Sachons voir, en revanche, comme nous y invitait le grand Jacques Le Goff, au-delà du fracas des ruptures apparentes, la continuité profonde entre la distinction chrétienne des trois ordres, spirituel, intellectuel et temporel, et ce qu'est devenue, dans une société largement sécularisée, l'exigence ô combien actuelle de laïcité.
Mes chers collègues, si les enjeux européens nous rassemblent, c'est parce qu'ils sont le produit d'un héritage indivisible, d'un trésor commun à ceux qui croient au ciel et à ceux qui n'y croient pas. Que nous soyons libéraux, socialistes, démocrates-chrétiens ou gaullistes, nous savons que l'Europe nous unit par ce qu'il y a de meilleur en chacun de nous : la paix préférée à la guerre, la raison préférée aux passions, le droit préféré à la force, le respect de l'autre préféré à l'humiliation, la liberté de croire, de penser, d'agir, de créer et d'aimer. L'irremplaçable apport de l'Europe au monde, c'est bien sûr la réconciliation de la liberté personnelle et de la solidarité publique.
Bien plus, face aux nouvelles barbaries et au retour de menaces gravissimes inédites, nous sentons au plus profond de nous-mêmes que c'est sur cet héritage-là que nous perdrons ou que nous gagnerons la partie. C'est là, et nulle part ailleurs, que se joue notre avenir.
Deuxième question : quoi ? Que voulons-nous faire ensemble et continuer de faire séparément ? Là encore, le Protocole nous aide à formaliser la question, qui précise que le drapeau de l'Europe sera placé à côté du drapeau national. Cet « à côté » est admirable : c'est un appel à la subsidiarité. Il nous invite à faire de ce concept non pas le jappement néo-poujadiste habituel mais, plus authentiquement, l'effort nécessaire de réflexion sur un partage rationnel des compétences.
Est-ce d'ailleurs autre chose, cet « à côté » là, que la version spatialisée de l' « en même temps » macronien ? N'est-ce pas l'idée toute simple, mais révolutionnaire, que désormais la souveraineté s'exerce simultanément à plusieurs niveaux ?
Troisième question : comment ? « Unie dans la diversité » nous dit la devise. Ce que nous disent devises et symboles, c'est très précisément ce que nient M. Mélenchon et les ultras jacobins, à savoir qu'une communauté démocratique associant plusieurs peuples est à la fois nécessaire et possible. Oui, monsieur Mélenchon, une communauté démocratique associant plusieurs peuples est nécessaire dès lors que le cadre pertinent de la décision à prendre dépasse les frontières d'un État.
Comme l'observait naguère notre plus grand constitutionnaliste, Georges Vedel, dans un article désormais classique, « la démocratie est le mode d'organisation des sociétés adultes et non seulement des sociétés nationales ». L'Union européenne a droit, au même titre que les nations qui la composent, à la démocratie, c'est-à-dire à l'État de droit, à l'enracinement dans le suffrage universel, au respect des minorités et au refus du blocage unanimitaire ; les nations n'ont pas le monopole de la liberté et du pouvoir citoyen.
Oui, monsieur Mélenchon, une démocratie associant plusieurs peuples, une « demoïcratie », en quelque sorte, est non seulement nécessaire, mais aussi possible, à la condition de bâtir un modèle institutionnel ad hoc, un modèle qui privilégie le compromis sur l'affrontement, la négociation sur la confrontation, l'inclusion sur l'exclusion. Un tel modèle, qui doit davantage à Montesquieu qu'à Rousseau, et qui nous interpelle car il ne correspond pas à nos habitudes…