Intervention de Marietta Karamanli

Séance en hémicycle du lundi 27 novembre 2017 à 21h30
Promotion des symboles de l'union européenne — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarietta Karamanli :

L'Europe est-elle alors une culture ? Dans la mythologie grecque, Zeus se déguise en taureau blanc pour séduire Europe, fille d'un roi. Le nom lui-même vient des termes « euris », large, et « ops », les yeux. Il désigne donc une terre, une vision et un espoir.

S'il n'existe aucune définition territoriale ni culturelle générale de l'Europe, il en existe une ressortissant à la « géographie par les genres de vie » et présentant un sens politique. Comme l'a écrit en 1936 Jacques Bancel, éminent géographe, dans Géographie et politique, la géographie, si elle peut être mise au service d'une politique, doit surtout rendre compte des genres de vie. À ce titre, l'Europe est une aire de civilisation composée de plusieurs modes de vie. Elle est aussi un projet politique qui ne saurait se résumer à un projet institutionnel.

Ainsi, les symboles que sont le drapeau composé de douze étoiles d'or sur fond bleu formant un cercle en signe d'union, l'Ode à la joie, la Journée de l'Europe et l'euro constituent des éléments de reconnaissance et ressortissent à une pratique commune, ce qui les rend estimables. Ils ne sont pas imposés par une loi supranationale. Les ignorer ou les interdire équivaut à nier une réalité.

On raconte que les Gardes rouges, soucieux d'incarner la nouvelle orientation dont procédait la Révolution culturelle chinoise, détruisirent tous les symboles publics faisant référence au passé – jugé réactionnaire – pour les remplacer par des dénominations révolutionnaires. Ce faisant, ils ne faisaient qu'obéir à un précepte du confucianisme selon lequel du nom juste découle la réalité juste. Ainsi, en croyant marquer une rupture, ils renforçaient la tradition.

Les symboles ne suffisent malheureusement pas pour créer une identité commune ou une reconnaissance spontanée et immédiate de modes de vie partagés. Ainsi, il est clair que les symboles participent d'un esprit européen, mais ne suffisent pas à le définir. En effet, l'identité existante a des conséquences significatives sur la façon dont les citoyens la perçoivent.

Comme je l'ai rappelé ici même il y a quelques semaines, une étude publiée en juin 2017 montre que seulement 34 % des citoyens européens ont le sentiment de bénéficier de l'appartenance de leur pays à l'Union européenne. Quant aux élites, elles estiment à 60 % que l'Union ne doit pas aller plus loin. Il faut donc accepter que nos concitoyens se reconnaissent plusieurs identités et les expriment : Français, Européen, citoyen ayant des origines européennes ou extra-européennes.

Le symbole d'un esprit commun doit aussi s'incarner dans nos politiques publiques. L'Europe est encore trop souvent, aux yeux des citoyens de ses États membres, un moyen dont ils ne voient pas la finalité. En 2017, 20 millions de personnes souffrent du chômage dans la zone euro, sans compter ceux qui y vivent dans la précarité.

Plus de 110 millions de personnes sont là en danger d'exclusion sociale dans une Union européenne à 27, exposées à un risque aggravé de pauvreté et à un dénuement matériel extrême ou formant des ménages privés d'accès au marché du travail. Plus de 15 % des jeunes de 18 à 24 ans ont quitté le système scolaire et ne sont ni dans l'emploi ni en formation.

La vie réelle montre que les programmes d'austérité extrême ont été un contresens économique. Dans ces conditions, les limites de l'État providence national sont souvent appréhendées avec crainte. Pour y remédier, on propose souvent de se recroqueviller davantage.

À l'évidence, la société européenne dans son ensemble, y compris sa partie orientale et balkanique, est traversée par deux grands courants culturels opposés mais qui parfois s'entremêlent : d'un côté, un courant caractérisé par une introversion exacerbée et une attitude suspicieuse à l'égard de l'innovation, dépourvu de projet à long terme ; de l'autre, un courant pour lequel l'ouverture vers l'extérieur constitue une chance d'intégration mais aussi de reconnaissance de sa spécificité, ce dont il fait un projet à long terme.

Les progressistes doivent tirer de ce constat des éléments de méthode. D'une part, il faut promouvoir l'Europe qui innove, fabrique et emploie tout en travaillant à l'Europe de l'intérêt général, perçue comme un facteur de rassemblement et fondée sur la culture et l'école ainsi que sur la recherche scientifique et médicale. Par exemple, pourquoi ne pas créer un premier grand service public européen de l'enseignement supérieur ?

D'autre part, il faut valoriser la différence comme une complémentarité et non comme un obstacle a priori. Enfin, s'agissant de nos relations avec les autres États membres, il faut toujours considérer qu'il existe chez eux une culture de l'ouverture, même si elle n'est pas dominante.

Je conclurai par un propos plus personnel. Française et Grecque, j'ai très régulièrement des contacts avec ma famille, mes amis et des responsables grecs. Croyez-moi, chers collègues, le débat n'y porte pas tant sur les symboles européens que sur la capacité de la politique européenne à faire sortir réellement les Grecs de la récession et à rendre aux Européens prospérité et mieux vivre au quotidien !

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