peuples de l'Europe au frontispice de l'édifice constitutionnel. La notion de « peuples de l'Europe » existe déjà en droit français puisqu'elle est inscrite dans le préambule de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne qui, ayant acquis force juridique contraignante avec le Traité de Lisbonne, s'applique en France dans le cadre du droit de l'Union.
Cette inscription dans le préambule permet d'intégrer la dimension européenne dans le bloc de constitutionnalité et de confirmer la dimension fédéraliste du projet européen dans la partie la plus éminente de la Loi fondamentale. Par ailleurs cette inscription introduit un effet cliquet afin de sécuriser l'édifice européen au moment où une forte europhobie menace de détricoter une Union qui a apporté des décennies de paix et de stabilité sur le continent.
La construction européenne est certes mentionnée à l'article 88-1 qui dispose que la France participe à l'Union européenne. Mais cette formulation est aujourd'hui indigente eu égard à la nécessité impérieuse de relancer le projet européen. L'article 88-1 assimile l'Union européenne à une simple organisation internationale et la notion de « participation » reste faible et peu ambitieuse. la France participe au même titre à l'OTAN, au Conseil de l'Europe et à l'Organisation des Nations-unies, sans pour autant que ces organisations aient la même importance et le même niveau d'intégration que l'Union européenne qui constitue un ordre juridique intégré quasi confédéral. En outre le positionnement à l'article 88-1 est symboliquement beaucoup plus faible qu'une inscription au sein du préambule. Enfin parler depeuples de l'Europe permet de conférer une dimension plus démocratique au projet européen alors que les discours europhobes tendent à opposer une Europe des technocrates à une Europe des Peuples.
La question de savoir si la notion de communauté de destin des peuples de l'Europe est trop floue ou non n'a absolument aucune importance dans la mesure où cette inscription est volontariste et qu'elle englobe manifestement l'ensemble des nations de l'Union européenne et celles qui ont vocation à y adhérer.
Elle affirme la formation d'une nation européenne ayant émergé des conflits qui ont ensanglanté les États-nations d'Europe et fait perdre à cette dernière sa puissance dans le concert des grandes puissances qui se sont formées au cours du XXème siècle. Au moment où de grands ensembles civilisationnels émergent dans le monde et où l'isolationnisme américain démontre un basculement inédit dans l'équilibre des puissances, l'Europe ne peut faire l'économie d'une constitution en un grand ensemble civilisationnel. En outre les nations européennes forment de fait un ensemble civilisationnel cohérent et uni depuis des siècles autour des même fondamentaux philosophiques, juridiques, politiques, culturels, spirituels, artistiques etc.
Cette histoire commune et cette unité civilisationnelle suffit à affirmer que le peuple français est indéniablement consubstantiel à une idée de communauté de destin européenne qui a plusieurs fois affirmé une volonté de retrouver une forme d'unité politique dans la droite ligne de la Renovatio Imperii (Renaissance carolingienne, restauration ottonienne, dessein de Charles Quint, Empire napoléonien).
2°) Cet amendement propose en outre d'intégrer au sein du bloc de constitutionnalité un texte fondamental supplémentaire qu'est laCharte des droits fondamentaux de l'Union européenne. Cette intégration vise à faciliter l'approfondissement du dialogue des juges. Depuis plusieurs années, l'intégration juridique entre nations européennes a entraîné une évolution forte de la conception traditionnelle de la hiérarchie des normes, dans laquelle la primauté de la Constitution est largement interrogée. Le débat en est devenu plus symbolique que pratique tant la primauté du droit de l'Union européenne est affirmée dans les faits par les évolutions prétoriennes : absence de contrôle par le Conseil constitutionnel des lois de transposition de directives européennes (CC., 10 juin 2004,Loi pour la confiance dans l'économie numérique, n° 2004-496 DC), neutralisation de la priorité de la QPC vis-à-vis du mécanisme communautaire de question préjudicielle (CJUE, 22 juin 2010,A. Melki et S. Abdeli), utilisation de ce mécanisme de question préjudicielle par le Conseil constitutionnel lui-même dans le cadre du contrôle QPC (CC., 14 juin 2013,Jérémy F. n° 2013-314 QPC) ainsi que par le Conseil d'État pour déterminer si une QPC est sérieuse (CE Ass., 31 mai 2016,Jacob, n° 393881), mise en œuvre d'un système d'équivalence des protections entre le droit interne et le droit de l'Union pour le contrôle de légalité des décrets-miroirs (CE, Ass., 8 février 2007,Arcelor, n°287110).
Pourtant le Conseil constitutionnel n'effectue pas de contrôle de conventionnalité (CC., 15 janvier 1975,loi relative à l'interruption volontaire de grossesse n° 74-54 DC) : il ne censure pas la loi au regard du droit de l'Union. La difficulté vient de ce que cet ordre juridique est doté d'une juridiction, la Cour de Luxembourg : si le Conseil constitutionnel appliquait le droit de l'Union, le Conseil s'exposait à voir son interprétation de ce texte, et donc indirectement ses décisions, invalidées par la Cour de Luxembourg qui est le dernier interprète autorisé de ces normes. Cela aurait pu selon certaines vues remettre en cause sa suprématie et une certaine conception de la souveraineté française.
Néanmoins les mentalités ont évolué et on pourrait admettre qu'il n'y a aucune gravité, même symbolique, à ce que la Cour de Luxembourg contredise une interprétation que le Conseil constitutionnel aurait fait du droit de l'Union : la même chose arrive désormais régulièrement au Conseil d'État et à la Cour de cassation sans que cela remette en cause leur autorité. En outre les arrêts de la Cour de Luxembourg n'ont pas pour effet d'abroger directement une norme législative de droit interne, seul le Conseil constitutionnel a ce pouvoir. Le Conseil constitutionnel, en cas de jurisprudence européenne remettant en cause son interprétation du droit de l'Union, n'aurait qu'à adapter sa jurisprudence, d'autant qu'il peut désormais poser des questions préjudicielles à la Cour de justice de l'Union européenne et éviter ainsi des conflits entre juges. En tout état de cause les contrôle de constitutionnalité et de conventionnalité européenne gagneraient à être décloisonnés.
Il résulte de tout ceci que l'articulation entre la souveraineté affichée de la Constitution dans l'ordre interne et la primauté effective du droit de l'Union aboutit à une complexification byzantine du débat qui, à part sauver les apparences dans le champ doctrinal, s'avère inutile voire stérile. Le modèle de la « pyramide à plusieurs pointes », utilisé pour décrire les rapports entre la Constitution, le droit de l'Union et le droit conventionnel de la CEDH semble ici atteindre le stade de la quadrature du cercle. Il convient donc de rendre son effectivité à la Constitution, texte juridique servant à décrire l'armature réelle des pouvoirs publics et leurs rapports, et ne pas la laisser glisser vers une dimension déclarative et incantatoire qui affaiblirait la force positive du texte.
Intégrer la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne permet donc de mieux aménager la primauté de la Constitution, puisque cela hisse au niveau constitutionnel un texte qui a formellement une valeur conventionnelle mais qui dans les faits a une valeur quasi constitutionnelle, notamment en raison de l'identité des droits fondamentaux qu'il proclame avec ceux de la Déclaration de 1789 et du préambule de la Constitution de 1946. De fait, les juridictions françaises organisent une équivalence des protections constitutionnelles et communautaires en matière de droits fondamentaux. Intégrer clairement la Charte dans le bloc de constitutionnalité permet ainsi de mieux transcrire l'état des choses, affirme la construction européenne à une place éminente de la Constitution et facilite le dialogue des juges puisque cette inscription permettra au Conseil constitutionnel d'irriguer davantage sa jurisprudence avec celle de la Cour de justice qui est l'interprète autorisé de la Charte.
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